Mondial qatari de football : Au-delà du boycott

"Peut-on regarder le Mondial 2022 sans avoir mauvaise conscience" se demande, inquiet, le "Matin Dimanche"... En réalité, peu nous importe la bonne ou la mauvaise conscience de qui "regarde" le Mondial. Ce qui nous importe, c'est l'absence totale de conscience de qui l'organise et de qui le sponsorise. Et de qui y joue ? Ceux-là non plus nous ne importent guère. Mais nous importent, en revanche, les villes qui organisent ou font organiser des fan zones dans leur espace public*. Par ailleurs, les ONG ont lancé une campagne (#PayUpFIFA) pour que la FIFA dédommage les travailleurs victimes des conditions de travail sur les chantiers qataris du Mondial ou, s'ils ont succombé, leur famille, et leur verse plus de 400 millions de francs (soit moins de 7 % des bénéfices attendus de la compétition) : Soutenez cette campagne ! Et si vous tenez vraiment à participer à un boycott, choisissez celui des sponsors du Mondial : Coca-Cola, McDonald's, Budweiser, par exemple : votre santé ne pourra, comme votre moral, que s'en mieux porter (pour plus d'infos sur tout ça, n'hésitez pas à vous procurer le "Dossier du Canard" : "Qatar, l'envers du décor", disponible dans tous les bons magasins de journaux...).

* https://chng.it/mGC8vWPXt7
https://www.petitionenligne.ch/petition_au_conseil_municipal_de_la_ville_de_geneve__pas_de_fan_zone_pour_le_mondial_de_la_honte

Pour le Qatar, le pouvoir est au bout du chéquier

La plupart des villes suisses ont renoncé à organiser des "fan zones" pour la Coupe du monde qatarie, arguant notamment, à l'appui de ce renoncement, de l'impact environnemental de l'événement, des conditions de travail imposées aux ouvriers ayant construit les stades et de l'irrespect des droits humains fondamentaux au Qatar. En suisse alémanique, aucune fan zone n'est prévue à Bâle, Lucerne et Saint-Gall, et à Berne, l'un des organisateurs potentiels de celle envisagée y a renoncé. A Lausanne, la municipalité a renoncé à en organiser une alors qu'elle le fait depuis 2006 pour les grandes rencontres internationales de football. Vevey a non seulement renoncé à organiser une fan zone, mais a interdit aux privés d'en mettre en place à sa place. A Neuchâtel, La Chaux de Fonds, Yverdon, Zurich, Winterthur, en revanche, de petites fan zone, ou des retransmissions sur les terrasses de bistrots, sont prévues. A l'intérieur des bistrots, les exploitants sont évidemment partout libres de retransmettre ou non les marches -aux consommateurs de choisir d'aller se sustenter dans des gargotes exemptes de ces retransmissions ou dans des tavernes les proposant. Genève fait donc exception en Suisse : c'est la seule grande ville où la Municipalité a décidé de faire installer une fan zone importante sur le domaine public -quitte à en déléguer l'installation à une société privée.  Il faut "remercier le football et ses dirigeants, dont la cupidité a involontairement permis de sensibiliser le monde à des situations humaines inacceptables", écrit, à propos du Mondial de foot qatari, dans "Le Matin Dimanche" du 9 octobre, son rédac'chef adjoint, Patrick Oberli. Donc, merci à la FIFA. Et au passage, merci aussi à la Ville de Genève, dont la pusillanimité a permis de sensibiliser à l'installation d'une Fan Zone pour ledit Mondial...

L'administrateur de la société NEPSA, Frédéric Hohl, mandaté par la Ville de Genève pour organiser la fan zone du Mondial qatari, a porté plainte pour calomnie, injures et atteinte à l'honneur, contre une personne l'ayant traité et ayant traité son entreprise d'"assassins", de "collabos", de "fachos" et de "salopards" sur Facebook, en raison précisément du mandat qui lui a été confié par la Ville d'organiser la fan zone. S'en prendre à Frédéric Hohl ou à NEPSA, c'est se tromper de cible. Nous demandons* que Genève renonce à sa fan zone, pas qu'on pourrisse la vie de son organisateur. C'est à la Ville de Genève que nous demandons de renoncer à cette fan zone, pas à NEPSA ni à Frédéric Hohl, sur qui la Ville s'est défaussée de son organisation, avant de se préparer à se défausser du choix d'y renoncer... Cela posé, on rappellera que du 7 au 19 décembre, en plein Mondial, se tiendra à Montréal une conférence importante, la COP15 sur la biodiversité (toutes les COP ne sont pas sur le climat -la COP climatique, elle, se tiendra à Montréal un mois avant). Il s'agit de savoir comment enrayer la sixième extinction de masse des espèces vivantes. Alors, quitte à faire tenir par Nepsa une fan zone à Plainpalais, changeons son mandat pour lui en faire tenir une pour soutenir la lutte contre l'extinction du vivant...

