Deuxième tour de la présidentielle française : Ouf ! Et après ?
Deuxième tour de la présidentielle française : Ouf ! Et après ?
Emmanuel Macron est le troisième président
français de la Ve République à être réélu au suffrage
universel (après Mitterrand et Chirac), premier à l'être
sans sortir d'une cohabitation avec un concurrent. Il a
été réélu avec dix-sept point s
d'avance sur sa concurrente. C'est considérable, mais
une grande partie (près de la moitié selon les sondages)
de celles et ceux qui ont voté pour lui l'ont fait comme
on choisit de deux maux, le moindre. Celui dont on peut
guérir. Il fait un excellent résultat, mais pas un
triomphe. Président sortant après une présidence marquée
par trois crises (sans compter même la crise
climatique), celle des "gilets jaunes", celle de la
pandémie covidienne, celle de la guerre en Ukraine, il
fait le meilleur résultat obtenu à une présidentielle,
après ceux de Chirac en 2002 et de lui-même en 2017, il fait mieux que
Mitterrand en 1988, aussi
bien que Pompidou en 1969, mais il fait moins que
lui-même il y a cinq ans. On a sans doute, comme Macron
lui-même l'a reconnu, moins voté pour lui que contre Le
Pen -le "front républicain" n'est donc pas tout à fait
mort, s'il n'est pas au mieux de sa forme : Aux
Antilles, qui avaient placé Mélenchon en tête du premier
tour, on a voté Le Pen au deuxième (il va nous falloir
relire le "peau noire et masques blancs" de Fanon...),
et globalement l'abstention (un silence qui est un refus
de choisir, comme le résume Macron lui-même) est la plus
forte enregistrée à un second tour de la présidentielle
depuis 1969 (les raisons de cette abstention, à 53 ans
de distance, sont d'ailleurs les mêmes : l'abstention
d'une partie importante de l'électorat de gauche -à
l'appel, en 1969, du PCF, dont le candidat, Jacques
Duclos, avait renvoyé dos à dos les candidats Pompidou
et Poher ("bonnet blanc et blanc bonnet"). L'abstention
hier a pourtant été moins forte que dans la plupart des
élections comparables ailleurs qu'en France -on ne parle
même pas de la Suisse, où elle est généralement
majoritaire (comme hier aux Antilles)... Et hier soir,
sitôt le résultat du deuxième tour de la présidentielle
connu, on est entré dans le troisième tour : les
législatives. Après le "ouf !" saluant la défaite de Le
Pen, le "Et après ?" interrogeant la victoire de
Macron...
"Je ne suis plus le candidat d'un camp, mais le président de toutes et tous". Vraiment ?
La réélection de Macron ne peut guère passer pour
une surprise, même si elle est saluée par un concert de soupirs
de soulagements. Et le "front républicain", dont on avait
annoncé la mort, a aussi bien fonctionné que possible. Si Jean-Luc Mélenchon s'est contenté d'appeler (en
insistant) à voter "contre Madame Le Pen", Valérie Pécresse en a
fait à peu près autant, pas plus, Anne Hidalgo a clairement,
pour ce qui reste du PSY, appelé à voter pour Macron et, pour
les Verts, Yannick Jadot à "voter Macron sans hésitation, sans
ambiguïté, en toute clarté", mais "sans plaisir, sans illusion",
en quelque sorte par devoir "pour empêcher l'extrême-droite
d'accéder au pouvoir dans notre pays", car elle "ne rend jamais
le pouvoir autrement que dans la violence et le chaos". Quatre
ministre et anciennes ministres des droits des femmes, une de
gauche, deux de droite, une macronienne, ont fait de même, au
nom du féminisme, car "l'internationale de l'extrême-droite
(...) partout dans le monde et de tout temps, constitue une
menace pour les femmes" et leurs droits, qui "demeurent
fragiles, suspendus aux humeurs du temps".
Le "front républicain" n'était d'ailleurs pas
seulement français : L'Europe (sauf sans doute la Hongrie) est
contente : la présidente de la commission européenne a félicité
Macron, pour lequel les Premiers ministres espagnol et portugais
et le Chancelier allemand ("nous avons besoin de la France à nos
côtés"), tous sociaux-démocrates, avaient carrément appelé à
voter pour Macron, contre "ceux qui attaquent notre liberté et
notre démocratie -des valeurs fondamentales qui nous viennent
directement des Lumières françaises". Qui mènent à tout à
condition de ne pas en sortir.Entre Macron et Le Pen, il est
vrai qu'il y avait, sur l'Europe, "plus qu'un fossé, un
précipice", éditorialisait samedi "Le Temps" : certes, Le Pen ne
voulait plus quitter l'UE et la zone Euro, mais c'était pour les
faire exploser de l'intérieur. Pas de "Frexit", mais un
"Freclash", qui serait provoqué non par un membre fondateur, et
l'une des deux principales puissances (la seconde économiquement
et démographiquement, la première militairement et
diplomatiquement) de l'Union...
Pour réélire Macron, hier, toute la France (mais pas tous les Français) était en vacances scolaires, mais contrairement à ce qu'on a beaucoup entendu dire et qu'on a beaucoup lu, il y a bien eu campagne électorale sur tous les media, notamment à la télévision, avant chacun des deux tours de l'élection. Sans la participation de Macron avant le premier, certes, mais avec sa présence constante dans les discours et les débats. Pendant des semaines les chaînes de télé ont monté en épingle la candidature de Zemmour, qui avait déjà pu utiliser la chaîne CNews (du groupe Bolloré) pendant des mois pour asséner ses obsessions purificatrices. Ainsi, la campagne du premier tour a été, dans tous les media, le moment ultime de la banalisation de l'extrême-droite française. Avec pour effet de réduire le choix du deuxième tour entre cette extrême-droite et quelques chose qu'on à peine à définir, mais dont on sait que ce n'est pas la gauche, et que personnifie Macron. Un choix entre la peste et le choléra, comme on l'a beaucoup entendu à gauche ? Un choix entre un mal qu'on peut soigner par la démocratie parce qu'il ne l'abolit pas, et un mal dont on n'est jamais sorti que par des drames.
On a voté en France deux mois, jour pour jour, après le déclenchement de l'invasion poutinienne de l'Ukraine. On n'en tirera aucune conclusion, sinon qu'un vote est remédiable, pas une invasion et la destruction d'un pays. Après avoir élu son président, la France va élire son parlement et ce troisième tour pourrait être passionnant... les débats à la télé, hier soir, l'annonçaient déjà : Le Pen et Mélenchon ont tous deux appelé à la mobilisation (autour d'eux) pour les Législatives... mais dans le cadre d'un système (la majoritaire à deux tours, avec une majorité simple à obtenir au deuxième) et d'un délai (deux mois) qui favorisent outrancièrement le camp résidentiel."Je ne suis plus le candidat d'un camp, mais le président de toutes et tous". Vraiment ? Y compris de celles et ceux qui se sont abstenus, ont voté blanc ou ont voté nul et de celles et ceux qui sont invités à lui imposer un Premier ministre dont il n'a pas envie ?
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