L'étrange procès de Monsieur Maudet
Le jury délibère encore
"Celui qui brûle de l'ambition d'être édile, tribun, préteur,consul, dictateur, crie qu'il aime sa patrie, et il n'aime que lui-même" (Voltaire)
L'étrange procès de Maudet aura tout de même mis
en une lumière assez crue l'écheveau de copinages, d'abus
d'autorité, de petits marchandages implicites, de prêtés pour
des rendus, qui sont l'étoffe dont sont tissés les
fonctionnement d'un vieux système politique plus ressemblant à
une oligarchie qu'à une démocratie : prévenu d'abus d'autorité
pour avoir accéléré, sur intervention du chef de cabinet du
Conseiller d'Etat Pierre Maudet, l'octroi d'une autorisation
d'ouverture à un bar dont le dossier était incomplet, l'ancien
chef du Service du commerce, Raoul Schlumpf, avait été chef de
cabinet du Conseiller administratif Pierre Maudet. Et expliqua
au tribunal que "quand le chef de cabinet parle, c'est le
Conseiller d'Etat qui parle". Et le chef de cabinet en
question, l'ancien Conseiller municipal socialiste Patrick
Baud-Lavigne, explique, lui, n'avoir pas pris part au voyage de
Maudet à Abu Dhabi en tant que chef de cabinet, mais en tant
qu'ami de Maudet. Qui avait aussi pour ami l'entrepreneur
Antoine Daher, organisateur du voyage se présentant comme la
"courroie de transmission" entre Maudet et un autre accusé et un
autre entrepreneur, Magid Khoury. On résume ? On résume : On a
un Conseiller d'Etat, un chef de cabinet, un chef de service et
deux entrepreneurs. Le Conseiller d'Etat est l'autorité de
tutelle du chef de service, qui fut son chef de cabinet quand le
Conseiller d'Etat était Conseiller administratif. Devenu
Conseiller d'Etat, il a pour
chef de cabinet un ancien Conseiller municipal socialiste, qui
lui sert de courroie de transmission avec les deux
entrepreneurs, dont l'un est sous-traitant de l'autre, et qui
sont tous les deux courroies de transmission avec les
potentats d'Abu Dhabi. De la politique comme d'un mécanisme...
"Je ne suis pas quelqu'un sous
influence", a assuré Maudet la semaine dernière. Etrange
revendication d'autisme : comme si on pouvait ne pas être
"sous influence" quand on exerce des responsabilités, un
pouvoir, confiés par l'électorat, dans un cadre institutionnel
qui non seulement admet, mais même favorise les "influences"
et les financements intransparents . Maudet lui-même,
d'ailleurs, le reconnaît à propos du sondage payé par un homme
d'affaire, et utilisé pour sa campagne électorale : "c'est un
financement ordinaire de campagne politique". Ordinaire, comme
l'est l'influence exercée sur un homme politique par ceux qui
le soutiennent, et par cet homme politique sur ceux qui le
secondent : quand le chef du service du commerce accorde une
autorisation d'ouverture à un bar dont le dossier est
incomplet, c'est parce que le chef de cabinet du Conseiller
d'Etat le lui a demandé : "lorsque le chef de cabinet parle,
c'est le magistrat qui parle". Et quand le magistrat parle, on
l'écoute. Au
malheureux chef du service des autorisations de
commerce, coupable d'avoir accepté sur ordre du chef
de cabinet de Maudet d'accélérer la délivrance d'une
autorisation sans que le dossier idoine soit complet,
le procureur demande : "Comment font
ceux qui n'ont pas d'ami chef de cabinet" ?
Question idiote : ils attendent... le
procureur rappelle que qu'"on ne doit jamais exécuter
un ordre illégal". Facile à dire quand on est
procureur, plus difficile à respecter quand on est
chef de service et qu'on doit dire "non" au
représentant de son magistrat de tutelle... Lequel
magistrat ne fut bien, comme l'a rappelé le
Procureur, invité par les potentats d'Abu Dhabi à un
Grand Prix de Formule 1 que parce qu'il était
précisément Conseiller d'Etat...
Maudet a reconnu avoir menti :
ses mensonges, "c'était une faute". Et sa défense
a parfaitement raison de relever que "s'il n'y avait pas
eu de mensonge, il n'y aurait pas d'affaire". Mais ces
mensonges, la faute de Maudet, elle est comme inscrite
dans un système de connivences entrelacées qui est
précisément la marque du passage de la démocratie à
l'oligarchie, de la production de la seconde par la
première. Tracez les contours du "milieu politique"
genevois, vous y trouverez, pour rester à Genève, un
millier de personnes élues
dans les délibératifs et les exécutifs municipaux, au
parlement cantonal, au Conseil d'Etat, aux Chambres
fédérales, les directions des partis politiques, des
grandes organisations sociales (patronales, syndicales,
environnementales, d'entraide) et siégeant dans les
conseils des grandes entreprises publiques, la plupart de
ces fonctions étant évicdemment cumulables. Mais vous y
trouverez aussi les têtes du pouvoir judiciaire,
puisqu'elles sont élues, tacitement ou activement, par le
peuple, sur présentation par les partis politiques.
"Sous
le magistrat, il y a toujours un homme" : ainsi Maudet
a-t-il expliqué ses faiblesses, lors de la deuxième
audience du Tribunal de Police. Il aurait pu ajouter
qu'autour du magistrat et de l'homme, il y a tout un
système, celui qui vient de le juger, dont ils usent
autant qu'il use d'eux.
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