Deuxième tour des législatives françaises dimanche : Test de Rorschach

C'est une étrange partie d'un jeu étrange aux règles étranges qui va se jouer dimanche en France, lors du deuxième tour des législatives. Une partie qui se joue dans une élection où aucun des deux principaux joueurs n'est candidat : Emmanuel Macron parce qu'il a déjà été élu, à la présidence de la République, et Jean-Luc Mélenchon, parce que s'il fait mine de croire qu'il peut être Premier ministre, il n'est pas candidat à sa propre réélection comme député. Macron ne pourra pas se représenter en 2027, la constitution limitant à deux le nombre de mandats présidentiels consécutifs (il pourrait cependant se présenter en 2032...). Dès lors, au sein même de la majorité présidentielles, les envies, les ambitions, les illusions présidentielles commencent à être visibles. Et le seront d'autant plus que la majorité présidentielle sera réduite au parlement. En attendant quoi, de tout bois les partis en présence font feu, du calcul d'épicier pour savoir qui est arrivé en tête au voyage de Macron en Roumanie, Moldavie et finalement Ukraine, sans pour autant susciter la passion des électeurs : on s'attend à une abstention massive, à l'aune française. Il est prévisible que le parti de Macron obtiendra au moins une majorité relative de sièges à l'Assemblée nationale. Il est tout aussi prévisible que la coalition de Mélenchon sera la principale force d'opposition à Macron. Savoir ce que cela présage des cinq prochaines années de présidence et de gouvernance en France tiendrait en revanche de la prédiction prophétique ou du test de Rorschach...


"Sortir de la démocratie en trois tiers"

La gauche française unie dans la NUPES est arrivée d'un poil en tête du premier tour des législatives françaises,  (avec 26,11 % des suffrages) si on tient compte du résultat national, et c'est la première fois depuis 1988 que le parti présidentiel et ses alliés (25,83 % des suffrages) sont devancés par une alliance d'opposition. Le problème de la gauche, et la chance de l'alliance présidentielle, c'est que cette élection se joue dans 577 circonscriptions, et dans chacune (sauf celles où le résultat a été acquis dès le premier tour, comme, pour la NUPES, dans la région parisienne, ou dans celles où les challengers des favoris ont renoncé à se présenter) sous la forme d'un duel se faisant à la majorité simple (forcément, puisqu'il n'y aura que deux candidat.e.s). La macronie a eu quelque peine à se déterminer sur un mot d'ordre à donner lorsque le second tour se fait sans elle et oppose un.e candidat.e de la NUPES et un.e candidat.e du Rassemblement national de Le Pen (c'est le cas dans 62 circonscriptions). Dans un premier temps, on sentait venir la tentation de renvoyer "l'extrême-gauche" et l'"extrême-droite" dos à dos dans la même poubelle, en appelant à l'abstention, au vote blanc ou au vote nul. Alors que la gauche, elle, y compris Mélenchon, n'avait pas hésité à faire voter pour Macron contre Le Pen à la présidentielle. Finalement, la Première ministre Elisabeth Borne, qui avait précisément commencé par renvoyer "les extrêmes" dos à dos,  a appelé, comme le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, l'avait fait avant elle,  à un soutien "au cas par cas" aux candidats de la NUPES, sauf s'il ou elle "ne respecte pas les valeurs républicaines". En clair : les électeurs macronistes sont invités à soutenir les candidats du PS, du PC et des Verts, mais pas forcément ceux de la "France Insoumise". Une sorte de "Front Républicain" à la tête du client, quoi.

Reste que Mélenchon, en ayant réussi à imposer aux autres forces de gauche une union dominée par la France Insoumise, a réussi à faire de cette alliance de gauche, si contradictoire qu'elle soit, la première force d'opposition à la probable majorité présidentielle (qui ne pourrait être qu'une majorité relative contrainte d'aller chercher une alliance avec la droite démocratique ou les dissidents socialistes), et a rejeter le Rassemblement national à la marge du débat, avant que le réduire à une représentation très minoritaire au parlement. L'électorat de gauche n'attendait que cela : la possibilité de voter à gauche sans avoir à se demander pour quelle partie de la gauche il était le plus utile de voter : la NUPES a choisi pour lui, en désignant dans chaque circonscription une candidature unique. Et en plaçant 386 candidates et candidats au second tour, soit carrément 204 de plus que l'ensemble des forces qu'elle coalise en 2017, quand les Républicains n'arrivent à en placer que 97, soit 208 de moins. Le Rassemblement national, lui, obtient 108 places de second tour, soit 88 de plus.

La NUPES peut donc espérer être la principale force d'opposition à Macron. Sauf que comme l'a rappelé le communiste Fabien Roussel, si le choix des alliés de la "France Insoumise" de Mélenchon est de faire élire le plus grand nombre possible de députés et députées de gauche, une fois l'élection passée, les socialistes, les Verts et les communistes formeront chacun, s'ils ont obtenu au moins quinze sièges, leur propre groupe : "nous aurons (...) notre indépendance, notre autonomie".

