Initiative "anti-burqa" : un débat à la con

 

De qui être l'idiot utile ?

Le débat qu'on subit depuis des semaines sur, autour, à propos de l'initiative dite "anti-burqa" (puisqu'on ne retient que cela d'elle), on s'est laissé aller à le qualifier de "débat à la con". Qualification peu élégante, un tantinet réductrice, mais tout de même assez ressemblante à ce qu'elle qualifie. Qu'est-ce qu'un "débat à la con" ? C'est un  débat dont les termes sont si foireux qu'on n'y peut débattre, juste y prendre une posture. Et que quelque position que l'on y prenne, elle sera récusée comme étant celle d'un idiot utile : des xénophobes si on appelle à voter pour l'interdiction de la burqa, des islamistes si on appelle à voter contre.  Enthousiasmant dilemme : être l'idiot utile islamophobe de Jean-Luc Addor ou celui islamogauchiste de Hani Ramadan.  Or s'il nous arrive comme à tout le monde d'être idiot, nous essayons tout de même de l'être inutilement, et quand il nous prend de vouloir être utile, de ne pas l'être idiotement. Comment sortir de ce piège à cons ? appeler à l'abstention, au vote blanc ou au vote nul, se dire que de toute façon, inscrire une  boeuferie dans la constitution, ça ne la fait pas être autre chose qu'une  boeuferie. Après tout, notre Constitution commence bien (comme la constitution iranienne...)  par "Au nom de Dieu", et ça le fait pas exister, Dieu... Pourtant, on ne s'est pas abstenu, ni voté blanc, ni voté nul. Parce que l'abstention est par définition insignifiante même quand elle est massive, que le vote blanc ne dit rien de plus que renvoyer le "non" et le "oui" dos à dos et que le vote nul ne l'est pas moins que le débat en cours.

Nous serons vraisemblablement minoritaire le 7 mars à midi. Et alors ?

On a donc voté, avec notre tête plutôt qu'avec nos tripes, et voté "non" à 'initiative dite "anti-burqa". D'abord parce qu'une norme vestimentaire n'a rien à faire dans la charte fondamentale d'un Etat. Sinon,  quelle sera la prochaine étape de la transformation de la constitution en réceptacle de tous les fantasmes ? l'inscription dans la constitution fédérale d'une norme gastronomique (interdire les nourritures hallal et kasher) ? d'une norme capillaire (interdire les barbes) ?

Ensuite parce qu'obliger les femmes à se voiler ou les obliger à se dévoiler, c'est toujours leur dire ce à quoi elles doivent ressembler, comme si elles étaient, surtout si elles sont immigrantes, incapables d'en décider elles-mêmes. "Libérez-vous, c'est un ordre !" est certes un vieux fantasme de gauche,  mais s'il suffisait aux femmes de se dévoiler pour être libres, on aurait un peu de peine à expliquer un siècle de combats féministes contre tout ce qui les rendait serves dans des pays où elles ne se voilaient pas la face...

Enfin, l'initiative udéciste s'inscrit quand même dans un magma de réflexes qui au bout du compte, ou du mécompte, ressemblent comme des faux frères à ceux qui avaient produit l'une des premières initiatives populaires de la Suisse moderne, celle qui interdisait l'abattage rituel juif des animaux. A l'époque, on batifolait dans le vieil antisémitisme judéophobe, on a juste changé la cible, remplacé le judaïsme par l'islam.Prenez les textes antisémites du début du siècle, genre Drumont, ou ceux des années trente, genre Oltramare pour rester local, remplacez les références aux juifs par des références aux musulmans du genre que celles qu'on trouve dans pleins de sites d'extrême-droite, vous resterez dans le cadre...

Sur les panneaux d'affichage, c'est une djihadiste menaçante, lunettée et empaquetée de noir, qui illustre l'appel des initiants à voter "oui"... La burqa, pour ceux qui veulent l'interdire,  c'est un prétexte, une sorte de reconquête des lieux saints à petit budget et sans risque. mais qui peut croire qu'on va réduire l'extrémisme religieux par une norme vestimentaire ? ce serait si simple, si facile  : interdisons la burqa, le niqab et les minarets et pulvérisons du même coup l'islamisme... mais la burqa est interdite en France, nul n'y a vu reculer l'extrémisme religieux, les emburquées et eniqabées sont pour la plupart des Françaises converties, certaines se voyant produire un geste subversif par leur propre empaquetage, une transgression dans cet instrument de soumission : "plus que des musulmanes qui se sont radicalisées,. on a affaire à des radicales qui se sont islamisées", résume la sociologue Agnèe De Féo.

Et puis, il y a cette mystification, qui tient de la bouffonnerie : la conversion de l'UDC et de ses sous-marins  au féminisme et à la défense des droits des femmes, à l'image des Jeunes UDC vaudois détournant dans une vidéo appelant au vote de l'initiative des entretiens avec des militantes du collectif de la Grèves de femmes, logo de la grève à l'appui.  Des udécistes féministes, c'est nouveau, miraculeux même, mais ça leur passera sitôt le vote passé. D'autant que s'il est leur faveur, il n'aura aucune effet positif sur les droits et la situation des femmes en Suisse -sauf à punir d'une double peine des femmes victimes de la contrainte pesant sur elle au lieu que d'en punir  ceux (ou celles) qui les contraignent : on aura dévoilé la femme, la fille, la soeur -le mari, le père, le frère pourront continuer à écouter pousser leur barbe en se tripotant les génitoires sous le khamis. La quasi totalité des organisations et des mouvements féministes, avec la Grève des femmes pour qui l'initiative est tout à la fois "sexiste, raciste, islamophobe et liberticide",  appellent d'ailleurs à voter "non" à l'initiative, rejointes (sur ce mots d'ordre, en tout cas) par les femmes catholiques (SKF), protestantes (FPS) et juives (USFJ).

Ce "front féminin", comme celui de la gauche (politique et syndicale), rame cependant à contre-courant : l'air (malsain) du temps porte l'initiative. Nous serons donc vraisemblablement minoritaire le 7 mars à midi. Et alors ? ce ne sera pas la première fois, ni la dernière... On s'en accommodera sans désespoir. Et peut-être même s'en flattera-t-on : cette aristocratie-là est la seule qui soit dans nos moyens.

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