Fonds de tiroir

 Eric Zemmour n'est pas le bienvenu à Genève : c'est le Conseil administratif de la Ville qui le dit. Et la gauche aussi, le dit (y'a même une manif prévue contre le polémiste d'extrême-droite qui se rêve, se veut, se prépare à être, candidat à la présidentielle du printemps prochain). Mais la Ville n'entend pas interdire son territoire au nabot facho -elle n'en a d'ailleurs pas le pouvoir- et se contente de refuser «pour des raisons de sécurité«», de louer à ceux qui l'invitent une salle municipale (celle, par exemple, du restaurant du Parc des Eaux-Vives). Deux pétitions ont été lancées, l'une (doublée d'un appel de personnalités) demandant aux autorités (cantonales, forcément) d'interdire la conférence zémourienne (en fait de conférence, ce qui est prévu serait plutôt un dialogue avec un faire-valoir, le poudré du barreau), l'autre leur demandant de laisser Zemmour faire son numéro de Drumont ayant troqué la judéo-phobie contre l'islamophobie. Et tout cela fait encore un peu plus de pub à un personnage qu'on préférerait ignorer, ou, à défaut, se résigner à n’accueillir que comme naguère on hébergeait poux et morpions. D'ail-leurs, ce n'est pas à l'interdiction du pince-fesse zémourien qu'une soixan-taine d'associations, de partis et de syndicats appellent, mais à une manifestation contre ce que le Doriot de poche véhicule : racisme, antisémi-tisme (version islamophobe), nationa-lisme, sexisme... Pour le reste, si Zemmour n'est pas le bienvenu à Genève, il pourra toujours s'en consoler en allant à Vichy...

Nouveau drame au PLR de la Ville de Genève (que de mauvais esprit commencent d'ailleurs à considérer lui-même comme un drame), révélé par «Le Courrier» de samedi : son président. Nicolas Ramseier, élu le 10 juin dernier en affirmant qu'il voulait rester «au-dessus de la mêlée» entre pro- et anti-Maudet, était en fait, ou avait en tout cas été, un partisan actif de Maudet, et l'avait soigneusement caché pour être élu (par 39 vois contre 29) contre Sophie Courvoisier, qui, elle, n'avait nullement dissimulé son hostilité à l'ancien Conseiller d'Etat dont le PLR municipal était l'un des bastions, et qui résume : avoir «activement oeuvré (pour Maudet) et donc contre son propre parti» en le dissimulant pour être élu, «c'est petit, indigne». Nicolas Ramseier tente, malaisément de se défendre, en admettant, tardivement, avoir, en tant que «simple membre du parti» soutenu Maudet en estimant «qu'il était le plus capable de faire barrage à la gauche» (ce qui s'est révélé faux), car «l'adversaire, c'est la gauche». Ah bon, Cyril Aellen est de gauche ? «Comme président, je travaille à moderniser le parti», assure Ramseier. Parfait, continue, camarade, notre soutien t'est acquis.

L'Union des villes genevoises (un truc que la droite abhorre, puisque ça regroupe des municipalités le plus souvent à majorité de gauche) tenait samedi son Assemblée générale ordinaire. Et deux villes qui n'en étaient pas membres y ont adhéré : Versoix et le Grand Saconnex. L'UVG regroupe donc désormais des communes (Carouge, Genève, Grand-Saconnex, Lancy, Meyrin, Onex, Vernier et Versoix) qui abritent une large majorité (plus des deux tiers) de la population du canton... ce qui lui donne un certain poids politique quand elle invite à une meilleure prise en compte des villes dans la conduite des politiques publiques et la concertation institu-tionnelle... Alors, si en plus elle peut énerver la droite, c'est QDB...

L'Office cantonal des statistiques a fait ses calculs : Fin 2017, (...) le nombre de personnes exerçant une activité professionnelle dans le canton de Genève est estimé à 360'900. Parmi celles-ci, 60 % résident dans le canton (217'000 personnes), 9% ailleurs en Suisse (30'600) et 30% en France (108'700 personnes, dont 83'500 frontaliers étrangers titulaires d’un permis G, 10'000 fonctionnaires internatio-naux et 15'200 Suisses ou binationaux). Finalement, 400 personnes sont des frontaliers étrangers qui résident dans un autre pays que la France. Les personnes travaillant à Genève et résidant ailleurs en Suisse (hors fonctionnaires internationaux pour lesquels le canton de résidence n’est pas connu) proviennent pour la plus grande partie du canton de Vaud (24'900) et plus particulièrement du district de Nyon (14 400). Ouala. On attend la recette du MCG, de l'UDC et de GHI pour remplacer tous ces frontaliers et salariés extra-cantonaux par des résidents genevois. Nous, on a la nôtre, de recette : annexer l'Ain et la Haute Savoie, et naturaliser collectivement tous leurs habitants et toutes leurs habitantes. La Grande Genève, quoi. Dans les limites du Département du Léman.

