Don d'organes : présumer le consentement ou le refus ?

 

Qu'a-t-on dit quand on n'a rien dit ?

Le 15 mai, on votera sur la révision de la loi sur la transplantation, combattue par un référendum alémanique (il n'y avait aucun Romand dans le comité référendaire), révision qui introduit le principe du consentement présumé pour le don d'organes, mais le soumet à des conditions qui ne le rendent pas automatique. Le comité référendaire, rassemblait des personnalités de gauche comme de droite mais le refus du projet est surtout prôné dans les rangs de partis religieux protestants (le parti évangélique PEV, l'Union démocratique fédérale UDF) et de l'UDC. Le projet soumis au peuple est une sorte de contre-projet indirect à une initiative populaire, "pour sauver des vies en favorisant le don d'organes", plus radicale mais qui a été suspendue en attente du résultat du vote : si le peuple refuse le projet qui lui est soumis, l'initiative sera réactivée. Et comme elle a déjà abouti, elle sera soumise au peuple. Mais initiative ou projet de loi tentent de répondre à la même question, à la réponse impossible : qu'a-t-on dit quand on n'a rien dit ?


Pouvoir sauver la vie d'un vivant après qu'on ne le soit plus, est tout de même un beau projet de vie...

Une personne meurt chaque semaine en Suisse faute d'un organe qui puisse lui être transplanté. Fin 2021, il y avait près de 1500 personnes en liste d'attente d'une transplantation mais en moyenne depuis cinq ans, seules 450 personnes par an ont pu recevoir un organe prélevé, avec son accord, sur une personne après son décès et 2021, 71 patients inscrits sur une liste d'attente pour recevoir un organe sont morts de ne pas l'avoir reçu. La proposition soumise au vote est celle de substituer le consentement présumé du donneur potentiel à la transplantation d'un de ses organes (voire de plusieurs) à ce qui ressemble à un refus présumé, puisqu'actuellement, il faut que le donneur ait explicitement accepté, ou que ses proches l'aient fait pour lui après son décès, de donner l'un de ses organes pour qu'il puisse être prélevé et transplanté. Si le peuple accepte le 15 mai la proposition du parlement et du gouvernement, si le donneur a explicitement refusé le don, ou qu'il soit vraisemblable qu'il l'aurait refusé alors qu'il ne l'a pas fait explicitement, ou qu'aucun de ses proches n'ait pu être contacté, la transplantation ne se fera pas. Elle est présumée, mais pas automatique.

A en croire les sondages, 80 % des Suissesses et des Suisses sont favorables au principe du consentement présumé. Mais les médecins essuient tout de même 55 % de refus lorsque les proches d'un défunt ont à décider : c'est que si on est d'accord de donner l'un de ses propres organe, on ne l'est pas forcément d'en décider pour l'organe d'un parent, d'un conjoint, d'un enfant, à sa place. Le principe du consentement présumé résout cette contradiction. Et il la résout, dans le cas de la proposition soumise au vote, avec moult cautèles, ce qui fait dire au Conseiller fédéral Alain Berset que "le changement n'est pas aussi radical qu'il y paraît" : les proches seront toujours consultés si une personne n'a pas exprimé clairement sa volonté de son vivant, ils pourront toujours refuser le prélèvement d'un organe (et n'auront même pas besoin pour cela d'être unanimes) s'ils savent ou présument que le défunt y aurait été opposé. Et le prélèvement ne sera pas autorisé si aucun proche n'est joignable, à moins que le défunt l'ait explicitement autorisé de son vivant.

Le consentement présumé au donc d'organe permet-i-il d'accroître le nombre de dons (surtout compte tenu des cautèles mises à l'application de ce principe dans la loi soumise au peuple) ? Si on en juge par la comparaison du nombre de donneur par million d'habitants entre pays européens, la réponse sera plutôt "oui" : les huit pays où les donneurs sont, proportionnellement, les plus nombreux sont tous des pays qui ont adopté le principe du consentement présumé (l'Espagne en tête, avec 49,6 donneurs par million d'habitants, suivie du Portugal  avec 33,7 et de la France avec 29,4). La Commission nationale suisse d'éthique penchait pourtant pour un autre modèle que les deux prédominants (consentement présumé ou refus présumé) : celui d'une déclaration obligatoire d'acceptation ou de refus. Un modèle écarté au prétexte qu'il serait trop compliqué à mettre en oeuvre -on ne voit pourtant pas que le modèle proposé par la loi soit beaucoup plus simple, avec les deux cautèles qu'il met au consentement présumé.

La votation du 15 mai, quelle que soit son issue, aura lancé le débat sur le sort de ce qui était une part de nous quand nous ne sommes plus. La loi suisse définit la mort comme l'arrêt irréversible des fonctions cérébrales. Je pensais, donc j'étais, je ne pense plus, donc je ne suis plus. Même si mon cœur, aidé à cela, bat encore, que mon sang circule encore dans mes veines et l'air dans mes poumons et que mon corps est encore tiède, si mon cerveau est mort, je suis mort.

Comme nous l'enseigne le vieil Epicure, il n'y a que la mort des autres qui puisse nous importer -et même qui puisse, pour nous, exister : ma mort n'existe pas, puisque je ne puis la concevoir que si je suis vivant.  Il faut être vivant pour concevoir qu'on puisse ne plus l'être, et décider de pouvoir être utile après sa mort,  de faire don d'un de ses organes plutôt que le laisser pourrir ou brûler.

Pouvoir sauver la vie d'un vivant après qu'on ne le soit plus, est tout de même un beau projet de vie, qui mérite d'être encouragé. Si prudemment, trop prudemment, qu'elle le fasse, la loi soumise au vote l'y encourage tout de même. Elle mérite donc un "oui". Et si c'est un "non" qui sort des urnes, l'initiative qui prendra le relais le méritera plus encore.

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