Deuxième tour de la présidentielle française : Un pari pascalien
Qu'est-ce que le débat Macron-Le Pen a changé au prononcement probable des Françaises et des Français dimanche ? Sans doute pas grand-chose, sinon rien. On avoue d'ailleurs ne pas l'avoir suivi, préférant voir et entendre l'entretien avec Edgar Morin, 100 ans aux fraises, programmé au même moment sur la 5, mais comme on a été bassinés à jet continu d'extraits du débat dès sa fin et jusqu'au moment où on écrit par d'extraits de ce débat, on a l'impression de l'avoir subi en entier. De toute façon, le politologue Jean Garrigues juge limité l'impact de ce genre de confrontations ultra-codifiées, de la distance entre les protagonistes jusqu'à la température de la clim' : "c'est toujours celui qui est en position de favori qui remporte le débat"... Il paraît que tel a été le cas mercredi soir -c'est en tout cas ce qu'assurent les sondages, qui donnent Macron vainqueur du duel télévisé et en progression, à 55,5 %, dans les intentions de vote. Et alors ? Alors, rien. Sinon la version électorale d'un pari théologique, celui de Pascal. Vous ne voyez pas le rapport ? vous avez tort -Pascal, comme Montaigne, comme Debord, c'est bon pour tout, même pour l'improbable.
Credo quia absurdum ? voto quia prudentum !
              
Le Pen a voulu faire du deuxième tour un
                référendum anti-Macron, et Macron un référendum anti-Le
                Pen (et Mélenchon du troisième tour un référendum
                pro-Mélenchon), mais les Français se retrouvent à devoir
                faire dimanche une sorte de pari pascalien : voter pour
                le moindre mal (Macron) sans y croire, mais en mesurant
                le risque de ne pas le faire et en le trouvant plus
                grand que celui de le faire. 
              
Pascal se confrontait à la
                  question de l'existence ou non de Dieu. Il ne
                  cherchait pas à la "prouver", cette preuve étant
                  impossible à fournir, comme d'ailleurs la preuve de
                  son inexistence :  nous ne pouvons connaître "ni
                  l'existence ni la nature de Dieu, parce qu'Il n'a ni
                  étendue ni borne". Il n'y a que par la foi en Lui que
                  nous pouvons le connaître. Ou bien Dieu est, ou bien
                  Il n'est pas. Comment choisir, puisque nous ne pouvons
                  savoir s'Il est ou non ? "Il se joue un jeu (...) où
                  il arrivera croix ou pile" (face ou pile) : "que
                  gagerez-vous ?" C'est le pari que fait Pascal : on ne
                  peut répondre à la question de l'existence ou non de
                  Dieu en faisant usage de la raison, mais il faut tout
                  de même y répondre, à cette question à laquelle on ne
                  peut répondre... il faut donc parier, et donc risquer
                  de perdre ce qu'on a gagé : "vous avez deux choses à
                  perdre : le vrai et le bien". De ce que vous engagez,
                  seule la béatitude compte. Or selon que vous pariez
                  sur l'existence de Dieu ou son inexistence, vous
                  pouvez gagner ou non la béatitude éternelle, être ou
                  non du nombre des élus, ou risquer de payer votre pari
                  de votre damnation. Si vous pariez sur l'existence de
                  Dieu mais que Dieu n'existe pas, au pire, vous passez
                  pour un con, mais vous n'avez rien perdu à part
                                          peut-être un peu
                                          d'amour-propre
                              : vous vous êtes seulement trompé.
                  En revanche, si vous pariez sur l'inexistence de Dieu
                  mais que Dieu existe, vous payez ce parti perdu de la
                  damnation éternelle. Ce risque est trop grand pour le
                  courir : pariez donc sur l'existence de Dieu : s'Il
                  existe, vous gagnez peut-être (s'Il le veut) la
                  béatitude (Calvin ajouterait que de toute façon, il a
                  décidé de toute éternité de votre salut ou de votre
                  damnation...). Risque pour risque, mieux vaut
                              celui de passer pour un con que celui
                              d'être damné pour l'éternité. La
                              traduction électorale française, c'est le
                  "Canard Enchaîné" de cette semaine qui nous la donne,
                  en titrant "Ni Le Pen, ni Marine !" (en 2017, il
                  titrait "ni Marine, ni Le Pen"...) et en résumant :
                  mettre Macron et Le Pen "sur le même pied, c'est
                  confondre le risque et le danger". Car "une fois dans
                  la place, l'extrême-droite s’incruste, verrouille la
                  com', coupe le sifflet à l'opposition, balance chaque
                  jour sa propagande, fait dans le clientélisme,
                  installe des capos dans les bureaux"... Risque
                                          pour risque, mieux vaut alors
                                          supporter Macron encore
                                          pendant cinq ans (il ne peut
                                          plus être candidat une
                                          troisième fois), que Le Pen
                                          pendant on ne sait pas combien
                                          de temps, avec le
                                          programme(d'extrême-droite)
                                          qui est le sien. Il n'y a pas
                                          beaucoup de place pour la foi,
                                          là-dedans, pas plus que dans
                                          le pari de Pascal... Ce
                              n'est pas le "je crois parce que c'est
                              absurde" de Tertullien, c'est "je vote
                              Macron parce que c'est plus prudent".
                  D'autant que les urnes vont encore parler : Absent du deuxième tour de la présidentielle,
                Jean-Luc Mélenchon a lancé la campagne pour le troisième
                tour, les législatives. Et il veut les gagner. Et en
                faire l'élection d'un Premier ministre : lui-même.
                N'avait-il pas lancé, au soir d'une "défaite honorable"
                qui ressemblait presque à une victoire : "la seule tâche
                qu'on a à se donner, c'est celle qu'accomplit le mythe
                de Sisyphe. La pierre retombe en bas du ravin ? Eh bien,
                on la remonte"...
              
Il en dirait quoi, Pascal ? Ceci, peut-être (Pensée 529bis) : "notre nature est dans le mouvement, le repos entier est la mort"... Ou, en Mélenchon dans le texte dominical : "tant que la vie continue, le combat continue"...
En attendant quoi, entre ceux de Pascal et
                          de Mélenchon, un
                message d'outre-tombe s'impose aux abstentionnistes de gauche au deuxième tour de la
        présidentielle française, aux "ninistes" de gauche, aux votants
        blanc ou nul, de gauche : 
      "il faut accorder très peu
          d'importance à ceux qui condamnent quelque chose, et n'ont pas
          fait tout ce qu'il fallait pour l'anéantir; et à défaut pour
          s'y montrer toujours aussi étranger que l'on a encore
          effectivement une possibilité de l'être"
          (Guy Debord) 
              



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