L'Union Européenne s'émancipe de la Grande-Bretagne (mais pas encore l'Ecosse de l'Angleterre)
Brexciting
Ouf ! le Brexit, c'est fait : un accord a finalement été signé entre
le Royaume-Uni et l'Union Européenne pour sa mise en oeuvre. Un
accord sans vainqueur, chacune des parties devant abandonner des
revendications initiales. Reste évidemment à assumer, de part et
d'autre de la Manche, les conséquences d'une rupture dont la
plupart des partisans ne mesuraient précisément pas les
conséquences. L'accord ne satisfait peut-être personne (même
pas, quoi qu'il en joue, Boris Johnson) mais soulage tout le
monde, y compris, en Grande-Bretagne, les partisans du maintien
dans l'Union (un mauvais accord valant mieux, pour eux, qu'un
"no deal") et, au sein de l'Union, les partisans de son
renforcement politique, social et environnemental, à quoi
précisément le Royaume-Uni s'était opposé depuis son entrée dans
la communauté européenne -au point qu'on se dit (comme De Gaulle
le disait) qu'il n'y était entré que pour cela : l'entraver.
Finalement, de l'Union Européenne et de la Grande-Bretagne,
celle qui s'émancipe de l'autre n'est sans doute pas celle qui
le clame le plus fort. Et qui, en quittant l'Union, laisse son
vieil adversaire historique, devenu allié et partenaire, la
France, en être désormais le seul Etat à siéger au Conseil de
Sécurité de l'ONU, à disposer d'une force nucléaire et à avoir
l'ambition d'une politique extérieure autonome de celle des
Etats-Unis, même si elle n'a pas à elle seule les moyens de
cette ambition -d'où sa volonté d'en doter l'Europe. Parce que
c'est désormais à ce seul niveau qu'il est possible de tenir
tête aux USA et à la Chine.
Hier, Boris Johnson a annoncé le reconfinement presque total des Britanniques...
Le Royaume Uni a quitté l'Europe. Mais le Brexit s'est attaqué à tout ce qui constituait le Royaume-Uni, à commencer par son unité
Le départ du Royaume-Uni de l'Union Européenne ne rebat pas seulement les cartes continentales, elles rebat le jeu mondial : la Grande-Bretagne perd ses députés et ses commissaires européens, l'Union Européenne perd un siège permanent au Conseil de Sécurité. Et les Etats-Unis un pion dans l'Union Européenne -il est vrai qu'entre l'entrée du Royaume-Uni dans l'UE et sa sortie de l'UE, ils ont pu en placer de nombreux autres, de pions : les Etats de l'ex-bloc soviétique, dont les représentants au sein des instances européenne, écrit Serge Halimi "se montrent toujours incapables d'aligner deux idées dans une autre langue que l'anglais" -et ne le font en anglais qu'avec des mots choisis par le département d'Etat américain, qu'il soit celui d'Obama, de Trump ou de Biden n'y changeant pas grand'chose. Depuis qu'il était entré dans ce qui est aujourd'hui l'Union Européenne, le Royaume-Uni y a joué le double rôle, parfaitement complémentaire, de cheval de Troie des USA et d'entrave à la construction d'une Europe "sociale" digne de ce nom. Or dans tous ses rapports avec le reste du monde, qu'elle soit celle de Trump ou celle de Biden, "on s'apercevra que c'est toujours la même Amérique, celle des sanctions extraterritoriales", celle qui, forte de sa puissance, s'arroge le droit de décider pour les autres, prévient l'ancien ministre des Affaires étrangères français Hubert Védrine, qui ajoute que seule une "puissance qui se fait respecter" peut faire face à cette puissance-là. Or si la Chine est, précisément, cette "puissance qui se fait respecter", l'Europe est loin de l'être -parce qu'elle ne veut pas l'être, qu'elle a peur de l'être, qu'il est plus confortable de se placer sous le parapluie américain (même s'il se referme sur vous) que risquer prendre la pluie : "les Européens sont dans leur bulle, ce sont des Bisounours dans Jurassic Park"...
Le Brexit peut-il réveiller
l'Europe ? le retrait de la Grande-Bretagne de l'UE fait en
tout cas de la France la principale puissance militaire (et la
seule puissance nucléaire) de l'Union, et la seule siégeant
comme membre permanent du Conseil de Sécurité de l'ONU. De ce
point de vue, le Brexit n'est pas une victoire des Anglais,
mais de la France, à défaut de l'être de l'Europe Le
sociologue allemand Wolfgang Streek estime même, dans "Le
Monde Diplomatique" qu'elle "pourrait aspirer au statut
d'unificatrice de l'Europe"...sauf qu'elle perd, sinon un
allié, du moins un contrepoids possible dans son rapport avec
l'Allemagne qui, elle non plus n'entend pas se soustraire au
protectorat américain, et semble même aussi incapable que les
anciens Etats du glacis soviétique d'en envisager l'hypothèse.
