Echec annoncé des initiatives antipesticides : Une occasion manquée ?

Les sondages ont perdu de leur optimisme (et nous ont fait perdre du nôtre) sur les chances qu'ils donnaient naguère aux initiative antipesticides d'obtenir une majorité absolue des suffrages, dimanche prochain : ils annoncent désormais leur défaite, nette mais sans être écrasante. Ce serait alors une occasion manquée, de réformer une politique agricole qui ne sert plus guère qu'aux plus grosses exploitations. Ce qui est en cause dans le dénonciation de l'usage des pesticides dans l'agriculture, c'est bien cette politique basée sur la compétitivité économique et aboutissant à ce que le prix des productions agricoles suisses soit finalement fixé par la Migros et la Coop -la vente directe à la ferme ne pouvant être une alternative à la puissance de ce duopole. Résultat : deux fermes disparaissent en Suisse tous les jours et, comme le dit l'agriculteur jurassien bernois Paul Sautebin, "consomme dix calories pour en produire une", remplace les agricultrices et les agriculteurs "par une technobureaucratie parasitaire hors-sol (...) affaiblit l'immunité, la fertilité et la résistance des sols, qu'elle croit compenser par des artifices chimiques et mécaniques. Les coûts collatéraux en deviennent exorbitants  en termes de pollution, de santé publique, de perte de la biodiversité, de transport, de réchauffement climatique, de chômage, de bio-invasion, d'exode rural (...)". En réalité, l'agriculture sous pesticide détruit ses propres conditions de production, et l'émanciper des pesticides serait lui permettre de se réinventer, pour durer. D'ailleurs, sur les 51'000 exploitations agricoles suisses représentées par l'Union Suisse des Paysans, 8000 seraient favorables à l'une, l'autre ou les deux initiatives antipesticides. Il reste demain pour faire mentir les sondages...

Quand la population paie trois fois sa nourriture

L'agriculture suisse, et d'abord les petites exploitations et le secteur bio, a besoin d'un soutien public, le marché seul ne pouvant la financer, surtout si on lui impose des critères qualitatifs., Mais ce soutien public ne peut être, au nom précisément de ces critères, aveugle et inconditionnel. L'initiative "Eau Propre" va précisément dans ce sens critique : elle propose que les paiements directs aux exploitations agricoles ne soient possibles que si cette exploitation respecte la diversité, n'utilise pas de pesticides de synthèse et ne compte pas plus d'animaux d'élevage que sa capacité fourragère peut en nourrir.Il y aura donc pour l'agriculture dominante un effort exigeant à faire, et cet effort (notamment la formation à des techniques de production nouvelles, à des substituts naturels aux pesticides) devra être soutenu par la Confédération et les cantons. Pour le consommateurs, en revanche, et quoi qu'en disent les opposants aux initiatives, le passage au bio pourrait être financièrement neutre, puisque bénéfique à leur santé, et pourrait en outre être financièrement soutenu par la Confédération, voire les cantons. Le Conseil promet d'édicter des directives pour une moindre utilisation de pesticides dans l'agriculture suisse -promesse qui n'engage évidemment que ceux qui y accordent foi. Mais pourquoi le Conseil fédéral a-t-il renoncé à proposer un contre-projet à l'une, l'autre, ou chacune des deux initiatives "antipesticides" ? Parce qu'il ne veut pas aller plus loin que là où il campe ?

La Suisse doit importer 50 % de sa consommation alimentaire, dans le même temps où elle exporte une production laitière équivalant à 20 % des surfaces agricoles du pays. Elle importe autant (100'000 tonnes par an) de pâtons et de viennoiseries précuites qu'elle déclasse de céréales panifiables en fourrage. Et dans les produits alimentaires qu'elle importe, la plupart sont produits après usage de pesticides, dont des traces peuvent y subsister. L'initiative "Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse" propose d'ailleurs l'interdiction de l'importation d'aliments dont la production a fait usage de pesticides de synthèse.

On peut disposer d'une agriculture respectueuse de l'environnement, des droits de celles et ceux qui y travaillent et de la santé de la population, mais il faut pour cela changer de politique agricole. L'agriculture suisse est aujourd'hui dépendante des importations de pesticides, d'antibiotiques, de pétrole et même (s'agissant de l'agriculture industrielle) de fourrage. Et entre un tiers et la moitié des aliments qu'elle produit sont gaspillés -non par elle, mais par les distributeurs et les consommateurs.

La Confédération accorde pour 2,8 milliards de francs de paiements directs à 50'000 exploitations agricoles, et une subvention annuelle de 2,2 millions à l'Union suisse des paysans, statutairement apolitique, pour du travail de "communication publique". L'USP fait-elle campagne contre les deux initiatives antipesticides en étant payée pour cela par la Confédération ? Sa porte-parole assure que "pas un seul franc n'est pris pour les campagnes politiques", tout est destiné à la communication de base et aux projets de la faîtière paysanne. Grâce, notamment, à un site internet (www.agriculture.ch) qui renvoie, sur le thème de la protection des végétaux, à un autre site (www.agriculture-durable.ch) qui, lui, fait campagne contre les initiatives. Dans leur papillon "tous ménages", les partisans de l'initiative "pour une Suisse libre de pesticides de synthèse" dénoncent : "l'argent de nos impôts est utilisé pour financer une production alimentaire qui détruit les bases de notre existence : des sols sains, une biodiversité riche, un climat sain, et une eau potable propre". Et de résumer : "la population paie trois fois pour sa nourriture : avec les subventions, en payant le prix d'achat en magasin et pour les dommages environnementaux". Et pour financer les campagnes politiques du lobby paysan traditionnel contre les initiatives qui contestent la politique dont il profite ?

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