"Stratégie-climat" de la Ville de Genève : Pas sans les gens
Le Conseil administratif de la Ville de Genève présente lundi au Conseil municipal la "stratégie Climat" de la Ville - un plan sur neuf axes stratégiques, exprimant 30 objectifs et contenant 78 mesures (https://www.geneve.ch/fr/document/strategie-climat-ville-geneve-liste-mesures), qu'il veut "à la hauteur des enjeux". Il présente cette stratégie, mais ne la soumet pas à un débat et à une approbation du parlement municipal, dont les élues et les élus pourront certes poser des questions à l'Exécutif, mais la procédure mitonnée par le bureau du Conseil municipal exclut tout débat réel. Autant dire qu'on aura autre chose à faire lundi que perdre son temps à faire à quatre-vingt personnes un travail qu'on demande généralement de faire faire à une commission de quinze personnes. Cela posé, il faut affirmer nécessaire qu'une ville comme Genève, qui a proclamé l'"urgence climatique" en février 2020, entend diminuer de 60 % ses émissions de gaz à effet serre d'ici sept ans, et atteindre la neutralité carbone en une génération (d'ici 2050, donc), se doit effectivement d'adopter une stratégie climatique se déclinant en mesures concrètes. Celle de la Ville, qu'on peut obtenir sur www.geneve.ch/strategie-climat, vise à "intégrer les objectifs climatiques à l'ensemble de ses politiques publiques", "vise non seulement la réduction des émissions de carbone (...) mais aussi (la) transition écologique, sociale et économique", et la Municipalité veut la mettre en œuvre "avec les citoyennes et les citoyens". Elle a raison : c'est en effet une condition sine qua non de cette mise en œuvre -aucune stratégie climatique, aucune "transition écologique, sociale et économique" ne peut se faire contre la population, ou sans elle. Sinon, on a les "gilets jaunes".
Ce n'est pas de "paradigme" qu'il faut changer, mais de société
Le Conseil administratif en présentation de son "plan climat", évoque un changement de paradigme. Pour nous, ici, le "changement de paradigme" ce quota rhétorique de tous les discours politiques présents, est une périphrase, un euphémisme, un tic de langage. Parce que ce n'est pas de "paradigme" qu'il faut changer, mais de société. Il y a à mener des politiques d'urbanisme, de transports, d'alimentation, d'environnement rompant radicalement avec celles suivies jusqu'à présent, et cette rupture sera coûteuse. Et ira bien au-delà d'une "transition écologique" ne se pensant qu'en termes technologiques, de substitution de technologies à d'autres (la voiture électrique à la voiture à essence, par exemple), sans remettre en cause la croissance, en ajoutant une production d'énergie à partir de sources renouvelables à une production à partir de sources non-renouvelables, sans que la première se substitue à la seconde, et en admettant une croissante constante de la consommation d'énergie.
Le dernier rapport du GIEC porte moins sur les
        conséquences du réchauffement climatique que sur la nécessité de
        s'y adapter, puisqu'elles apparaissent comme, déjà, en grande
        partie irréversibles. Et vont continuer à s'aggraver. Il
        convient donc d'abord de poursuivre, de renforcer, de
        radicaliser, d'accélérer la décarbonation des économies et des
        fonctionnements sociaux, de réduire les émissions de gaz à effet
        de serre produits par la combustion des énergies fossiles,de
        parvenir à la neutralité carbone le plus rapidement possible,
        mais aussi de faire face à l'augmentation des températures,
        l'aggravation et l'accélération des catastrophes naturelles, la
        montée des eaux, la sécheresse, l'exode des réfugiés
        climatiques. Et cela coûtera cher, en efforts et en crédits : il
        faudra au moins 127 milliards de dollars ou d'euros par an
        jusqu'en 2030, et 300 milliards dans les vingt ans qui suivent,
        rien que pour aider les pays en développement à s'adapter à des
        écosystèmes bouleversés par le réchauffement climatique. Et à
        ces centaines de milliards vont devoir s'en ajouter des
        centaines d'autres pour adapter nos propres sociétés aux
        changements climatiques qui les frapperont, et les frappent
        déjà, elles aussi : selon un rapport de l'Organisation
        météorologique mondiale, le nombre de désastres d'origine
        climatique avait été multiplié par cinq en cinquante ans... 
      
