Revenu de base universel, le retour

A chacun selon ses besoins

En juin 2016, un-e votant-e sur quatre a approuvé en Suisse une initiative populaire instituant un revenu de base universel. L'initiative a certes été refusée, mais plus de 60 % des personnes interrogées dans le cadre d'un sondage gfs souhaitent que la discussion se poursuive. Après l'échec de l'initiative, une nouvelle initiative populaire pourrait être lancée, avec un projet comparable : l'instauration d'un revenu garanti à chaque résident, qu'il travaille ou non. Ce revenu serait financé par une taxe sur les transactions financières et les gains en capital. L'idée refait donc son chemin -à pas comptés, la crise sociale provoquée par les mesures de lutte contre la coronapandémie lui redonnant une actualité incontestable : en témoigne le projet du gouvernement espagnol d'instaurer les premiers éléments d'un revenu universel, en le réservant dans un premier temps aux personnes laissées sans ressources par la coronapandémie, et en le fixant aux alentours de 400 euros. En Finlande, un test auprès de 2000 personnes pendant deux ans a abouti au constat que les bénéficiaires du revenu minimum garanti avaient été plus nombreuses à retrouver du travail qu'un panel de chômeurs, qu'elles le conservaient et se disaient à la fois moins stressées et plus productives. Une expérience comparable devrait être tentée en Allemagne.

Le revenu universel, c'est la nouvelle forme que peut prendre la protection sociale

Le revenu universel, au fond, c'est une vieille revendication socialiste  (le premier programme du Parti socialiste suisse, en 1888, préconisait la libération des travailleurs du travail salarié) abandonnée par les socialistes dès le début de la construction de l'Etat social, et qu'il serait temps qu'ils reprennent, ou retrouvent quand d'autres qu'eux la proposent. Car le revenu universel, c'est la nouvelle forme que peut prendre la protection sociale : inconditionnelle, universelle, rationnelle. Et déconnectée du salariat. Et reconnectée au libre usage du temps. Et conforme au vieil objectif socialiste : "à chacun selon ses besoins"...Cette rupture, une partie de la gauche s'y refuse, alors même que les systèmes de protection hérités du long processus de socialisation du capitalisme montrent de plus en plus clairement leurs limites, leurs faiblesses -voire leurs nuisances : conditionnalité des aides, lien structurel avec le salariat traditionnel et incapacité de prendre en compte les nouvelles formes de salariat, ou de rémunération non salariale du travail, et plus encore du travail non rémunéré (qui constitue la plus grande part du travail effectivement fourni), contrôles tatillons, intrusifs et suspicieux sur les ayant-droit potentiels, fragilité des systèmes de retraite par capitalisation individuelle, tout devrait concourir à une remise en cause des systèmes de protection sociale hérités du XXe siècle. Mais cette remise en cause, que l'allocation universelle effectue en découplant radicalement le revenu du travail (au sens restrictif d'une activité productrice de marchandise), la gauche peine à s'y résoudre (la droite s'y refusant, ce qu'on comprend aisément, à l'exception de quelques cercles avant-gardistes en son sein, puisque depuis Adam Smith, sinon depuis Calvin, le travail rémunéré est une valeur cardinale ) -il est vrai que pour les marxistes, le travail est le moyen de l'émancipation du travailleur, et que pour les socialistes non-marxistes (y compris les libertaires) il est à la base de la construction, étape par étape, d'une société de travailleurs libres -une société où le travail resterait central, mais pas le travail rémunéré, Or, le revenu universel est précisément une rémunération du travail au sens de toute activité non professionnelle : associative, culturelle, domestique, formatrice. Et par ailleurs, une rémunération de l'existence sociale, remplaçant tous les minima sociaux disparates actuellement accordés, mais sans les réduire : le revenu de base doit permettre à lui seul de vivre dignement. Ainsi réduit-il la pauvreté, assure-t-il une meilleure rémunération des travaux les plus pénibles (en abolissant la contrainte de devoir s'y livrer pour assurer sa subsistance), abolit-il la stigmatisation de l'"assisté" (puisqu'à son aune, tout le monde est assisté), soutient-il les activités non marchandes (solidarité, création artistique). Quant au procès qui lui est fait de favoriser le dumping salarial, il est absurde : dès lors qu'un revenu suffisant pour vivre est garanti à toutes et tous sans même qu'elles et ils aient besoin d'un travail rémunéré, tous les salaires inférieurs à ce revenu garanti devront être augmentés si les employeurs veulent encore trouver qui que ce soit pour travailler pour eux. André Gorz voyait d'ailleurs, à raison, dans le revenu universel la possibilité donnée au travailleur de refuser un travail sous-payé, trop pénible ou dégradant.

Le revenu minimum est donc, aussi, un instrument du droit au travail -mais un droit au travail débarrassé de la mercantilisation du travail, puisque désormais indépendant du salariat, et d'un droit à un travail autonome, défini par celui qui le fait, non par celui qui le paie.

Quand on vous dit qu'elle est socialiste, cette idée de revenu minimum...

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