Présidentielle française : La gauche dans les choux

Si l'élection présidentielle française avait eu lieu le 7 janvier, son premier tour aurait, selon la moyenne des sondages sur les intentions de vote,  sélectionné les mêmes protagonistes du deuxième tour qu'il y a cinq ans : Macron, dix points devant Le Pen (l'écart entre eux s'est creusé en cinq ans, grâce à Zemmour), la candidate de la droite traditionnelle, Pécresse, en embuscade, et Zemmour distancé en quatrième position. Et la gauche, alors elle est où ? Dans les choux. Pas dans ceux d'où naissent les enfants : dans ceux où grouillent les limaces. La candidate socialiste, qui se traîne en dessous des 5 % d'intentions de vote, a bien lancé un appel à des "primaires" à gauche pour désigner une candidature unique mais n'a reçu de réponses des principaux candidats de gauche (Mélenchon, Jadot, Roussel) que des refus d'entrée en matière et le résultat de la "primaire populaire" lancée par des militants excédés par l'égocentrisme des chefs de partis et de leurs candidats, est récusé avant même que d'être connu par ceux qui refusaient déjà la primaire proposée par Hidalgo. L'hypothèse d'une candidature de Christiane Taubira n'a suscité que des frémissements à la surface du marigot, Mélenchon ne se bat plus que pour faire jeu égal avec Zemmour, Jadot pour ne pas se laisser distancer de trop loin par Mélenchon, Roussel pour rappeler existence du PCF, les deux trosks pour faire leur tour de piste habituel et Montebourg pour trouver la porte de sortie. Résultat : Macron fixe l'agenda, les enjeux, le rythme et les thèmes de débat ou de polémique, et derrière lui, pour le deuxième tour, on risque bien de n'avoir de choix qu'entre la droite, la droite de la droite et l'extrême-droite...

Repolitiser les enjeux sociaux ou s'en tenir à une charité de gauche ?

Le 14 mai 2020, une "Tribune" collective de figures de toute la gauche (sauf les "Insoumis", qui refusent par principe de se compromettre avec des socialistes) lance une "initiative commune" dans "L'Humanité", "Libération", "L'Obs" et "Mediapart". Le texte, lancé par le socialiste Christian Paul, signé notamment par ses camarades Olivier Faure et Valérie Rabault, Raphaël Glucksman, l'écologiste Yannick Jadot et les communistes Ian Brossat et Pierre Laurent, ainsi que des personnalités et des intellectuels comme Rony Brauman, Bernard Thibault, Christope Aguiton, Thomas Piketty et Dominique Méda, appellait à "tourner la page du productivisme", à amorcer une transition écologique et sociale, à réorganiser et relocaliser une économie convertie à l'urgence climatique, à réintroduire un impôt sur les grandes fortunes. Las ! les vieux réflexes scissipares et sectaires n'attendaient que l'occasion de reprendre du poil de la bête... François Ruffin avait pourtant plaidé dans "Le Monde", en novembre 2019, pour "ouvrir d'autres espoirs" (l'expression est du fondateur de la Sécurité sociale française, Ambroise Croizat), "entre l'extrême argent et l'extrême-droite", pour ne pas dire plus clairement entre Macron (que Ruffin abhorre) et Le Pen. Et Ruffin de rappeler qu'avant le Front Populaire, et pour le faire naître, "c'est la base qui opère la jonction des socialistes et des communistes" après les émeutes fascistes de 1934. Il faudrait donc qu'à nouveau "la base" parle, qu'elle formule l'exigence "que le rouge et le vert s'unissent", indépendamment même de leurs partis respectifs : l'alliance pour laquelle il plaide n'est pas un "Meccano des logos" mais "une grande secousse" où les gens font "péter les cloisons". Et que se soude "un bloc historique des classes populaires et des classes intermédiaires", ce qui au passage les distingue (puisqu'il faut les souder), des "deux cœurs sociologiques de la gauche : en gros, les "profs" et les "prolos"". 

Naguère, jusqu'à la crise "pétrolière" du milieu des années septante, les pauvres votaient (quand ils en avaient le droit et l'envie) à gauche et les riches à droite, les universitaires à droite et les "élémentaires" à gauche. Aujourd'hui, c'est plutôt l'inverse. Et la participation électorale croît avec le revenu. La gauche n'est devenue majoritaire dans les villes que grâce au vote de ceux que le funeste Dominique Strauss-Kahn, entre deux coups de queue, définissait comme "l'armature de notre société", les "salariés avisés, informés et éduqués"qui en "assurent la stabilité". Résultat en Grande-Bretagne : le Brexit, approuvé dans les bastions travaillistes du nord de l'Angleterre. Et résultat en France : les "Gilets Jaunes" et le soutien ouvrier à Marine Le Pen...

Macron et Le Pen, objectivement complices, ont mis en scène et imposé leur duopole en se proclamant l'un et l'autre comme seule alternative à l'autre et l'un. La radicalité politique de droite, nourrie de l'obsession du déclin et de la peur de l'autre, structure le débat politique-ce qui permet à qui s'y oppose de se poser en recours contre cette dérive, et à Macron de se poser en candidat de la raison et de l'ouverture. Un second tour Macron-Le Pen à la présidentielle, c'est une quasi-garantie de réélection pour Macron. Mais à quel prix ? celui de l'ancrage de l'extrême-droite comme seule opposition forte et comme seule alternative au macronisme, en l'absence d'une opposition de gauche crédible. Et d'un programme crédible de cette opposition. Un programme, pas une déploration de la réalité, pas ce que Evelyne Pieiller, dans "Le Monde Diplomatique" de janvier 2022, désigne comme "la mise en avant d'une bonté collective -que peuvent pratiquer tous les humanistes, de droite ou de gauche". Si on ne "repolitise" pas les enjeux sociaux, le risque est de les voir "s'affadir dans la sentimentalité". Une sentimentalité  qui ne remettrait rien en cause de ce qui fait pleurer. Une charité de gauche, en somme.

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