Mariage civil pour toutes et tous


La loi, l'amour, le genre

Le 26 septembre, la Suisse mettra sans doute fin à l'une des dernières discriminations explicites de ses lois, en acceptant le mariage civil "pour toutes et tous", c'est-à-dire l'extension aux couples homosexuels du droit au mariage civil (et à l'adoption conjointe, au don de sperme et à la naturalisation facilitée. A trois semaines de la votation, les derniers sondages donnent une majorité confortable (autour de 65 %) au projet, avec une acceptation plus forte chez les femmes (71 à 75 %) que chez les hommes (57 à 62 %), à gauche (jusqu'à 89 % au PS et chez les Verts) qu'à droite (jusqu'à 61 % de refus à l'UDC), dans les villes (autour de 75 % d'acceptation) que dans les campagnes (autour de 65 %), en Romandie et en Alémanie qu'en Suisse italienne, chez les jeunes (autour de 80 % des 18-39 ans) que les plus de 65 ans (autour de 55%). Le "mariage pour toutes et tous" est un "jalon historique" dans une lutte émancipatrice, écrit le PS suisse. Un jalon, certes,. même si ce n'est pas le plus fondamental, le mariage en tant que tel, qu'il soit pour toutes et tous ou seulement pour les hétéros, restant ce qu'il est : la réduction des sentiments à un contrat... "L'amour ne connaît pas de genre", nous assure le PS. Il n'a "jamais, jamais connu de loi", chantait déjà Carmen. Hélas, il se heurte souvent aux lois -et c'est, avec le respect du principe d'égalité, la raison essentielle de notre soutien au changement de loi qui nous est proposé : la loi n'a rien à nous dire sur nos amours... 

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Les lois ne précèdent pas les évolutions sociales, sauf à n'être que des discours idéologiques, mais les constatent et les norment. La société change en dehors des lois, les lois ne font que rattraper ces changements. Si le parlement suisse propose le "Mariage pour toutes et tous", c'est que la société suisse est prête à l'accepter, dans un pays qui a déjà accepté les partenariats enregistrés (deux personnes de même sexe ne peuvent pas se marier civilement en Suisse mais uniquement conclure un partenariat enregistré, lequel ne donne pas les mêmes droits). En Suisse, des couples homosexuel vivent avec des enfants de l'un.e des deux conjoints (non mariés), des lesbiennes ont des enfants d'un ami, des homosexuels en font à une amie ou à leur épouse, un enfant sur sept vit dans une famille monoparentale, entre 6'000 et 30'000 enfants vivent avec des parents de même sexe.  Et 2000 naissances sont permises chaque année par la procréation médicalement assistée. On se marie encore, en Suisse, bien sûr, mais la moitié de la population adulte n'est pas mariée et 40  de celle qui est mariée finira par divorcer.

La Suisse est d'autant plus prête à accepter l'ouverture du mariage aux couples homosexuels qu'elle ne prive de rien les couples hétérosexuels : c'est une pure ouverture, sans aucun inconvénient pour les familles traditionnelles. Une égalité des droits à tous sans perte de droits pour personne, même si le "Mariage pour toutes"  rendrait obsolète le partenariat enregistré -les partenaires pourraient évidemment se marier, mais plus aucun partenariat ne pourrait être conclu. L'égalité du droit au mariage aboutit ainsi, ironiquement, à l'égalité du droit  au divorce (40 % des couples mariés, forcément hétérosexuels, pour le moment divorcent) en même temps que, "pour toutes et tous, sans privilège", ceux à la naturalisation facilitée, à  l'adoption et à l'accès à la procréation médicalement assistée (à laquelle on ne peut actuellement recourir qu'en ayant les moyens de le faire à l'étranger... ce qui peut coûter des dizaines de milliers de francs).

Le Conseil d'Etat genevois, réaffirmant "l’ouverture du canton envers la diversité et sa volonté de respecter chaque personne dans son individualité",  et rappelant le "rôle pionnier de Genève en matière de promotion et de défense des droits humains, sachant que (Genève) fut notamment le premier canton à voter une loi cantonale sur le partenariat enregistré", appelle à voter en faveur de la modification du 18 décembre 2020 du Code civil suisse, soit le "mariage pour toutes et tous". Le Conseil municipal de la Ville de Genève avait précédemment lui aussi appelé à soutenir cette réforme proposée par le parlement et combattue par un référendum de la droite de la droite (l'UDC) et les fondamentalistes protestants de l'UDF. Et, dans un premier temps (avant de se raviser)par les "jeunes PLR genevois", qui avaient oublié d'être libéraux pour devenir conservateurs, oublié qu'ils avaient été, en 2016, parmi les premiers soutiens de droite au "mariage pour tous" et oublié que le projet est porté au nom du Conseil fédéral, par la ministre PLR Karin Keller-Sutter, pour qui "l'Etat n'a pas à porter de jugement sur la vie privée et familiale des habitants de ce pays, ni de quelle manière l'organiser". Une profession de foi radicalement libérale... qui correspond à l'évolution de l'opinion publique de ce pays, et aux choix de son peuple souverain : Les Suisses ont en effet accepté à 72 % la dépénalisation de l'avortement en 2002, à 58% le partenariat enregistré en 2005, à 62 % le diagnostic préemplantatoire en 2015, ont refusé en 2016 une initiative fiscale du PDC qui posait dans la Constitution le principe du mariage exclusivement hétérosexuel et accepté à 63 % en 2020 l'élargissement de la norme antiraciste aux discriminations liées à l'orientation sexuelle (et donc à l'homophobie). 

On a un peu de peine à trouver dans la liste des prises de position déposées à Genève des avis défavorables au "mariage pour toutes et tous". On n'en trouve sur six sur les 41 de la liste reçue avec notre bulletin de vote. Et de ces six, trois sont d'ordre plus ou moins explicitement religieux (catholique ou protestant traditionnalistes) et trois reprennent le mantra de la "manif pour tous" française :  "un papa et une maman" : "un enfant a le droit de naître avec un papa et une maman", scande le démo-chrétien valaisan Benjamin Roduit, car "l'altérité sexuelle est nécessaire pour la composition de son identité". Comme si l'alterité sexuelle était réductible à l'ascendance, qu'il n'y avait de modèle masculin que celui du père et de modèle féminin que celui de la mère, qu'un oncle, un frère, un grand-père n'étaient pas des hommes, ni une tante, une soeur, une grand-mère des femmes.  "Deux mères ne peuvent pas remplacer un père", déclare la Conseillère nationale UDC Verena Herzog ? "on n'essaie pas de remplacer un père, on essaie juste d'être des parents", répondent, dans "Le Matin Dimanche... deux mères. On peut admettre qu'un enfant puisse se confronter à un modèle masculin et un modèle féminin, mais  ces modèles ne sont pas naturels : ils sont sociaux, genrés.

Enfin, le "mariage pour toutes et tous" n'exclut nullement le mariage traditionnel d'une femme et d'un homme : ouvrir le droit au mariage civil de deux hommes ou de deux femmes n'interdira à aucun homme d'épouser une femme ni à aucune femme d'épouser un homme. C'est le code civil qu'on propose de modifier, pas la sharia ou le droit canon. C'est de droit droit civil qu'il s'agit, pas de religion. De normes sociales, pas de convictions individuelles.

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