Sous les pavés, la plage, sous le bitume, les fleurs.
C'est les vacances. On dirait qu'on serait sur le plage. Avec des animations de plage. On dirait que le choix fondamental que nous avons à faire pour la journée, c'est le choix de nos vêtures : chemise ou polo ? tongs ou espadrilles ? Et puis, il y a le choix de la boisson : spritz ou pastis ? Et enfin, il y a le programme de la journée : hier, c'était séance extraordinaire du Conseil municipal. Entrée en matière sur la proposition foutraque pour laquelle on avait été convoqués, ou petit roupillon (rémunéré) ?
Le crime de bitumicide commis aux Pâquis, il faut le mesurer : Ce crime, il a sept centimètres. La longueur d'une Gauloise bleue sans filtre.
Or donc, nous, Conseil municipal de
la capitale mondiale du monde mondial, et du dégrappage du
bitume, siégions hier en séances extraordinaires. Pour quoi ?
Pour rien. Pour des prunes. Ou pour des jetons de présence,
parce qu'il faut bien les payer, les prunes. A notre ordre du
jour, une motion acratopège de la droite municipale (UDC, MCG,
"Centre" droitisé et PLR) qui demandait au Conseil
administratif de donner des réponses "quant aux questions
soulevées par la presse" (à propos du dégrappage du bitume
pâquisard et de la position de la Conseillère administrative
Frédérique Perler), et de maintenir la plainte pénale qu'il
avait déposée contre les "dégrappeurs"... et qu'il a retirée.
Comme il ne s'agissait que d'une
motion (finalement refusée par le Conseil municipal), le
Conseil administratif en fait ce qu'il veut -un vieux reste de
bonne éducation nous dissuadant de lui suggérer clairement ce
qu'il devrait en faire. Il fallait de toute évidence une
séance extraordinaire de notre Conseil pour apprendre que la
droite écoute la radio (l'émission "Forum") et lit la presse.
Et pour demander au Conseil administratif de répondre à la
presse et de maintenir une plainte qu'il a retirée. Et qu'il
ne peut pas maintenir, puisqu'il l'a retirée (c'est le
principe du coïtus interuptus) ... et qu'il ne peut même pas
redéposer puisqu'on ne peut pas, après avoir retiré une
plainte, en déposer une nouvelle sur les mêmes faits (là,
c'est l'art. 33 du Code pénal)...
On a l'air d'ironiser, là, mais ça n'est qu'une
apparence. Parce que la polémique picrocholine qui nous occupe
depuis dix jours nous a tout de même appris une nouvelle
expression : "dégrappage du bitume". C'est joli, ça sonne bien,
ça décrit le crime commis le 22 juin par quelques militants de
la mobilité douce et quelques habitants du quartier contre le
bitume de places de parking des Pâquis, qu'ils ont percé au
marteau piqueur sur 7 centimètres de profondeur pour pour que la
population y plante des fleurs. Vu que sur 7 cm, on ne peut pas
planter des arbres, et que l'action reprochée à la Conseillère
administrative Frédérique Perler a consisté à dissuader les
militants de percer plus profond, vu le risque de toucher des
conduites d'eau ou de gaz.
Et pour bien qu'on ait une idée précise de la
gravité du crime de bitumicide commis aux Pâquis, il faut le
mesurer : Ce crime,il a sept centimètres. La longueur d'une
Gauloise bleue sans filtre. Survap, ActifTrafic ont percé le
bitume sur la profondeur d'une Gauloise bleue sans filtre. Cela
valait de toute évidence une séance extraordinaire du Conseil
Municipal. Et cela valait de toute évidence aussi que le Conseil
administratif sollicite un magistrat retraité de l'ordre
judiciaire pour faire "toute la lumière sur le déroulement des
faits". Post Tenebras Lux, quoi Mais devons-nous demander à un
syndicaliste retraité du secteur de la construction d'enquêter
sur les risques de l'usage du marteau-piqueur et l'utilité
d'avoir dissuadé les militants de Survap et d'ActifTrafic de
percer plus profond que 7 centimètres ?