Comme prévisible, la venue du Doriot de poche fait le buzz à Piogre. Invité par une association de droite pas extrême, «Convergences» à converser avec un faire-valoir du cru, Marc Bonnant, Zemmour était pourtant déjà venu à Genève, trois fois, dans une indifférence à peu près générale. Seulement voilà : il est candidat putatif à l'élection présidentielle française. Broutant sur le pré électoral de Marine Le Pen, poussant la droite républicaine à surenchérir sur les fantasmes qu'il cultive et la réécriture de l'histoire qu'il pratique, le candidat de Bolloré obsède les media.Comme l'écrit la rédac'cheffe adjointe du «Matin Dimanche», Zemmour «existe et il s'exprime». Donc on ne peut pas, quelque envie qu'on en ait, faire comme s'il n'existait pas et ne disait rien. Qu'il ne profère que des conneries entrelardées de quelques saloperies n'est même pas un problème : le problème est qu'il y a des gens pour y croire et l'applaudir... Il y aura aussi des gens pour dire que, moins encore que lui -qui finalement ne compte guère, ce qui lui tient lieu d'idées ne sont pas les bienvenues à Genève. C'est le sens de la manif à laquelle soixante associations, syndicats, partis, appellent mercredi. Une manifestation, un cortège «radical, familial et joyeux», pas une interdiction de sa venue, qui lui serait faire trop d'honneur. «Un antifascisme populaire, pas par décret». On n'aurait pas mieux dit.

Pour nous consoler du désormais célèbre trou de Tolochenaz, la «Julie» nous a annoncé, samedi, que «le Léman Express cartonne». Plus préci-sément, que la ligne transfrontalière franco-valdo-genevoise avait atteint en octobre dernier, avec 49'800 voyageur par jour ouvrable, l'objectif fixé après plusieurs années d'exploitation, alors que le réseau n'a été inauguré qu'en décembre 2019 et a subi une série imp-ressionnante de problèmes : une grève (côté français), des pannes, une pénurie de mécaniciens, la Covid, la fermeture de la frontière... Genève n'ayant que dix kilomètres de «frontière» avec la Suisse, contre plus de dix fois plus avec la France, on se demande pourquoi il devient moins facile de traverser ces dix kilomètres en train pour se rendre en Helvétie que les cent et plus pour se rendre chez les Allobroges...

La semaine dernière, le PLR et l'UDC ont tenté au Conseil municipal de la Ville de Genève de contrecarrer la municipalisation (prudente, partielle et progressive) du secteur de la petite enfance, proposée par la Conseillère administrative socialiste Christina Kitsos,  en proposant de construire plutôt une usine à gaz : une fondation de droit privé, qui serait éventuellement l'employeur formel du personnel (à moins qu'on continue avec les 77 employeurs actuels...), mais ne pourrait le payer qu'avec les subventions de la Ville, et ne pourrait lui garantir des conditions salariales et sociales équivalentes à celles du personnel municipal. Un échelon administratif supplémentaire qui coûterait plus de huit millions par an, pour rien. Une idée géniale que le Conseil municipal s'est empressé de ranger dans le casier des archives des idées géniales de la droite municipale genevoise. Vous saurez tout (et même un peu plus) sur la municipalisation, un projet que les socialistes défendent depuis vingt ans, de Manuel Tornare à Christina Kitsos, et qui finira bien par se réaliser complètement (parce qu'un accueil préscolaire de la petite enfance est un droit, comme l'école, et doit donc être assumée par une collectivité publique, comme l'école, et pas par des comités de bénévoles débordés par la tâche) en télé-chargeant «Causes communes» (le trimestriel du PS de la Ville de Genève sur https://www.ps-geneve.ch/wp/wp-content/uploads/2021/11/CC58.pdf

