Gratuité des transports publics genevois : Le pas suspendu de l'initiative

A Genève, l'initiative populaire cantonale constitutionnelle "Pour des transports publics gratuits, écologiques et de qualité" a abouti, et a été déposée le 21 juillet dernier avec plus de 10'800 signatures (il en faut 8157 valables). C'est à Genève la deuxième initiative populaire pour des transports publics gratuits qui aboutit -la première avait été massivement refusée en 2008. Les initiants de cette année considèrent (et nous avec eux) que depuis, la conscience s'est faite jour de la nécessité de "développer et démocratiser les alternatives au transport individuel motorisé, qui représente 29 % des émissions de CO2 en Suisse". La Jeunesse Socialiste suisse a par ailleurs lancé la proposition d'un "pass" quotidien dans les communautés tarifaires régionales (comme, à Genève, Unireso) pour un franc symbolique (ou d'un pass mensuel à 30 francs). A Fribourg, le Grand Conseil a invalidé une initiative semblable, au prétexte que la Confédération fédérale prévoit que les usagers doivent en couvrir une partie des coûts -ce qu'ils feraient pourtant en cas de gratuité, par leurs impôts, directs et indirects. Les jeunesses des partis de gauche ont fait recours au Tribunal fédéral contre cette annulation, avec le risque que le TF confirme la décision cantonale fribourgeoise, et invalide de facto l'initiative populaire genevoise sous le même prétexte, que le Grand Conseil fribourgeois a invalidé la fribourgeoise... Le pas des deux est suspendu à un arrêt...

Qui veut la gratuité pour soi n'a pas de légitimité pour la refuser aux autres...

A l'étude au sein de la commission des Finances du Conseil municipal de la Ville de Genève, une motion dont nous étions rendu coupable il y a plus d'un an motion demande à la Municipalité d'étudier la possibilité d'instaurer la gratuité des transports publics sur son territoire  (parce qu'elle ne peut pas, en tant que commune, l'instaurer au-delà), et d'étudier les modalités de compensation des pertes de billetterie, et le coût de l'exercice pour la Ville. Elle demande aussi d'entamer des discussions avec les autres communes genevoises. Cette motion est parallèle à toute une série de démarches en faveur de la gratuité, ou de la quasi gratuité, des transports publics, en Suisse et dans nombre de pays étrangers. Elle prolonge également des propositions de dispositifs de gratuité, ou des gratuités déjà établies, en faveur de catégories sociales, professionnelles, générationnelles, voire politiques particulières, de sorte que des milliers de personnes bénéficient déjà à Genève de la gratuité des transports publics, c'est-à-dire d'abonnements généraux leur étant offerts ou remboursés : Conseillères municipales et Conseillers municipaux, députées et députés, cadres supérieurs de la fonction publique et de nombre d'entreprises privées, personnes à l'assistance, personnel des TPG et des CFF, ainsi que, sauf erreur, personnes aveugles et mal-voyantes. A ces dispositifs de gratuité ou de quasi gratuité s'ajoutent des dispositifs de réduction des tarifs : la Ville de Genève accorde ainsi une réduction de 100 francs aux 8-25 ans, sur l'abonnement annuel de 300 francs qui leur est destiné : plus de 7500 enfants, adolescents et jeunes adultes domiciliés en Ville en ont bénéficié en 2022... Une autre motion, traitée et refusée en commission mais pas encore en séance plénière, proposait d'instaurer la gratuité pour les enfants dès 8 ans, adolescents et jeunes adultes (jusqu'à 25 ans) Il conviendra de la soutenir, en fonction du principe "qui veut le plus veut le moins", autrement dit : qui veut la gratuité pour tout le monde l'accepte forcément pour les 8-25 an, comme qui veut la gratuité pour soi n'a pas de légitimité pour la refuser aux autres...

Le coût de la gratuité des lignes des TPG dans tout le canton est estimé à 120-157 millions de francs par an, ce qui correspond à la perte des rentrées engendrées par la billetterie et les abonnements (soit un tiers du financement des TPG), mais ne tient pas compte des économies réalisées par la disparition du système de billetterie et le renoncement aux mesures de lutte contre la resquille (du coût des contrôle à celui de l'encaissement des amendes, voire de la mise en détention des plus récalcitrants). Les initiants considèrent que les recettes fiscales engendrées pour le canton par le nouveau taux minimum d'imposition des entreprises établi par l'OCDE à 15 % couvriront largement le coût de la gratuité -le texte de l'initiative ne faisant qu'en poser le principe.

En Allemagne, la quasi-gratuité des transports pendant trois mois (avec un ticket à neuf euros par mois) sur l'ensemble du territoire de l'Etat fédéral, a eu un tel succès (l'expérience s'est achevée le 31 août) ,"fulminant",  selon le ministre fédéral des transports, que la demande a dépassé l'offre, et a montré les limites du réseau : les trains étaient bondés...  L'expérience aura coûté en un trimestre 2,5 milliards d'euros et a permis d'améliorer la mobilité des personnes à bas revenus. Sur les déplacements de moins de 300 km, le nombre de voyageurs a augmenté de 42 % par rapport à la période pré-pandémique. Le succès même de l'opération a mis en lumière les faiblesses du réseau ferroviaire allemand, surchargé même avant le ticket à neuf euros, et la complexité du système tarifaire, avec une centaine d'entreprises de transports public et presque autant de tarifs différents. Du même coup, elle a incité les décideurs à étudier les remèdes possibles à ces faiblesse (les syndicats demandent l'embauche de personnel supplémentaire et l'amélioration des conditions de travail) et à cette complexité (la création d'un billet national simple et unique est envisagée), et à prolonger l'expérience avec de nouvelles offres, avec un billet annuel à 365 euros ou mensuel à 29 euros. On n'en serait pas encore à la gratuité, mais avec un tarif d'un euro par jour, on s'en approcherait.

En France, les sept villes qui ont fait de le choix de la gratuité des transports publics ont vu leur fréquentation croître, mais parfois au prix d'une baisse des déplacements à vélo ou à pied, ce qui suggère que des mesures d'accompagnement de la gratuité sont nécessaires, en faveur des modes de mobilité douce : la gratuité des transports publics est en effet essentiellement une mesure sociale, et ne suffit donc pas à modifier fondamentalement la répartition modale des transports : il faut y ajouter le développement des pistes cyclables et des parcours piétons, la réduction de l'offre de places de stationnement... et l'amélioration de celle des transports publics (nouvelles lignes, prolongement des lignes existantes et des horaires de service, accélération des fréquences et des temps de parcours). Ni l’initiative populaire cantonale, ni la motion municipale, genevoises toutes deux, ne suffiront donc à faire basculer le choix du mode de déplacement de la bagnole vers une mobilité douce. Nos prétentions, aux uns et aux autres, est moindre : elle est de nous inscrire dans un mouvement général dont la gratuité des transports publics n'est qu'un aspect -mais peut-être l'aspect symboliquement le plus fort, parce qu'il porte à la fois sur l'enjeu du coût des transports pour les gens et celui de leur coût pour l'environnement.


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