Procès de Pierre Maudet  : Juger un homme plutôt qu'un système ?

Un Conseiller d'Etat en procès, deux semaines avant le premier tour d'une élection où il est candidat à sa propre succession ? c'est sans doute une première suisse -il était logique qu'elle soit genevoise : le procès de Pierre Maudet (et de quatre comparses) s'est ouvert lundi devant le Tribunal de Police. Maudet est accusé d'acceptation d'avantages (un voyage à Abu Dhabi et un sondage). Ses avocats plaideront l'acquittement. Depuis bientôt trois ans, à la faveur des révélations successives dans les media, on a jaugé Maudet, et ludi prochain on va le juger. Mais on va juger un homme quand on devrait juger un système, celui qui l'a produit et que décrit en ces (justes) termes l'édito du "Courrier" de vendredi (on pourrait citer la "Tribune de Genève", mais on préfère citer un quotidien qui n'a jamais porté Maudet aux nues avant de le vouer aux Gémonies) : "tout un système fait de réseautage, de connivences et de cadeaux plus ou moins intéressés". Un système dont Pierre Maudet n'est de loin pas le seul à être à la fois le produit et l'acteur. Mais le seul acteur politique important à devoir répondre devant un tribunal.

Jugement d'un homme, blanchiment d'un système ?

Passer du statut de wonder boy à celui de bouc émissaire, du rôle de "meilleur d'entre nous" (Maudet, vu par Lüscher) à celui de traître, se retrouver devant un Tribunal de police comme un vulgaire resquilleur après avoir été présenté par son parti à toutes les magistratures possibles, y avoir été le plus souvent élu et réélu, y avoir été salué par ceux-là même qui prient aujourd'hui pour qu'il se ramasse dans les urnes après l'avoir présenté jusqu'au Conseil fédéral avant quelques mois plus tard de l'exclure du parti, on admettra sans peine que ce parcours, celui de Maudet, est hors-norme. Même à Genève.  Mais ce wonder boy politique, qui, au fait, nous l'a présenté tel, sinon ceux qui, peut-être pour se le faire pardonner, s'en font procureurs plus sévères que le Parquet ?

On va juger Pierre Maudet pour un voyage à Abu Dhabi, payé (50'000 francs) par les potentats locaux, et un sondage pré-électoral payé (34'000 francs) par quelques affairistes genevois. On ne jugera pas les liens d'intérêts qui ficellent la politique et financent les campagnes électorales dans ce pays. On ne jugera pas les versements effectués par un groupe hôtelier à des structures opaques vouées à soutenir Maudet. On jugera un homme, pas le système qui l'a produit.

Finalement, que Pierre Maudet soit condamné ou innocenté, à la fin de cette semaine ou au début de la semaine prochaine, assez peu devrait nous chaloir -à ceci près que s'il  devait être condamné, il y aurait  fort à craindre qu'on se tienne quitte d'aller plus loin : on aura trouvé un coupable (et quelques complices), on l'aura pris la main dans le sac mais le sac restera à disposition de plus habiles, de plus prudents, de plus discrets.  L'opération judiciaire ne serait alors qu'une opération de blanchiment du système que les fautes personnelles de Maudet ont pour un temps rendu visible. Alors bien sûr qu'un acquittement de Maudet renforcerait ses chances, qui en ont bien besoin, de sortir (avec un slogan de gauche, "Libertés et justice sociale") en tête des candidatures de droite à sa propre succession, mais cela, franchement, c'est le problème de la droite en général et du PLR en particulier : après tout, c'est de lui que sort Maudet, pas de nous, et Pierre Maudet n'est pas devenu Conseiller d'Etat en fomentant un putsch. De sorte que, pour clore l'"Affaire Maudet", quel que soit le verdict du tribunal, il n'est sans doute pas meilleur moyen que d'élire Fabienne Fischer au Conseil d'Etat.

Après quoi, pourra passer aux choses sérieuses : la publicité du financement des partis et des campagnes politiques, électorales et référendaires, et le dénouement des liens d'intérêts entre milieux politiques et économiques.

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