A Genève, on ne fait d'ailleurs pas que dégrapper le bitume pour planter des fleurs. On plante aussi des arbres sans autorisation. Et ça ne réjouit pas la Ville, même pas le Conseillera administratif Alfonso Gomez, en charge de l'environnement, ni le chef du Service des Espaces Verts, Jean-Gabriel Brunet, que ça devrait pourtant réjouir. Surtout que ce plantage clandestin a été fait "avec beaucoup de professionnalisme". Seulement voilà : les arbres, il faut les planter profond, et ils ont des racines, et dans le sous-sol, y'a des réseaux de gaz, d'eau, d'électricité, de fibres optiques. Et les racines, ça pousse aussi. Ben, c'est justement pour ça que la Conseillère administrative Frédérique Perler a dissuadé les dégrappeurs des Pâquis de planter trop profond. Et ça lui a valu une volée de bois vert, même pas récupéré sur un arbre planté clandestinement... Faudrait savoir ce qu'on veut, quand même...
L'action menée par Survap et
ActifTrafic aux Pâquis fut certes illégale, pour sept
centimètres, mais parfaitement légitime, dans le quartier le
moins végétalisé de Genève. Une Gauloise bleue sans filtre,
c'est la longueur du crime odieux commis aux Pâquis, et c'est
le poids de toute la gravité de la complicité de la
Conseillère administrative avec ce bitumicide. Le PDC annonce
qu'il va demander au Conseil d'Etat d'entamer contre elle une
procédure disciplinaire. Le PLR annonce qu'il demandera sa
démission s'il s'avère qu'elle a été complice. Daniel
Sormanni, qui ne pouvait évidemment laisser le PDC et au PLR
occuper seuls le terrain, même sur 7 centimètres de
profondeur, a déposé sa propre dénonciation pénale. Personne
n'a encore exigé le bûcher, ça nous évite au moins d'invoquer
les mânes de Sebastien Castellion à l'inauguration d'une
plaque en hommage à Frédérique Perler.
La droite municipale veut nous faire, et lui faire, le cadeau de transformer Frédérique Perler en Rosa Luxemburg du bitume, en Louise Michel du dégrappage ? Soit. Mais ça nous rappelle quand même furieusement ses turlupinades face à Rémy Pagani lors des deux législatures précédentes : la droite regrette-t-elle à ce point Rémy Pagani qu'elle reprenne aujourd'hui contre celle qui lui a succédé les refrains vindicatifs qu'elle avait entonné contre lui pendant cinq ans, avec comme résultat de cette vindicte le retour d'une majorité de gauche au Conseil Municipal, le maintien de la majorité de gauche (et du siège du PDC) au Conseil administratif et l'élection de Frédérique Perler en succession de Rémy Pagani ?
Alors, merci à la droite
municipale de nous avoir donné l'occasion d'exprimer, par nos
interventions et par un amendement qu'on transformera en
motion pour la rentrée, notre soutien à Survap, à ActifTrafic,
à la végétalisation de l'espace public et à sa libération de
l'emprise du stationnement automobile*. Et même au plantage
clandestin d'arbres, qui "embarrasse" la Ville. On saura quoi
faire de nos jetons de présence, à qui les verser, si on ne se
paie pas un marteau-piqueur, au cas où (paraît qu'on en trouve
pour 150 balles sur internet).
Quelques uns d'entre nous, les
plus chenus, blanchis sous le harnais de la militance, ont le
souvenir de ce slogan vieux d'un demi-siècle : "sous les
pavés, la plage !". Que nous puissions aujourd'hui le
reformuler nous rajeunit, et nous ravit : Nous pouvons donc
nous offrir le plaisir, rare, et de valeur d'autant plus
grande, de remercier, en bloc et sans détail, l'UDC, le MCG,
le PLR et le Centre, de nous donner l'occasion de proclamer,
après le vieux "sous les pavés, la plage !", "sous le
bitume, la terre, et dans la terre, les fleurs !". Et même les
arbres.
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