"Personne n'est pour cette coupe au Qatar", reconnaît celui à qui la Ville a sous-traité la célébration de cette coupe dont personne ne veut, et que la FIFA avait déplacée en novembre et décembre pour qu'elle puisse se dérouler en une saison aux températures plus supportables (il fait jusqu'à 60° en été, au Qatar) que celles qui étaient imposées aux travailleurs  employés sur les chantiers des infrastructures du Mondial, On n'a imposé aucun cahier des charges en matière d'environnement ou de droits humains aux organisateurs. Les travailleurs asiatiques (indiens, bangladais, népalais, srilankais, pakistanais), soit la grande majorité des travailleurs, étaient parqués au plus loin du centre ville, par exemple dans une zone industrielle. Leur passeport avait été confisqué par leur employeur qatari. Ils ne pouvaient donc plus quitter le pays. Combien de ces travailleurs, interdits de changer d'employeurs, sont-ils morts de leur travail ? Le "Guardian" a évoqué le chiffre de 6500 morts, l'Organisation internationale du Travail en a recensé 600, Amnesty International et d'autres ONG parlent de "milliers de morts", sur les chantiers, ou après des effets de leur travail et de leurs conditions de vie : travailler par des températures atteignant parfois 50°, subir des horaires de travail délirants, des mesures de sécurité fantômatiques, des jours de repos accordés au compte-gouttes et logés dans des taudis. Et s'ils ne les acceptaient pas, ces conditions de travail et de vie, ils étaient menacés d'expulsion. Mais la FIFA ne regrette rien. Et même, elle se rengorge : Au Parlement européen de Strasbourg, Alasdair Bell, le secrétaire général adjoint de la FIFA, s'est rengorgé : en attribuant le Mondial 2022 « Nous avons donné plus de visibilité aux droits de l'homme au sein de la FIFA, ce qui a eu un effet domino. Cette Coupe du monde au Qatar sera le premier grand événement sportif de l'histoire à laisser un héritage positif durable en matière de droits de l'homme et de droits du travail » . On attend donc avec impatience la déclaration de l'Iran se félicitant d'avoir donné "plus de visibilité" aux droits des femmes, celle de Poutine se félicitant d'avoir donné "plus de visibilité" à l'Ukraine.

Le Qatar voulait le Mondial non pour ce qu'il est -une compétition sportive, ni pour ce qu'il montre -du football, mais comme une carte de visite : avec le Mondial, le Qatar existe non seulement pour les décideurs, mais pour l'opinion publique. Pour le Qatar, le pouvoir est au bout du chéquier : Le fonds souverain qatari dispose de 450 milliards de dollars (ou d'euros, ou de francs suisses) : l'émirat  peut tout acheter, investir partout. Il a acheté les jeux olympiques comme il avait acheté  l'aéroport londonien d'Heathrow , la Bourse de Londres, le Pari Saint-Germain, investi dans Total, Accor, le Crédit Suisse, la Deutsche Bank, Porsche, Siemens, Volkswagen, ou lancé Al Jazeera ou Qatar Airways. Et pour le salut des âmes, l'émirat finance des mosquées et des centres islamiques. "Ce pays fonctionne un peu comme une multinationale dont l'émir serait le PDG tout-puissant", résume le journaliste Christian Chesnot. Cette multinationale et cet émir ont trouvé des alliés -notamment la France, qui a fait, via Michel Platini, soutenir la candidature du Qatar à l'organisation du mondial par suffisamment de représentants du foot européen pour que cette candidature soit retenue, contre celle des USA. Et puis, en plus des alliés, il y a les complices : ceux qui laissent la corruption sévir dans les coupoles internationale du foot-pognon, la FIFA et l'UEFA, mais aussi le CIO. On ne saurait innocenter la Suisse de cette complicité : les trois coupoles y ont leur siège... Pour ne pas écrire leur cuvette... Et la Suisse a exporté pour 177 millions de francs de matériel de guerre. Et le Qatar possède, en Suisse, des hôtels de luxe (le Savoy à Lausanne, le Schweizerhof à Berne). Et il est l'un des investisseurs les plus importants du Crédit Suisse. Et il va même organiser à Doha le Salon de l'auto de Genève...

Sa fan zone à lui, en somme...

* https://chng.it/mGC8vWPXt7
https://www.petitionenligne.ch/petition_au_conseil_municipal_de_la_ville_de_geneve__pas_de_fan_zone_pour_le_mondial_de_la_honte

Commentaires

Articles les plus consultés