Du moins a-t-elle admis, poussée
par une pandémie socialement et économiquement ravageuse, la
nécessité d'un plan européen de relance européen sans exemple
depuis que l'Union Européenne existe -et à plus forte raison,
depuis la création des premières communautés européennes. Or
ce plan de relance européen dont l'Union a accouché,
en surmontant quelques guérillas d'arrière-garde, eût été
impossible à faire admettre au Royaume-Uni s'il était resté
membre de l'Union. C'est parce que Londres n'est plus dans
l'UE que l'UE a pu décider d'injecter 750 milliards d'euros
dans sa propre économie et sa propre société, en finançant
une bonne partie de ce plan par une dette commune, et en
affectant prioritairement les ressources ainsi dégagées au
soutien aux économies les plus fragiles de ces membres
-celles de l'Europe du Sud.
"Il y a une chance sur un million pour que le Royaume-Uni quitte l'Union Européenne sans accord", plastronnait Boris Johnson en juin 2019, quand il n'était pas encore Premier ministre. Un an et demi plus tard, devenu Premier ministre, il admettait encore "une forte possibilité" pour une séparation sans accord. Il est vrai que "Bojo" est un habitué du double discours, synchronique ou diachronique : fin 2019, il assurait aux unionistes nord-irlandais qu'il n'y aurait "aucun contrôle" douanier en mer d'Irlande après le Brexit effectif. Un an plus tard, le Royaume-Uni et l'UE sont tombés d'accord sur un protocole nord-irlandais qui prévoit des contrôles en mer d'Irlande et laisse les pêcheurs de toute l'Europe ratisser les eaux britanniques à 75 % de ce qu'ils ratissaient avant le Brexit. Le Premier ministre britannique savait qu'un Brexit sans accord coûterait plus cher à son pays (une quarantaine de milliards de livres) qu'à l'Union, alors que le Royaume-Uni est l'un des pays (avec la Suisse...) de l'OCDE les plus touchés par la coronapandémie. Un "no deal" lui aurait coûté deux points de croissance de plus que ce que le Brexit avec accord, ajouté à une pandémie plus mal maîtrisée qu'ailleurs lui coûtera de toute façon...
Le Royaume Uni a quitté l'Europe.
Mais le Brexit s'est attaqué à tout ce qui
constituait le Royaume-Uni, à commencer par son unité. Le
choix, binaire, simpliste, caricatural qu'il imposait, une
campagne référendaire submergée par un flot de mensonges
déversés par les brexiters les plus radicaux, comme Nigel
Farrage, non sans que Boris Johnson lui-même n'y prenne sa
part, a fait exploser les deux principaux partis politiques
anglais, opposé les générations, dressé les villes contre leurs banlieues,
provoqué une étrange guerre des classes (ouvriers
anglais contre le reste du Royaume-"uni"), dressé Londres
contre le reste de l'Angleterre et l'Ecosse contre
l'Angleterre, rapproché l'Irlande du nord de la République
d'Irlande, et donné à une force politique xénophobe, l'UKIP
de Farrage, l'occasion de rafler 27 % des suffrages lors
d'une élection générale (celle du parlement européen, en
2014) : un record historique en Grande-Bretagne, pour un
parti de ce genre. L'étrange alliance de la carpe
néo-libérale et du lapin ouvrièriste, de ceux qui rêvent
d'une Angleterre transformée en paradis fiscal et de ceux
qui rêvent d'un retour à l'Angleterre d'avant Thatcher a
vaincu ses adversaires divisés, mais à quel prix ? celui de
la réduction du Royaume-Uni à l'Angleterre ? En mai se tiendront les élections au parlement
écossais. Nicola Sturgeon, Première ministre d'Ecosse,
annonce qu'elle veut les gagner avec un programme
incluant une demande de référendum sur l'indépendance
-un référendum à organiser dans le respect de la
légalité britannique, pour éviter une impasse à la
catalane, mais que Boris Johnson a refusé d'accepter
d'organiser, au prétexte qu'il ne faudrait pas organiser
de référendum plus "d'une fois par génération" (ce qui
sonne étrangement à des oreilles suisses, habituées à
des référendums multiples tous les trois mois). Or si «
Bojo» n'en veut pas, de ce référendum, c'est sans doute
parce qu'il craint fort que Sturgeon, la nationaliste
écossaise, le gagne et que lui, le nationaliste anglais,
le perde.
Commentaires
Enregistrer un commentaire