Hébergement d'urgence : les communes se partagent la charge
La ville dans la ville
Il y a une ville dans la ville,
          nous rappelait hier soir Christina Kitsos : la ville de la
          marge, la ville des exclus, dans la ville des banques et des
          boutiques de luxe. Hier, le Conseil municipal de
        Genève a ratifié (en ne s'y opposant pas) une décision de
        l'Association des communes genevoises à laquelle il n'avait
        aucune raison de s'opposer : l'octroi d'une subvention de 5,36
        millions de francs à la Ville pour financer son dispositif
        d'hébergement d'urgence. Alors bien sûr, cette subvention est
        prise sur un fonds intercommunal au financement duquel la Ville
        participe pour une part importante, mais l'accord de la majorité
        des communes (29 sur 45) de verser une subvention à la plus
        importante d'entre elles est à la fois symboliquement et
        matériellement important : symboliquement, parce qu'il surmonte
        la vieille méfiance des petites communes à l'égard de la Ville;
        matériellement, parce qu'il permet de financer l'hébergement de
        200 des 700 sans-abris (c'est, forcément, une estimation) qui en
        cherchent un dans la ville-centre, celle qui, précisément, peut
        en offrir, et en offre déjà 500, à ses propres frais. Seize communes se sont tout de même opposées à ce que
        le fonds intercommunal subventionne la Ville pour l'aider à
        assumer l'hébergement de personnes sans abri, en hiver. Seize
        communes, ce n'était pas assez, et elles ne totalisaient pas une
        population suffisante,  pour bloquer cette subvention, mais
        c'est tout de même beaucoup, et on s'interroge sur les raisons
        et le sens de cette opposition : le "sans-abrisme", ce n'est pas
        leur problème ? Ou alors, il faut attendre une mort de froid
        pour qu'elles en reviennent de leur j'menfoutisme ? 
      
Le dernier numéro du trimestriel du Parti socialiste de la Ville de Genève, Causes Communes, vient de sortir : il est consacré aux sans-abris. Vous pouvez le télécharger ici : https://www.ps-geneve.ch/causes-communes/#Causes_Communes_60_8211_Loger_les_sans-abris
Le droit d'avoir des droits
    
En septembre 2021, une loi cantonale donnait aux
        communes la compétence d'assurer l'hébergement d'urgence des
        sans-abris et posait, pour la première fois, comme un principe,
        leur droit à cet hébergement. Mais en avril 2022, la Ville de
        Genève, seule (ou presque) à assurer cet hébergement d'urgence,
        annonçait comme chaque année la fermeture des places d'accueil
        du dispositif hivernal... mais l'hiver était revenu  et des
        dizaines de personnes se retrouvaient dans la rue, dans un
        moment de grand froid. Pour pouvoir revenir sur cette décision,
        rouvrir des places, en accroître le nombre, elle a fait appel à
        la solidarité de l'ensemble des communes genevoises. Appel
        entendu par la majorité d'entre elles, une minorité faisant la
        sourde oreille en trouvant parfois des prétextes formels pour
        justifier cette surdité volontaire. Finalement, le financement
        de l'hébergement d'urgence a été pérennisé (sous réserve du vote
        par le Grand Conseil d'une loi proposée par les communes), à
        hauteur de treize millions, et financé par une péréquation
        solidaire, les communes les plus riches payant,
        proportionnellement, plus que les moins riches. Ce fut ardu,
        complexe, lent et parfois conflictuel, la coordination
        opérationnelle est encore à mettre sur pieds mais, "l'essentiel
        est acquis" applaudit la Conseillère administrative Christina
        Kitsos, en charge du dossier pour la Ville : "l'aide d'urgence
        se pérennise et s'ancre pleinement dans le droit". Il était
        temps.
      
Sur le terrain, les associations et leur
        collectif, le CausE (Collectif d'associations pour l'urgence
        sociale) sont à l'oeuvre. En avril 2019, elles dressaient 200
        tentes sur la Plaine de Plainpalais pour les sans abris. Une
        action spectaculaire (au bon sens du terme) rendant visible ce
        qu'on voudrait ne pas voir : que dans une des villes les plus
        riches du monde, dans un canton où le salaire minimum légal
        atteint presque le quadruple du pays d'à côté, à dix kilomètres
        de là, où le salaire moyen tourne autour de 7000 francs ou
        euros, où la nuit est illuminée des enseignes des banques, des
        hôtels de prestige, des montres de luxe, des centaines de
        personnes n'ont pour dormir que la rue, les rives du Rhône ou de
        l'Arve, les porches des immeubles, le parvis des églises, les
        parc, le trottoir de feu le Landolt ou les hébergements
        d'urgence offerts par la municipalité. L'ouverture d'un
        dispositif de nuit qui permettait d'accueillir 130 personnes par
        jour pendant un an a été interrompue par la pandémie covidienne,
        mais l dernière, l'Armée du Salut ouvrait à Sécheron Le Passage,
        qui offre 62 lits, et à qui la Ville accorde une subvention de
        fonctionnement de 855'000 francs. Aux Pâquis, l'association SGS
        Solidarité Pâquis a deux projets : celui d'un centre d'accueil
        de jour (avec douches et vestiaire) proposant repas, suivi
        social et administratif, et un projet de "tournées
        pluridisciplinaires" dans la rue avec des professionnels du
        travail social et de la santé. La Ville de Genève, l'ASLOCA, la
        Caravane de la solidarité et le Collectif de soutien aux
        sans-papiers ont impulsé la création de l'Association pour le
        sauvegarde du logement des personnes précaires, parce qu'avoir
        un logement et pouvoir le garder est la condition de la sortie
        de la précarité, et de la rupture de son cercle vicieux : sans
        logement, pas de domicile; sans domicile, pas de travail; sans
        travail, pas de revenu; sans revenu, pas de logement.
      
"Le temps politique n'est que rarement celui du quotidien et des inquiétudes du terrain ", constate le CausE*, qui craint toujours que "l'hypothèse -malheureusement éprouvée- de réductions de places et de fermetures de dispositifs ne peut pas être écartée. Et avec elle, le spectre redouté du cycle destructeur de l'errance". Car la précarité tue : brutalement, par l'insécurité physique dans laquelle on se trouve dans des espaces non protégés des violences, ou à plus petit feu, par les maladies qu'elle favorise, dont on est frappé plus tôt, qui ne sont pas diagnostiquées à temps pour être soignées, qui ne sont pas ou sont mal soignées, et enfin par un vieillissement prématuré. La grande précarité, dont l'absence d'abri est l'une des conséquences, fait perdre de dix à vingt ans de vie à celles et ceux qui en sont victimes. On vit plus mal, on survit plus malade, on meurt plus tôt. Les sans-abris sont le maillon faible du lien social, celui dont la faiblesse se répercute sur tout le lien, toute la chaîne des liens. Ce maillon faible, c'est celui qu'il faut renforcer pour que tienne la chaîne, et l'action en sa faveur est la mesure de toute l'action sociale : : "Avoir un toit est nécessaire pour s'ancrer dans le présent et se projeter dans l'avenir", résume Christina Kitsos : ce droit "est la condition préalable à tout travail social".
Assurer l'hébergement des sans-abris, un logement aux sans-domicile, c'est leur assurer non seulement le droit au logement, mais aussi le droit aux soins, à l'aide sociale, à l'information, la formation, le travail et le repos. C'est reconnaître et garantir le plus fondamental, le premier de tous les droits : le droit d'avoir des droits.
* https://www.ps-geneve.ch/causes-communes/#Causes_Communes_60_8211_Loger_les_sans-abris



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