Les Américains rendent l'Afghanistan aux Talibans

Débandade

Le dernier soldat américain a quitté l'Afghanistan hier, laissant derrière lui le pays aux mains des Talibans. En deux semaines, les Américains ont évacué plus de 100'000 personnes,dont une majorité d'Afghanes et d'Afghans, mais il reste encore dans le pays au moins 250'000 personnes "vulnérables" (artistes, journalistes, magistrates et magistrats, collaborateurs des forces alliées), dont les Américains négocient avec les Talibans le départ en leur en remettant la liste, qui sera ainsi la liste de celles et ceux qui, non évacués, seront à la merci du nouveau pouvoir...Et la semaine dernière, 200 personnes, dont 13 soldats américains, ont été tués dans un attentat suicide revendiqué par Daesh, ennemi juré des Talibans revenus au pouvoir vingt ans après en avoir été chassés par les Américains pour les punir d'avoir hébergé Ben Laden -que les Américains avaient armé contre les soviétiques. L'ironie de l'histoire est féroce. L'hypocrisie de ceux qui croient la faire aussi.

Moins une débâcle qu'une débandade

Au fond, c'est moins à une débâcle qu'à une débandade qu'on assiste en Afghanistan. Or il ne peut y avoir débandade que s'il y a eu bandade : pour débander, il faut avoir bandé. Et nombreux sont ceux, potentats, militaires, démagogues vindicatifs de toutes couleurs politiques, qu'il a fait bander, l'Afghanistan. D'Alexandre le Grand à Dobleyou Bush et aux alliés (disons plutôt : les féaux) qu'il avait réussi à entraîner dans sa son concours de celui qui a la plus grosse de lui ou de Ben Laden), et aux présidents américains successifs qui n'ont, jusqu'à l'actuel occupant du Bureau Ovale, jamais réussi à s'extirper du piège de ce "tombeau des empires", de ce "royaume de l'insolence"(Yaghestan). Le retrait américain décidé par Trump, retardé de quelques mois mais maintenu par Biden, allait de toute évidence, laisser le champ libre aux Talibans. L'administration américaine le savait, les services de renseignements américains, britanniques, français, chinois, russes, iraniens, pakistanais, turcs, monégasques le savaient, le Pentagone le savait. Seule la rapidité de l'effondrement des sous-traitants locaux de l'"Occident" pouvait surprendre -et elle a surpris. Comme avait surpris la rapidité de l'effondrement du sud-Vietnam en 1975.

Dans cette guerre perdue, les USA avaient entraîné l'OTAN, dont le traité fondateur oblige les Etats signataires à intervenir pour défendre celui qui serait attaqué. Et donc, les voilà embarqués dans l'opération afghane des USA. L'Afghanistan avait donc attaqué les USA ? Pas le moins du monde : le 11 septembre, c'est un réseau terroriste international, Al Qaïda, dirigé par un Saoudien, Oussama Ben Laden, qui a balancé des avions sur des tours new-yorkaises, pas l'Afghanistan. Peu importe : les USA ont, comme au Moyen-Age les rois de France, constitué leur ost en réquisitionnant leurs vassaux pour mener une guerre contre des fantômes. Les vassaux en question (la France a déployé en tout 50'000 soldats en Afghanistan) y ont perdu plus de 1100 hommes (et femmes), dont 457 Britanniques et 90 Français, et y ont consacré des milliards. Nombre d'entre eux  savaient que cela ne servait à rien -mais  l'OTAN n'est pas une alliance, c'est un lien féodal , et un lien féodal ne se discute pas. Surtout quand les vassaux sont, comme les Européens, incapable de s'allier pour s'émanciper de leur suzerain. Résultat : "cette défaite est celle de notre camp" (et pas seulement celle des USA), reconnaît le colonel de paras français Vuillaumey. La débandade afghane apprendra-t-elle quelque chose aux Américains et à leurs d'alliés ? Un lourd doute s'installe : Qu'apprennent les puissances de leurs guerres perdues ? Pas grand'chose, peut-être même rien du tout si on garde en mémoire les guerres d'Indochine, du Vietnam, d'Algérie.. 

Répondre au "terrorisme" en commençant par se tromper d'ennemi en Irak, et en continuant par cultiver l'illusion qu'on va pouvoir changer la société afghane (ce que prétendaient faire les Soviétiques et leurs protégés afghans) et construire un Etat afghan démocratique et respectueux des droits humains (ce que prétendaient faire les "Occidentaux"), ne pouvait amener qu'à la débandade de cet été. Le général français Le Nen le reconnaît :  "Nos soldats sont morts pour la France en Afghanistan, non pas pour l'Afghanistan"... mais qu'est-ce que la France allait faire en Afghanistan ? La révolution démocratique et laïque ?  On ne peut pas libérer un peuple qui ne manifeste pas la volonté de l'être comme on le lui propose", admet le général. Surtout pas le peuple afghan : si l'Afghanistan existe sur la carte, comme Etat-tampon aux frontières dessinées par d'autres (les Anglais, les Russes, les Chinois, les Turcs)  il n'existe toujours pas comme nation. Ni par conséquent comme Etat, comme administration, comme armée. On était et on reste Pachtoun (et taliban), Tadjik (avec Massoud), Ouzbek (avec Dostom) avant d'être Afghan. Se dire que comme la Suisse ne produit pas de terroristes, il suffirait, en l'envahissant, de transformer, l'Afghanistan en Suisse pour qu'il n'abrite plus de terroristes est tout de même un sophisme assez bouffon. Du genre de celui des Croisades : envahissons le Moyen-Orient (en pillant Constantinople au passage), le christianisme triomphera de l'islam...

On nous annonce désormais  la naissance d'un monde "postaméricain" dominé par la Chine et, derrière elle, la Russie, et derrière la Russie, l'Iran, la Turquie... Si les USA se désengagent de l'Afghanistan et de l'Irak, et ne s'engagent pas, du moins directement, en Syrie, en Libye, au Sahel, c'est bien, si l'on en croit les discours de Biden et de sa vice-présidente Kamala Harris, pour renforcer leur présence face à la Chine (une obsession chasse l'autre) avec pour justification idéologique de ce discours la défense de la démocratie face à un régime qui la tient en un mépris aussi profond que possible. Mais l'adversaire, là, est tout de même d'un autre calibre que les Talibans...

En vingt ans, les Etats-Unis ont dépensé 2000 milliards de leurs dollars (et fait dépenser des milliards d'euros ou de livres par leurs alliés) en Afghanistan, dont une centaine de milliards pour construire une armée qui s'est volatilisée en un mois. Résultat,  ? Les Talibans d'il y a vingt ans ont été remplacés par les Talibans d'aujourd'hui, après 50'000 morts civils dans les "dommages collatéraux" de l'intervention américaine, 70'000 soldats de l'armée "régulière" (celle qui s'est évaporée ces dernières semaines) et 2500 soldats américains tués. Les Soviétiques n'avaient pas fait mieux -ils avaient même fait pire, et portent une lourde responsabilités dans les calamités laissées derrière eux, ni, un siècle avant eux, les Anglais, mais leurs échecs aux uns et aux autres auraient au moins pu avoir quelque vertu enseignante autre que celle de vérifier la sentence de Marx selon qui l'histoire se répète toujours deux fois, une première fois en tragédie, la seconde en farce. Mais la farce est elle-même tragique.Et de cette tragédie, c'est aujourd'hui le peuple afghan qui est la première victime, pas ceux qui l'abandonnent.

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