Genève : Acceptation du plan localisé de quartier "Bourgogne" : Densifier la ville pour ne pas l'étaler

Dimanche, le corps électoral actif de la Ville de Genève a accepté à 56 % des voix (mais avec une abstention de 65 %, et l'opposition des trois arrondissements voisins du secteur concerné) le préavis positif donné par le Conseil municipal au plan localisé de quartier (PLQ) du secteur de la Bourgogne. En lieu et place des villas présentes, 480 logements, dans une quinzaine d'immeubles, et un parc public sur la moitié de l'espace au sol (il est de 35'000 m2), sont prévus, dans un secteur proche de toutes les commodités urbaines, et propice à tous les modes de mobilité douce. Ce résultat est un peu une (bonne) surprise : la magistrate en charge du dossier, Frédérique Perler, se dit (comme nous) "satisfaite et soulagée" et pour le secrétaire général du Rassemblement pour une politique sociale du logement, Romain Gauthier, "l'intérêt général a prévalu sur l'intérêt privé" : un refus du préavis municipal aurait eu effet non seulement sur le projet visé, mais aussi sur d'autres projets en cours, comme le projet Acacias-1, première étape, avec 2200 logements, du vaste projet du PAV (Praille-Acacias-Vernets) , soumis lui aussi au vote populaire municipal en Ville de Genève le 18 juin.

Sans doute un préavis comme celui portant sur un projet comme celui du secteur "Bourgogne" n'est-il qu'un préavis municipal, la décision finale revenant au canton. Mais s'il est assez facile pour le canton de s'asseoir (pour autant que cela se fasse délicatement) sur le refus d'un préavis municipal dans une petite commune de quelques centaine d'habitants, cela devient plus périlleux de le faire (surtout en temps de campagne électorale) sur celui d'une commune de plus de 200'000 habitants, représentant 40 % de la population de tout le canton. L'acceptation du PLQ "Bourgogne" va permettre la construction d'un premier bâtiment sur des parcelles déjà acquises par des promoteurs privés. Pour la suite, les constructions se feront au fur et à mesure des ventes, sans expropriation, pas à pas, en assurant, pour chaque bâtiment construit, la réalisation d'une partie du parc. Surtout, ce vote positif, à une majorité assez claire (il est vrai que seule la droite de la droite du Conseil municipal, UDC et MG, s'opposait au préavis favorable au PLQ) peut être interprété comme une réponse au dilemme qui se trouve au coeur de la politique d'aménagement et de l'urbanisme à Genève : pour répondre à l'augmentation constante de la population du canton (et de la Ville), préfère-t-on densifier la ville existante ou l'étaler sur la campagne ?

Que les habitants construisent leur ville dans la ville. Qu'ils soient anarchitectes.

En vingt ans (2000-2020), la population du canton de Genève a crû de 100'000 habitants. Parce qu'on a construit des logements ? Non : parce qu'on a créé des emplois. "Il y a un malaise sur le développement" de Genève, a reconnu, sans effort (tant il est évident, ce malaise) Antonio Hodgers, avant d'ouvrir les "rencontres du développement" organisées du 24 au 28 septembre  par son Département du territoire. Un "malaise sur le développement" qui est aussi un malaise sur la mobilité, la démographie, l'économie, l'environnement. Car, évidemment, tout est lié : si la population de la Ville, du canton et, surtout de la région (la "Grande Genève") augmente, c'est parce que le développement économique provoque cet accroissement démographique, et avec lui des besoins accrus en infrastructures, en logements, en espaces publics. On est bien dans un choix de société : calibrer la société à la croissance, ou la croissance aux besoins sociaux et aux droits et libertés des gens ? Quand les opposants au projet le dénoncent comme la "concrétisation d'une quête de croissance sans fin", il inversent la cause et l'effet : on ne construit pas des logements pour doper la croissance, on en construit pour assumer les conséquences d'une croissance dont on a fait une obsession.

