Vive le françois !


Sans doute ne pouvons-nous nous
mettre à nonchaloir les dubitations, inquiétudes et riottes de quelques parts de la population de la Cité, quand en icelles sourdent et noise et ribaines que suscitent les novations qu'apporte à l'écriture du françois celles d'une orthographe simplifiée
, d'une écriture dite "inclusive" et les recommandations de les promouvoir par l'adoption de leur usage, et nous nous compassionnons fort tendrement des afflictions que ces recommandations provoquent, lors même qu'elle ne sont que recommandations et fort souples, laissant loisible de choisir, par exemple, entre la reformulation, le doublet, le point median... comme la nouvelle orthographe, cela fera usage commun de la société ou ne le fera pas, c'est elle et le peuple qui la forme qui en décidera, comme il s'est résolu au masculin universel, pas moins idéologique que le féminin universel, le neutre ou l'épicène, et comme il s'est résolu à dire que des gens vieux sont de VIEILLES gens, que la population des hommes forme UNE gens masculine, que la mère de notre mère est GRAND-mère et que la rue la plus grande est la GRAND-rue...


La langue n'est que branloire pérenne et sa constance même n'est qu'un branle plus calme

Nous sommes hoirs de la langue passée et de ses règles, ains ne nous emprisonnent et à peine servent à notre institution tant sont volubiles. Onques n'écrit ni ne ponctue ni ne prononce le françois aujourd'hui comme au temps de Montaigne, Calvin ou Castellion, lorsque sous leur plume naît le françois moderne. "je ne dîne, ni avant onze, ni ne soupe qu'après six heures", raconte Montaigne... Ainsi dînait-on et soupait-on en France dans le même temps de la journée qu'à Genève, quand aujourd'hui on dîne à Genève quand on déjeune en France et on dîne en France quand on soupe à Genève...  En doit-on guémanter,  conclure que la langue nôtre est débiffée, qu'il nous la faudrait rappointer plutôt qu'en ramenter ? Ce serait fallace, et si avons nous beau plaider la modernité des nouvelles règles qui nous sont proposées, gardons nous d'oublier que les anciennes aussi furent présentées en leur temps comme modernes, et que rien n'est plus fugace que la modernité.

L'écriture inclusive du françois, comme l'épicène, n'en est qu'une parmi d'autres; on nous baille qu'elle heudrit la langue française ? C'est triquenique : les seules écritures inclusives sont idéogrammatiques (les émojis et émoticons ne sont rien d'autre), pour tant qu'elles ne sont pas syllabiques, mais conceptuelles,  qu'un caractère y équivaut à une idée, qu'elles sont sans ponctuation et n'ont guère besoin d'être oralisées, non plus que les gestuelles, dont Montaigne disait si bien qu'"il n'est mouvement qui parle et un langage intelligible et sans discipline et un langage public"; toute écriture contient des obstacles à sa lecture : d'aucuns rechignent à celle de textes imprimés au XVIIIe siècle où la police de la lettre "f" ressemble par trop à celle de la lettre "s"... et d'autres s'étonnent que Montaigne usât des deux points (:) là où nous usons du point-virgule (;), et bien de nos jouvenceaux ne lisent ni n'écrivent plus sans malaisance la graphie cursive...  Peu nous chaut que le tréma d'"aiguë" campe sur le "e" ou se déporte à sénestre sur le "u" pourvu que se  comprenne le mot  : nous attendons de la scripture d'une langue qu'elle nous soit diserte, non qu'elle se conforme à quelque édit que ce soit, qu'il impose ou proscrive astérisque, point médian tiret ou tout autre signe;

