"Pour sauver l'économie, il faut d'abord sauver les gens"


 
Les faibles, les forts, les morts

"Une crise insistante est une épreuve, les forts la traversent, les faibles y succombent, le centre ne craque pas à chaque coup", écrivait Fernand Braudel en 1977, trois ans après le déclenchement de la grande crise pétrolière. Quelle épreuve est la crise du Covid, et pour qui ? Qui sont les forts qui la traversent, et à quoi leur force se mesure ? Qui sont les faibles qui y succombent, et qui les laisse y succomber? L'économie souffre de la pandémie ? Sans doute. Mais pas toute l'économie : les secteurs des technologies de numérisation, de communication, de la chimie, les pharmas, les GAFA et les réseaux sociaux se portent mieux que jamais. Les pompes funèbres, aussi, paraît-il. Et on n'a jamais autant vendu de vélos, mécaniques ou électriques. Cette part-là de l'économie n'est pas à "sauver" : elle est nourrie par la crise. Et de toute façon, "pour sauver l'économie, il faut d'abord sauver les gens",  rappellent les chercheurs américains, Phillip Alvelda, Thomas Fergusson et John C. Mallery. Ce devrait être une évidence : là où il n'y a personne, il n'y pas d'économie. Et dans tous les pays qui ont cru devoir "sauver l'économie" d'abord et les gens ensuite (si on a le temps) on a sauvé ni l'une, ni les autres. Et ce n'est pas affaires nationales, mais enjeu mondial.

Un mondialisme qui n'est pas une idéologie, mais une nécessité

Les conséquences les plus lourdes de la crise pandémique ne sont pas sanitaires, médicales, mais sociales : La coronapandémie et les mesures prises pour la combattre ont creusé les inégalités dans le monde, en frappant bien plus durement les sociétés les moins bien préparées à y répondre (les 47 Etats les moins développés, qui ne pèsent que 1,3 % du produit intérieur brut mondial mais 13 % de la population humaine du globe) et les populations moins bien protégées, et celles moins bien équipées. La crise déclenchée par la pandémie au début 2020 a provoqué un recul de l'indice de développement humain (IDH) tel qu'il a effacé six années de progrès, ramenant notamment les conditions en matière d'éducation à celles qui prévalaient... il y a soixante ans... et cela, sans même tenir compte de la situation spécifique des filles et des femmes, plus durement touchées que les garçons et les hommes par la précarité salariale, scolaire, sanitaire, sociale, et par les violences domestiques. 207 millions de personnes supplémentaires pourraient basculer dans le dénuement absolu, dans lequel un milliard de personnes pourraient se retrouver dans quelques années (la crise pourrait durer dix ans). En 2021 déjà 32 millions de personnes supplémentaires vont se retrouver devant subsister avec moins de 1,9 dollar par jour (le seuil de la pauvreté extrême selon la Banque Mondiale). 

A mi-avril 2020, 1,7 milliard d'enfants et d'adolescents n'avait plus accès à l'école dans 147 pays, et des milliers d'enfants sont en danger constant de mourir d'autres maladies que le covid du fait du ralentissement des programmes de vaccination. Oxfam, dans un rapport ("Shelter in the Storm") sur les politiques menées par les pays à faible et moyen revenu pour tenter d'aider leurs populations face à la pandémie, conclut à leur lourde insuffisance : aucune des injections de fonds publics dans ces pays n'a été suffisante pour répondre aux besoins. Et les inégalités se sont encore creusées entre les pays qui ont pu consacrer des moyens suffisants à faire face aux conséquences sociales de la lutte contre la pandémie, et ceux qui ne disposaient pas de ces moyens. Il a été dépensé plus de 10'000 milliards de francs suisses en 2020 pour répondre à la crise sanitaire et sociale, mais 83 % de ces ressources ont été investies dans seulement 36 pays (les plus riches), les 54 pays les plus pauvres n'en bénéficiant que de 0,4 %. Et un tiers de la population mondiale (soit 2,7 milliards de personne) n'a reçu aucune aide.

Ces chiffres relativisent ceux qui résument la crise dans nos pays ? Non, ils s'y ajoutent. Mais ils disent, par le fait même, que ce que nous avons sous les yeux n'est pas toute la réalité, et que les urgences auxquelles on doit répondre ici ne résument pas l'urgence d'une réponse mondiale à une crise mondiale. Ce mondialisme-là n'est pas une idéologie, juste une nécessité.

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