300 personnes (dont des élus UDC et PLR genevois) avaient payé 200 balles pour écouter Eric Zemmour (et son faire valoir local) au Hilton, 1000 personnes étaient descendues (gratuitement) dans la rue pour proclamer que «Genève reste antifasciste» : il valait mieux que la rencontre ne se fasse pas. Prudent, Zemmour était descendu du train à Bellegarde et avait fait le reste du voyage en voiture. Bon, y'avait peu de chances, vu le déploiement policier (hélicoptères compris), qu'il rencontre qui que ce soit d'autre que son petit public. Après tout, si l'air de Genève ne lui a pas convenu,  il pourra toujours aller se ressourcer à Vichy.  En attendant, il geint : on le brime, on le spolie de son droit de s'exprimer, y'a un complot médiatique tramé contre lui... tu parles : chroniqueur multicarte, vedette d'une chaîne privée d'info (celle de Bolloré), c'est lui qui a interdit aux media l'accès à sa conférence de récolte de fonds au Hilton... Mais faut pas le lui reprocher, puisque sa venue et la manif qu'elle a provoqué a quand même eu un effet miraculeux : la résurrection de Françoise Buffat. Bon, elle a changé de nom et d'apparence, mais les anciens ne sont pas dupes : Laure Zugon Zugravu, journaliste au «Temps», c'est Françoise Buffat, journaliste au «Journal de Genève» -qui d'autre pourrait écrire (ailleurs que dans GHI ou «Les Observateurs»...) , à propos du pince-fesse à 200 balles de Zemmour et de la manif (gratuite) qui y a répondu  des trucs comme (dans «Le Temps» de samedi) «la gauche genevoise, pleine de superbe dans son costume doctrinal étriqué, s'est mise à confisquer la parole» et «pourrit le débat autant que son adversaire de la droite dure», car «contaminée par son extrême, la gauche institutionnelle se compro-met avec sa frange radicale» ? Bon, on va mettre notre costume doctri-nal étriqué pour aller défendre au Conseil municipal, en tant que représentants de la gauche institu-tionnelle, des positions de gauche radicale, vu qu'on a pas été vaccinés contre nos extrêmes et qu'on est même vachement contaminés...

Dans une lettre au président de la Confédération, les «grands partis» nationaux (PS, Verts, Verts libéraux, Le Centre, PLR, UDC) demandaient au début de l'année la quasi-fermeture des frontières suisses. Comme quoi on peut être «grand» et dire des conneries. Ou demander aux zautorités d'en faire. Plus précisément, les présidents, présidentes et co-présidentes et dents des partis demandaient d'instaurer l'obligation pour toute personne entrant en Suisse de présenter un test PCR négatif  pas plus vieux que 48 heures, ou une attestation de vaccination Les personnes de nationalité suisse étant sorties du pays et y rentrant devraient subir une «quintaine» (un confinement de cinq jours). Des règles «idiotes et inapplicables dans les régions frontalières», résumait le Conseiller national PS Eric Nussbaum. Et on est d'accord avec lui, même si elles étaient soutenues par plus de la moitié des plus de 15'000 personnes sondées par Tamedia les 18 et 19 janvier, le même sondage donnant une majorité à la proposition de fermeture des domaines skiables. La Covid s'est installée, nous en sommes à la cinquième vague -mais que nous ont appris les quatre précédentes ?  «Une crise insistante est une épreuve, les forts la traversent, les faibles y succombent, le centre ne craque pas à chaque coup» écrivait Fernand Braudel en 1977, trois ans après le déclenchement de la grande crise pétrolière. Quelle épreuve est la crise du Covid, et pour qui ? Il va bien falloir qu'on lui trouve, à cette crise, quelque enseignement qui soit utile à répondre aux crise comparables qui ne manqueront pas de survenir... on a bien été enseigné par les épidémies anciennes, pourquoi le sommes-nous si peu par celle-là ? On pourrait au moins en profiter pour se livrer à quelques lectures : Dans le Decameron de Boccace, la Peste fait rage en 1348 à Florence, et des jeunes gens qui se sont mis en quarantaine à la campagne se racontent des histoires pour surmonter leur angoisse. Dans Les Fiancés de Manzoni, c'est à Milan en 1630 que rôde la peste. Dans Mort à Venise de Thomas Mann, c'est le choléra qui infeste Venise. Et dans Les Signes parmi nous de Ramuz, une mystérieuse maladie ravage la Romandie. Et on n'oubliera pas Le Dernier Homme de Mary Shelley. A vos bouquins, les gens...


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