Quelle sortie de crise dans la culture ?


Déconfiner, réinventer

Cela fait bientôt un an que les lieux culturels ne sont plus, à quelques intermèdes près,  ouverts au public. Cette clôture des espaces de création et de représentation ne transforme pas seulement nos villes en déserts culturels, elle accroît aussi la précarisation, déjà endémique, des acteurs non salariés de la culture. Les collectivités publiques doivent agir dans l'urgence pour les aider, et les communes doivent le faire dans le cadre, étroitement normé par les cantons et la Confédération. Le Conseil administratif de la Ville de Genève dépose ainsi au Conseil municipal une demande de crédits complémentaires au budget. Ces crédits de quatre millions s'ajouteront aux aides déjà accordées et aux mesures déjà prises par la Ville, le canton et la Confédération pour aider les artistes. Pour la Ville de Genève, il s'agit d'apporter à celles et ceux qui n'ont pu exercer leur activité, ou n'ont pu la présenter au public, et du fait même des spécificités des activités culturelles n'ont pu bénéficier des aides proposées aux salariés et aux indépendants des secteurs commerciaux. La Ville va ainsi leur proposer des bourses de recherche sans exigence de production immédiate, des subventions urgentes, des résidences artistiques ponctuelles, des soutiens aux captations et aux diffusions des créations, des aides ponctuelles aux organisations professionnelles du secteur, des projets de valorisation du travail des artistes et des mesures de soutien aux media rendant compte de ce travail. Mais au-delà de ces actions immédiates, répondant à l'urgence, il y a des questions plus fondamentales auxquelles il va falloir donner des réponses plus générales, plus structurelles, avec des effets à plus long terme. Il ne s'agit rien moins que de faire du déconfinement le moment d'une réinvention du champ culturel, pour que le monde d'après ne soit pas qu'une renaissance du monde d'avant, sans autres changement que cosmétiques.

Il doit y avoir un bon usage de la crise que traverse le "monde de la culture"

Le 13 février, dans une dizaine de villes romandes, des centaines de créateurs, d'acteurs, d'intervenants, d'artisans culturels ont manifesté pour dénoncer la mise à mort, la congélation de "l'écosystème de la culture". Au motif de la lutte contre la coronapandémie, on a fermé les musées, les théâtres, les salles de cinéma, les salles de concert -mais laissé ouverts les supermarchés. Quelle cohérence dans ces mesures ? Montrer qu'on est capable de faire quelque chose, sans se préoccuper de savoir si c'est utile ? Est-ce dans les théâtres qu'on a décelé des "clusters" ? Quand on évoque le secteur culturel, on n'évoque pas une marge (sinon de celles par quoi, nous rappelle Jean-Luc Godard, tiennent ensemble les pages des livres), mais un secteur qui emploie au moins 6,3 % des personnes actives en Suisse (et plus du quart d'entre elles sont des acteurs indépendants)  et produit une valeur ajoutée d'au moins 15,2 milliards de francs. Pour la culture, la crise née de la pandémie et des mesures prises pour la maîtriser a été ravageuse, et ne va pas cesser une fois la Covid hors d'état de nuire massivement : elle va se prolonger pendant des années, si rien n'est fait pour la contrecarrer et remédier à ses effets. A court terme, il devient de plus en plus nécessaire de définir un statut d'artistes pour ceux qui ne sont ni salariés ni indépendants au sens légal du terme, et sont intermittents par définition. Ceux-là ont été les plus lourdement frappées par la crise née de la pandémie. Une crise qui a creusé un clivage entre celles et ceux, artistes ou techniciens, qui ont pu s'en sortir en appelant à l'aide et en remplissant les conditions d'obtention de cette aide, et ceux qui ne remplissaient pas ces conditions, et vivaient déjà avant la crise de petits mandats, de brefs engagements, de petits boulots, de fugaces événements, de fugaces publications, payés au lance-pierre ou en droits d'auteurs (suspendus pendant la crise) et souvent sans contrat et hors de tout cadre réglementé. Leur situation, d'ailleurs, relance le débat sur le revenu minimum, ou, comme mesure transitoire, des allocations forfaitaires inconditionnelles permettant à celles et ceux dont le revenu est inférieur au minimum vital d'au moins l'atteindre.

Il doit y avoir un bon usage de la crise que traverse le "monde de la culture", mais ce bon usage ne tombera pas du ciel. Et il devra donner réponse à quelques questions dont la crise elle-même renforce la pertinence : Comment inciter le canton à poursuivre après la crise son engagement dans le soutien à la culture après la crise ? Saura-t-on lui imposer d'accorder à la culture un petit pourcent de son budget (la Ville lui en accorde carrément le quart...) ? Va-t-on, enfin, mettre en œuvre l'initiative pour la culture, plébiscitée par le peuple mais dont on attend toujours la concrétisation par les lois sur la culture et la répartition des tâches culturelles ? Ce ne sont pas là minces enjeux, mais autant de conditions d'une réinvention du paysage culturel (genevois, puisque c'est d'ici que l'on parle). Et d'une réinvention qui va nécessiter un soutien important des collectivités publiques -de la Commune à la Confédération.

Les manifestations des milieux culturels, le 13 février, se faisaient sous le slogan "No culture, No Future". Même en anglais, ce devrait être une évidence. Et, à Genève et en français, un mandat politique.


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