L'Amérique d'abord ou l'Amérique devant ?

 

Surtout, pas de pronostic...

Il faudra peut-être (à moins d'une avance considérable d'un des deux candidats) attendre des jours, peut-être des semaines, pour connaître le résultat définitif de l'élection présidentielle américaine. D'ici là, aucune hypothèse (sinon celle de l'élection d'un candidat indépendant...) n'est exclue. Ni une victoire de Biden, ni une victoire de Trump, ni une victoire de Biden dans les urnes et de Trump dans la désignation des "grands électeurs". Dans les derniers jours de la campagne, Trump a multiplié les meetings pour rattraper son retard (selon les sondages) dans les quelques Etats qui, au final, détermineront de quel côté penchera la majorité des "grands électeurs". Car si on élit le président de tous les Etats Unis, on l'élit dans cinquante élections séparées, une par Etat. Cette élection passionne les media (mais dans les opinions publiques, il nous semble tout de même que cette passion est plus mesurée). Et si, en réalité, elle n'opposait que le héraut égocentrique de l'"Amérique d'abord" et le partisan nostalgique de l'"Amérique devant" (les autres) ?

Rien ne ressemble plus à "America First" que "USA Go Home"...


L'hypothèse optimiste (on avoue qu'on l'a partagée, pour un temps) d'une "normalisation" de Trump par la Raison d'Etat et l'exercice du pouvoir a été totalement démentie, après quelques mois : dès 2017, le président des USA s'est pris pour le Tsar de toutes les Amériques : "j'ai le droit de faire ce que je veux avec le ministère de la Justice". Deux ans plus tard, il ajoutait que la Constitution elle-même lui donnait "tous les droits". Et en juillet 2019, il concluait : "Je peux faire ce que je veux en tant que président". Même être réélu ? Même. Et même si Trump est d'abord une nuisance pour les Etats-Unis et leur peuple. Ou leurs peuples. Quant à Biden, il apparaissait de plus en plus clairement comme le candidat d'une restauration : celle du prestige américain, sérieusement mis à mal par un président immature, vulgaire, inculte et irresponsable.

On mesurera l'incompétence crasse du président sortant (mais pas encore sorti) de l'encore première puissance mondiale en matière de politique étrangère, et les dégâts faits par cette incompétence à l'image et à l'influence des USA dans le monde, en se souvenant de l'échec de sa tentative de mise au pas de la Corée du Nord et à sa grotesque proposition d'acheter le Groenland au Danemark : "ce serait comme une grosse transaction immobilière", et "stratégiquement, pour les Etats-Unis, ce serait sympa". Le refus incrédule du royaume scandinave de donner quelque réponse à cette offre absurde avant fâché Trump, qui du coup avait annulé une visite prévue à Copenhague et une rencontre prévue avec la Première ministre et la Reine.

Que changerait l'élection de Biden ? Tout, et rien. Tout, parce qu'elle débarrasserait les USA d'un président nuisible -mais nuisible d'abord aux USA. Rien, parce que les USA resteraient une superpuissance égocentrique. D'un égocentrisme plus policé, mais pas moins (et même peut-être plus...) impérial, même sur un mode plus soucieux de multilatéralisme, au moins apparent. Le "chacun pour soi" de Trump céderait la place au "tous pour nous" habituel, et la fascination morbide pour les hommes forts, modèle Poutine ou Erdogan (et même, un temps, Xi Jinping et Kim Jung Un) à la recherche de coalitions d'Etat autour des Etats-Unis. Les USA réintégreraient vraisemblablement l'OMS qu'ils ont laissé à la maîtrise chinoise, le Conseil des droits de l'Homme, l'accord de Paris, peut-être l'accord sur la dénucléarisation de l'Iran, et ils resteraient à l'OIT et à l'UIT,  ils ne seraient plus la "superpuissance voyou" décrite par le politologue Robert Kagan, mais resteraient, évidemment, une superpuissance. Confrontée à la concurrence d'une nouvelle superpuissance : la Chine. Le projet de politique étrangère du parti démocrate n'a d'ailleurs rien d'un projet anti-impérialiste : en réalité, il vise à refaire des Etats-Unis le "guide du monde démocratique". En mars, Joe Biden l'écrit dans "Foreign Affairs" : les Etats-Unis ne doivent pas seulement restaurer leur influence "par l'exemple de (leur) puissance, mais aussi par l'exemple de (leur) puissance". En somme, il s'agirait d'en revenir au monde d'avant, de fermer la parenthèse trumpiste. "Il revient aux Etats-Unis de mener la marche", écrit Biden, parce que sinon, "soit quelqu'un d'autre prendra la place des Etats-Unis" au sommet de la hiérarchie des superpuissances (ce "quelqu'un d'autre" étant évidemment la Chine), "soit personne ne le fera, et le chaos s'ensuivra". Pour éviter de se retrouver à devoir choisir entre la Chine et le chaos, il convient donc de restaurer un ordre international dominé par les Etats-Unis, leur pouvoir (le "hard power") et leur influence (le "soft power"). Comme si un ordre international se résumait à une hiérarchie des puissances. Comme si les USA pouvaient retrouver la place prééminente qu'ils avaient au sortir de la Guerre Mondiale, et avaient retrouvé après l'effondrement de l'empire soviétique...

Tout chef d'Etat a les intérêts de son Etat comme priorité : le "America First" de Trump, s'il est plus tonitruant que les autres proclamations du même genre venant d'autres chefs d'Etat, ne dit finalement pas autre chose que ce que disent Poutine ou Xi Ji Ping. Ou même ce dit Biden (le choix entre l'un et l'autre, ce n'est au fond que le choix entre "Amérique d'abord" et "Amérique dessus" (les autres). Sauf qu'en quatre ans de trumpisme au pouvoir, les USA se sont considérablement affaiblis, et ont affaibli leur "soft power" (leur capacité de séduction, en somme)  sur la scène internationale. Pas par faiblesse, mais du fait des choix délibérés de son gouvernant et de son administration. Des choix qui, en revanche, ont renforcé la Russie et la Chine. Et auraient pu renforcer l'Union Européenne si elle avait été capable d'en saisir l'opportunité offerte par la Maison Blanche. Le retrait des USA "du Moyen-Orient a permis à la Turquie, la Russie et l'Iran d'y prendre une place plus importante, et leur retrait  des grandes organisations internationales (comme l'Organisation mondiale de la Santé) a laissé la Chine d'y prendre toute la place qu'elle ambitionnait de prendre, et qu'elle a désormais les moyens de prendre pour devenir une sorte d'alternative aux USA.

Trump a plus fait pour dissoudre le "rêve américain" que trois quarts de siècle de philippiques anti-américaines. Et on se demande pourquoi cette part de la gauche européenne, sud-américaine, africaine, asiatique, qui dénonce depuis 1945 l'impérialisme américain ne soutient pas clairement un président qui a plus affaibli l'image de l'empire honni que Fidel Castro, Ho-Chi Minh et Mao Tsétoung réunis. Vous êtes anti-américains primaires ? c'est la réélection de Trump et "four more years" de trumpisme que vous devriez souhaiter : après tout, rien ne ressemble plus à son "America First" que le bon vieux "USA Go Home", non ? 



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