Outre plus, la primature du masculin dans la langue françoise ne nous vient que de trois ou quatre siècles, quand la langue est plus que millénaire; ainsi, que le genre masculin soit devenu universel, à la fois masculin et neutre, et qu'on le dise "générique", est novation fort récente, à la placer dans l'histoire de la langue, et non plus étrangère à l'usage habituel que peut l'être l'écriture épicène ou inclusive de notre temps. Et c'est novation masculine : ce sont des hommes qui firent de la langue françoise une langue où triomphe le genre masculin, érigé universel, "générique", quand le genre féminin aurait pu tout aussi bien l'être. Naguère, l'Académie françoise proscrivit l'usage de donner noms féminins de métiers, fonctions, rôles que  femmes exerçaient et que potentats ne voulaient plus qu'elles exerçassent, ains était pourtant usage que devant,  et du peuple d'alors, et ce fut contrainte qu'imposer que l'on en déconfortât au prétexte, d'idéologie et non de grammaire, que le genre masculin serait plus noble que le féminin puisque le mâle serait plus noble que la femelle, sans que l'on nous baille précisément, ce qui sans doute vaut mieux à nos pudeurs, le lieu du corps mâle où gît cette noblesse...  La langue française n'est pas condamnée à être obstinément masculine, rien ne l'y contraignant, de ce seulement une norme arbitraire à ce qu'y prévale un genre sur l'autre en toutes choses sociales -mais ce ne sont là que migniardises et affetteries viriles.

La langue françoise, comme toute langue et quoi que l'on en cuide, n'appartient à personne -non pas, voire surtout pas, à l'Académie françoise. Elle n'est que branloire pérenne, multiple. Elle branle dans le temps et l'espace, et sa constance même n'est qu'un branle plus calme. Par quoi depuis qu'elle est ébranlée on ne la parle ni ne l'écrit plus de même qu'au temps de sa naissance en sa forme moderne, et asteure on ne la parle ni ne l'écrit pas de même et à Genève et à Paris, pas de même et à Paris et à Marseille, pas de même et en France et en Belgique, pas de même et en Europe et en Afrique, pas de même et dans la haute bourgeoisie et dans la plèbe, mais toutes manière d'usage du françois sont appariées. Le françois du quai Conti n'est que le françois du quai Conti, pas celui de la Goutte d'Or, ni celui des pays de Romandie mais tous sont françois : devrait-on pour complaire à quelques gérontes immortels renoncer à poutzer nos intérieurs en usant d'une panosse, comme si ne plus le dire serait ne plus le porter ?  Le françois appartient à toutes celles et tous ceux qui en usent, de quelque manière qu'ils et elles en usent,  et  leurs pratiques en paroles proférées ou écrites sont équables en la langue, pourvu qu'elles s'entendent et se peuvent lire, et toute prétention serait outrepassante de nous faire user du françois au patron de quelque Académie.

N'est-il donc aux riottes de la Cité d'autre remède que nous doter des instruments et instances de notre for, adonnés à semondre à tel ou tel usage de notre langue, pour ne savoir avec absolue et définitive certitude quel il y fait, favorir telle ou telle forme d'icelui, à faire asavoir quel usage y fait en confortant l'administration et les conseils de la Cité à respecter les formes et usages selon la discipline ainsi recommandée, afin que de son seul franc vouloir le peuple les adoptât, sans qu'ordre lui en soit donné ni que de sanctions en soit menacé s'il y faisait tête et contrecarre mais qu'il soit déchargé de la peine de l'apprendre et ne soient plus détourbiés par tel duel d'un antique et d'un nouvel usages, au hasard de se mécompter ? Faut-il doter La Parvulissime République et sa Commune d'une Académie Genevoise, enchargée de formaliser la langue officielle de la Commune et de la République et de leurs institutions, et de proclamer par telle décision à la face du monde dont elles sont centre et capitale que la langue n'est pas norme, mais invention, pérenne et sans cesse renouvelée, et qu'aucune de ses formes contingentes ne s'impose plus heureusement et excusablement qu'une autre ? Puis après, à doter cette Académie d'une Congrégation pour la Doctrine de la Langue tel qu'établie par l'Académie Genevoise, et charge ladite Congrégation d'édicter le Bon Usage céans de ladite langue et le faire asavoir si qu'à l'aventure il devienne pratique commune et que le populaire en soit dressé ?

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