Abolition du droit de timbre : La tactique du salami

Le référendum lancé par la gauche contre la première étape de l'abolition du "droit de timbre", celle du droit de timbre d'émission, a abouti et on vote le 13 février sur le maintien ou non de cette taxe, que la majorité de droite des Chambres fédérales veut supprimer. De quoi s'agit-il ? de la taxation à  1 % de l'augmentation du capital propre au-delà d'un million de francs (les PME n'en sont donc pas frappées, ni les "start-up"). La supprimer, c'est faire un cadeau de 200 à 250 millions aux grandes entreprises et au secteur financier déjà sous-imposé dans notre pays (ses entreprises ne sont pas imposées sur les revenus de leur capital et ne paient pas la TVA -alors que les communes, par exemple, la paient quand elles construisent une école...),  et qui n'a nullement besoin d'un "coup de pouce" fiscal qui serait payé par tout le monde, soit par une augmentation de l'impôt sur le revenu (mais c'est l'hypothèse la moins probable), soit par une augmentation de l'impôt indirect, soit par des coupes dans les prestations publiques ou le financement des services publics. De plus, cette première étape de l'abolition de tous les droits de timbre n'est précisément que la première et les autres sont programmées, comme on programme le découpage d'un salami. Et la facture totale dépassera les deux milliards...

Faire payer le travail pour soulager le capital

La tactique de la droite suisse, en matière fiscale, c'est la tactique du salami -on coupe une tranche fiscale frappant les hauts revenus, les grosses fortunes, le capital, les bénéfices, après l'autre : la suppression du droit de timbre sur l'émission du capital propre est le premier pas vers une abolition de l'intégralité de cet impôt, avec celle du droit de timbre de négociations et celui qui touche certaines assurances -en tout, ce sont 2,2 milliards que perdraient les caisses publiques. Au profit des actionnaires. Et aux frais des indépendants, des PME (qui ne sont pas soumises au droit de timbre en cause le 13 février puisqu'il ne frappe que les augmentations de capital de plus d'un million),  et des salariés. Et de l'action publique contre la crise sociale, économique (un demi-million de PME ont souffert de la crise) ) et pandémique, action qui a besoin des 250 millions de francs que rapporte le droit de timbre sur l'augmentation du capital. Après le droit de timbre, c'est à l'impôt anticipé sur les intérêts des obligations que s'en prend la droite -et là encore, ça fleure bon le référendum de gauche.

La gauche politique et syndicale entend maintenir ces "droits de timbre" et cet impôt anticipé que la droite veut abolir. Pour les référendaires,  les grandes entreprises, notamment les multinationales,  et le secteur financier doivent participer eux aussi, et pas seulement les salariés, les retraités et les consommateurs, au financement solidaire des services publics : chacun doit faire sa part, de telle manière que la Confédération, les cantons et les communes aient les moyens de leur action économiques, sociale, culturelle. La suppression du "droit de timbre" manifeste précisément le refus de ce partage des responsabilités, d'autant que s'y ajoutent une réforme des droits de douane qui va faire perdre 600 millions de recettes fiscales et l'abolition de l'impôt anticipé qui creuserait le trou de 200 millions supplémentaires, profiterait aux investisseurs qui ne déclarent pas leurs revenus(autrement dit, qui pratiquent la soustraction fiscale), et la surcapitalisation de la place financière suisse. Tous projets qui violent le principe de l'équité fiscale : on allège la charge fiscale sur le secteur financier, les multinationales, les hauts revenus et les grosses fortunes, on la reporte sous forme d'économies budgétaires et de mesures de"rationalisation dans les domaines de la politique sociale. On affaiblit donc la fonction redistributrice de l'impôt, pour favoriser les détenteurs de capitaux. Et s'il faut compenser les pertes fiscales que cela provoque, on fiscalisera les bas revenus qui échappent encore à l'impôt direct, on augmentera l'impôt indirect, on réduira les engagements sociaux des collectivités publiques, on fera payer le travail pour soulager le capital.

Face à cette entreprise patiente, presque obsessionnelle, de la droite politique et du secteur bancaire et financier, on ne se contentera pas de la promesse de l'OCDE de faire passer à au moins 15 % la taxation de toutes les entreprises qui réalisent plus de 750 millions d'euros (soit à peu près autant de francs suisses) de chiffre d'affaire annuel. En Suisse, cela inclut bien sûr les banques principales (UBS, Crédit Suisse. Raiffeisen, les banques cantonales zurichoise et vaudoise, les banques privées Lombard Odier et Pictet, Posfinance, les grandes banques étrangères), mais ces grandes entreprises sont pour la plupart installées dans des cantons (Vaud, Genève, Zurich, notamment) qui pratiquent déjà des taux voisins (un peu inférieurs ou un peu supérieurs) de celui recommandé par l'OCDE. Autrement dit, le gain fiscal escompté par la taxe à 15% ne compensera pas les pertes programmées par la suppression du droit de timbre et on aura creusé un trou qu'on ne pourra reboucher avec la taxation unique à 15 %. La Suisse a en outre prévenu qu'elle n'arrivera pas à introduire cette taxation dès 2023 (le délai programmé par l'OCDE).  Tout cela sent l'arnaque ? Vous avez le nez fin...




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