Les villes sont à la fois grande responsables des
        changements climatiques et douloureusement victimes des
        conséquences de ce changement. Si petite soit-elle à l'aune
        mondiale, avec ses 200'000 habitants et sa forte densité, Genève
        peut être, précisément parce qu'elle est très dense, très
        concentrée -mais aussi très riche- une sorte de laboratoire de
        la mise en œuvre des mesures les plus urgentes. Les émissions de
        gaz à effet de serre, sur ce petit espace (celui de la commune)
        sont de l'ordre de 13 tonnes de CO2 par an et par personne.
        C'est beaucoup, et ce peut être beaucoup moins. Comme partout
        ailleurs, mais sans doute plus facilement qu'ailleurs, il s'agit de limiter drastiquement le recours aux
        énergies fossiles. Et donc d'en réduire considérablement la
        consommation. Et donc les besoins -la hausse des prix de
        l'énergie pouvant d'ailleurs y concourir. Or les mesures
        concrètes permettant de réduire la consommation d'énergies
        fossiles (voire même d'énergies renouvelables...) sont
        nombreuses : Abaisser la température moyenne de chauffage d'un
        degré centigrade réduit de 7 à 8 % la consommation d'énergie
        produite pour le chauffage. Renoncer à la climatisation a un
        effet encore plus radical. Substituer pour les déplacements
        courts la marche ou le vélo quand on le peut physiquement, ou
        les transports publics, à l'automobile individuelle, réduire les
        déplacements professionnels, développer le covoiturage ou
        instaurer la circulation alternée ou des dimanches sans voiture,
        toutes ces mesures, à portée d'une collectivité comme la
        genevoise, ont aussi un impact important.
        
 A Genève, le
          Conseil d'Etat a présenté fin octobre, après le Conseil
          administratif de la Ville, un plan climat visant à la
          neutralité carbone en 2050. La "Tribune" a eu l'heureuse idée
          de se demander, sur deux pleines pages, le 30 octobre, "à quoi
          ressemblerait une Genève décarbonée", la Genève de 2050. Et
          avouons-le, c'est assez jouissif. Et ça ressemble assez à
          quelques uns des projets et des propositions de la
          Municipalité genevoise, et même, soyons fous (et folles),
          quelques uns de nos rêves... Donc, on dirait qu'on vivrait en
          2050 dans "une Genève décarbonée" : on ne consommerait plus
          d'énergie fossile, les chaudières à mazout et à gaz seraient
          interdites, on se chaufferait grâce à la géothermie, à l'eau
          du lac, aux rejets thermiques industriels, au stockage de
          chaleur estivale dans le sous-sol. Les panneaux photovoltaïque
          auraient fleuri partout où ils le pouvaient, et le solaire
          assurerait à lui seul la couverture de la moitié des besoins
          électriques du canton. Des éoliennes auraient fait leur
          apparition. Les espaces verts (parcs, squares arborisés,
          jardins)  se seraient multipliés en ville, on mangerait moins
          de viande, on boirait moins de sodas industriels, on se
          nourrirait plus avec de la production locale grâce à des
          circuits courts et des points de vente directe, l'agriculture
          urbaine se développerait. La Ville se densifierait, on
          gaspillerait donc moins d'espace et on construirait autrement
          : moins en béton, plus en bois et en pierre, et les bâtiments
          seraient orientés en fonction des vents rafraichissants. Les
          voies de circulation auraient été réduites pour les
          automobiles, et en grande partie réservées aux piétons, aux
          cyclistes et aux transports publics, en site propre. Les
          parkings à bagnole auraient été transformés en garages à vélo
          et les véhicules fonctionnant aux énergies fossiles
          auraient été proscrits. On marcherait plus (quand on est en
          état physique de le faire) et la "Grande Genève" serait
          devenue un espace à forte densité de transports publics, la
          partie française ayant rattrapé son retard. La consommation de
          biens d'équipement aurait aussi changé : l'économie circulaire
          serait privilégiée, on achèterait moins de neuf, on réparerait
          ou on ferait réparer, on bricolerait, on chinerait, on
          troquerait, on renoncerait à avoir le dernier modèle. Des
          "bibliothèques d'objets" se seraient ouvertes, et des systèmes
          de partages d'objets : on y emprunterait des objets dont on
          n'a pas besoin en permanence. La publicité commerciale aurait
          évidemment été interdite Et on aurait plus de temps libre, le
          temps de travail ayant été réduit (mais cela, le Conseil
          administratif ne le propose pas dans son "plan climat" :
          navrant oubli, de la part d'une municipalité de gauche...). 
        
Et puis, enfin (ou d'abord, et surtout), on n' aurait pas pensé la réponse à l'urgence environnementale sans penser la réponse à l'urgence sociale, la transition climatique sans la transition démocratique. On aurait admis que les urgences ne se hiérarchisent pas mais se conjuguent. Qu'on ne peut répondre à l'une sans répondre à l'autre. Et que de cela aussi, la Ville de Genève peut être "pionnière et modèle", pour reprendre les mots par lesquels se conclut la "stratégie climat" du Conseil administratif.
Mais être "pionnière et modèle",
          cela ne disconvient-il pas à la modestie dont nul n'ignore
          qu'elle est l'une des principales qualité de Genève, des
          Genevoises et des Genevois ?
        
        
    
      
    



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