Ce qui se joue à gauche, c'est moins le résultat des législatives que la recomposition de son propre paysage politique. Et donc la survie des partenaires de LFI, et la redéfinition de LFI elle-même. La survie du PC, du PS, des Verts, c'est aussi une question financière : chaque suffrage obtenu par le candidat d'un parti rapporte à ce parti 1,42 euro par an, chaque député.e élu.e 37'280 euros. Pour les trois partenaires de LFI, l'accord est une sorte de clarification de leur ligne politique. Surtout pour le PS, mais aussi pour les autres forces regroupées au sein de la NUPES. Pour la France Insoumise, il s'agit de passer de la Ve à la VIe République, d'instaurer la proportionnelle pour l'élection du parlement national  (en tout cas pour l'Assemblée nationale), d'introduire la référendum d'initiative citoyenne (d'"initiative populaire", en suisse dans le texte), de tenir compte du vote blanc dans le calcul des majorités.

Jean-Luc Mélenchon n'hésite pas à appeler l'électorat à l'élire Premier Ministre. Institutionnellement, c'est idiot. Politiquement, médiatiquement, c'est intelligent : on n'a parlé que de cet appel dans les premiers temps de la campagne, au point que Marine Le Pen s'est sentie tenue de rappeler que le Premier ministre n'était pas élu par le peuple, en France, mais désigné (désignée, comme Elisabeth Borne) par le président de la République -par Macron. Et qu'il, ou elle, est désigné.e au sein du principal groupe de la majorité parlementaire. Et il est fort peu vraisemblable que ce principal groupe de cette majorité soit la France Insoumise, qui sera plutôt le principal groupe de l'opposition -ce qui sera déjà un grand succès. Et s'il devenait majoritaire en siège, et s'il maintenait un minimum de cohésion (autrement dit : si les communistes, les socialistes et les Verts ne reprenaient pas leur indépendance après les élections), ce groupe serait l'acteur principal d'une crise politique. D'une crise, pas d'une révolution : Mitterrand et Chirac aussi se sont retrouvés face à un parlement leur étant majoritairement opposé.

A droite, c'est encore plus compliqué : les Républicains sont siphonnés par les dissidences (les unes vers Macron, les autres vers Le Pen) et le Rassemblement national, qui fait une campagne en service minimum avec pour objectif de pouvoir constituer un groupe parlementaire -autrement dit, avoir au moins quinze élus, même si Marine Le Pen affirme que "nous avons potentiellement la capacité de faire élire 150 députés", présente des candidats dans toutes les circonscriptions où celui de Zemmour, Reconquête", en présente, et renvoie Zemmour à ses 7 % de suffrages au premier tour de la présidentielle  : "quand on fait 42 % des suffrages au deuxième tour, on n'a pas besoin des leçons de celui qui a fait 7 % au premier tour et a été éliminé du second"). Marine Le Pen elle-même ne se fait pas d'illusions : "la logique des institutions veut que le président de la République ait une majorité, tous ceux qui racontent autre chose racontent des fadaises". Réponse de Zemmour : Le Pen n'est pas de droite, et elle n'est pas assez dure sur l'immigration (puisqu'elle reproche à Zemmour de l'être trop).

Dans "Le Monde", Thomas Piketty appelle à "sortir de la démocratie en trois tiers" -un tiers de gauche, un tiers du centre et un tiers de droite, ou pour user des catégories de Piketty, un tiers "social-planificateur ou social-écologique", soit la gauche (32 % des suffrages), un tiers "nationaliste", soit l'extrême-droite (32 % aussi), un tiers "libéral", soit le centre-droit (32% également). On risque fort de les retrouver, ces trois tiers, dans les votes de dimanche -si on ne les retrouvera pas dans la composition de l'Assemblée nationale, où le tiers nationaliste sera vraisemblablement plus réduit que sa force électorale, et le tiers libéral plus fort que la sienne. La tripartition dont il propose de sortir, Piketty (qui a par ailleurs appelé à soutenir la NUPES) précise qu'elle "ne signifie aucunement la fin des clivages politiques fondés sur la classe sociale et sur des intérêts économiques divergents", mais qu'elle résulte largement de l'abstention massive de l'électorat le plus jeune et le moins favorisé. Et qu'elle "renvoie aux trois grandes familles politiques qui ont structuré la vie politique depuis plus de deux siècles : libéralisme, nationalisme, socialisme".

Plus ça change, plus c'est la même chose, alors ? Que non pas : on ne parle plus du même libéralisme, ni du même nationalisme, ni du même socialisme. Mais on parle toujours, et on vote toujours, de liberté, d'égalité et de fraternité. Autrement dit : de nation, de société, de justice. Les élections, comme la française de dimanche, sont le moment où se mesure la prégnance de ces principes et de ces attentes. Les Français auront, dans trois jours, à 20 heures, élu un nouveau parlement -ils n'auront sans doute ni dépassé, ni synthétisé, le vieux clivage dont Piketty rappelle la permanence. 

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