Mobilisation internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes :

Contre TOUTES les violences

Mercredi dernier se manifestait, se marquait de quelque manière que ce soit, la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes. De toutes les violence, contre toutes les femmes. Les collectifs romands de la Grève féministe et des femmes avaient décidé de faire de cette journée une journée de lutte pour une révision du Code pénal qui fasse valoir que tout acte sexuel non consenti n'est plus tolérable, ce que la Convention d'Istambul, ratifiée par la Suisse et en vigueur depuis deux ans, exprime en terme clairs : "le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne concernée dans le contexte de circonstances environnantes". Sans ce consentement, ainsi défini, et qui doit être explicite et  préalable à l'acte sexuel, celui-ci tient du viol. Cela posé, le viol n'est pas la seule forme de violence exercée contre les femmes, s'il en est le paroxysme -et cette journée est bien une journée de lutte contre LES violences faites AUX femmes -du viol au harcèlement de rue et à l'injure.

La lutte pour la libération des femmes est aussi une lutte pour la libération des hommes. Parole de cisgenre.

Depuis le 1er juillet dernier, les victimes de violences domestiques et de harcèlement sont mieux protégées par les codes civil et pénal suisses, mais dans ce dernier, la définition de la pire des violences contre les femmes (même si les femmes n'en sont pas seules victimes), le viol, n'a pas changé : il est toujours exigé pour qu'il soit considéré comme un viol qu'un acte sexuel ait été imposé, par un homme à une femme, par la violence ou la menace -que la victime ait refusé cet acte ne suffit pas, il faut qu'elle lui ait opposé une résistance, même lorsqu'elle n'en était pas capable,  alors qu'une convention internationale (celle d'Istambul), entrée en vigueur en 2018 en Suisse, prévoit expressément que l'absence de consentement à un acte sexuel est, lorsque cet acte est commis, qualificative d'un viol.  Or plus d'une femme sur cinq  en Suisse ont subi en 2019 des actes sexuels sans y avoir consenti, et plus d'une sur dix ont été violées, au sens restrictif que la loi donne du viol. Mais seules 8 % ont porté plainte dans le délai légal : la honte de la victime et la crainte de n'être pas entendue jouent à plein pour la dissuader de faire valoir ses droits. En outre, le harcèlement de rue n'est pas reconnu comme un délit par la loi suisse, tant qu'il ne se manifeste pas par des insultes, des menaces ou des attouchements.

La violence et le harcèlement sexuels, et le viol même, ne sont pas des épiphénomènes, des pratiques et des actes exceptionnels, explicables seulement des perversions, des pathologies, mais sont des pratiques et des actes fréquents, récurrents, normés. Même lorsque le code pénal les définit comme des crimes (mais en en donnant une définition restrictive), ce sont des crimes communs. Et  sans doute de tous les crimes les plus répandus. Mais pas les mieux connus : la sociologue Marylène Lieber constate qu'on a "une représentation très forte du danger associé à l'espace public alors que les violences les plus graves ont lieu dans l'espace privé, dans la famille ou le couple". Et que les différentes formes de violences à l'encontre des femmes ont en commun d'être motivées par une volonté de les contrôler ou de "réaffirmer la dimension masculine des espaces comme la rue". Pour "Le Monde", la journaliste Lorraine de Foucher et une dizaine de ses consoeurs et confrères ont analysé 121 meurtres de femmes commis par leurs conjoints en 2018, et constatent que loin d'être des coups de folie, ces meurtres sont des actes d'anéantissement, des "surmeurtres", des "overkills" (on donne beaucoup de coups qu'il n'en faut pour tuer) structurés, obéissant à- un schéma récurrent : "il existe un système derrière ces meurtres" et ces meurtres peuvent être qualifiés de "féminicides" dès lors qu'"une femme meurt parce qu'elle est une femme", et le plus souvent parce qu'elle échappe, ou veut échapper, ou menace d'échapper, ou pourrait échapper à l'emprise de son compagnon, qui la considère comme sa propriété, "sa chose". Cette violence fait système : elle frappe des femmes de tous les milieux, de toutes origines, de toutes générations.

"J'attends que (les femmes) fassent la révolution. Je n'arrive pas à comprendre, en fait, qu'elle n'ait pas déjà eu lieu" : ce sont les derniers mots écrits de Gisèle Halimi, décédée le 28 juillet dernier. On les retrouve dans son témoignage posthume, "Une farouche liberté" (Grasset). Que "n'arriv(ait) pas à comprendre" l'avocate et militante de 93 ans ? Que trop de femmes "consentent à leur oppression" -un consentement "mué en complicité" que "religion et culture se liguent depuis des siècles pour fonder". Comme disait Balzac, "la femme est une esclave qu'il faut savoir mettre sur un trône". Et ce brave Montaigne, quel sort lui réserver, lui qui écrit  : "il me semble, je ne sais comment, qu'en toutes façons la maîtrise n'est aucunement due aux femmes sur des hommes, sauf la maternelle et naturelle : si ce n'est pour le châtiment de deux, qui par quelque humeur fiévreuse, se sont volontairement soumis à elles(...). Car cet appétit déréglé et goût malade, qu'elles ont au temps de leurs (grossesses), elles l'ont à l'âme, en tout temps". Et Gisèle Halimi, pour qui "on ne naît pas féministe, on le devient", de rappeler La Boétie et "la règle qui perpétue les grandes oppressions de l'histoire : sans le consentement de l'opprimé (individu, peuple ou moitié de l'humanité), ces oppressions ne pourraient durer". C'est ce consentement de l'opprimée à l'oppression que le mouvement féministe lève, pour lui même d'abord, pour toutes les femmes ensuite. Et, in fine, pour les hommes eux-mêmes : la lutte pour la libération des femmes est aussi une lutte pour la libération des hommes, prisonniers (volontairement ou non) des rôles, des comportements, des positions sociales héritées. Et de leur propre peur, séculaire, voire millénaire, des femmes.

Ainsi la libération des femmes sera, forcément, une remise en cause fondamentale de l'ordre social. : c'est en quoi le féminisme est révolutionnaire. Parole de cisgenre...


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