Genève a besoin de 30'000 à 40'000 logements supplémentaires d'ici dix ans, et d'entre eux une part considérable de logements à loyers contrôlés. Où les construire ? et comment ? Et avec quels prolongements, quels accompagnements ? Lorsque la croissance démographique contemporaine a commencé, dans l'immédiat après-guerre mondiale, Genève n'a, pendant vingt ans, pas assez construit, alors que le nombre d'emplois explosait (d'où, ensuite, le recours massif à la main d'oeuvre frontalière, et aux 650'000 franchissements quotidiens de la frontière qu'on connaît actuellement).  Depuis 2019, date du refus du projet du Pré-du-Stand, des votes populaires refusant de rendre des terrains constructibles ont gelé les projets de 20'000 logements, ceux envisagés en zone 5, sur 11 % des zones villas, c'est-à-dire la plus grande réserve possible de logements possible -plus grande que le PAV. "20'000 logements en moins à Genève, c'est 20'000 logements nécessaires en plus hors du canton et au moins 20'000 pendulaires de plus sur les routes et des loyers en hausse", résume Antonio Hodgers, qui note que les mêmes qui s'opposent à la construction de nouveaux logements à Genève se plaignent des flots de voitures pendulaires" générés par l'installation à la périphérie d'une population qui ne trouve pas de logement à Genève. Autrement dit, les votes conservateurs des Genevois sur des déclassements ne "conservent" pas, mais détériorent la situation. A moins bien entendu de "décréter que, désormais, (...) les 40'000 Suisses installés en France sont condamnés à rester". Et que les immigrants qui travailleront à Genève ne pourront jamais s'y installer. Et que Genève ne devrait pas avoir plus de 500'000 habitants (elle en a déjà plus que cela, d'ailleurs). Et que donc les 150'000 nouveaux habitants que sa croissance économique pourrait attirer, et nécessiter, devront s'installer hors de Genève tout en travaillant à Genève -d'où plus de circulation pendulaire...

Sauf à rêver d'un arrêt complet de l'immigration (puisque c'est elle qui à Genève est le moteur de l'accroissement démographique), le choix est à faire entre la densification et l'étalement urbain sur des zones non encore urbanisées : "construire la ville en ville", c'est éviter de la construire en bouffant la campagne.  La densification permet de réduire les coûts sociaux et écologiques de l'adaptation à l'évolution démographique, en rationalisant les infrastructures : réseaux énergétiques, transports publics, ramassage, tri et recyclage des déchets, adduction et traitement des eaux. Quant aux espaces verts, ils sont plus nombreux à être accessibles au public en ville que dans une zone parcellisée comme la zone villa. Enfin, si l'offre de transports publics et de parcours cyclables est suffisante,  la ville dense réduit les déplacements et les raccourcit : les arrêts de bus, de trams, de trains, sont plus proches du domicile. Le recours à la voiture individuelle peut donc devenir exceptionnel au lieu que d'être une règle obligée.

En outre, les zones villas sont les pires exemples d'urbanisme respectueux de l'environnement (même si les villas sont mitoyennes ou qu'on construise, comme on en a le droit, de petits immeubles de deux étages sur rez) : en fait, la ville est bien plus écologique que les zones pavillonnaires : par habitant, elle est bien moins consommatrice d'énergie, bien moins polluante, bien moins génératrice de déplacements en bagnole (la zone villa est celle où on trouve le taux de motorisation le plus élevé) . L'habitat individuel (pavillon, villa) est générateur de quatre fois plus de gaz à effet de serre que l'habitant collectif, nécessite deux fois plus de béton et l'abattage de cinq fois plus d'arbre, habiter un immeuble est quatre fois moins nuisible à l'air et au climat qu'habiter une villa ou un pavillon...

Dans le quartier "Bourgogne", à la place d'une quarantaine de villas, on aura, dans une quinzaine d'années, 450 logements, dont des logements à loyers modérés -ceux que sollicitent les milliers de personnes inscrites auprès de la seule Gérance Immobilière Municipale. Au coeur du nouveau quartier, à la place des îlots de verdure privatifs sans chemin pour les traverser, un parc public prendra place -et chaque fois qu'un des immeubles du projet sera construit, une partie du parc sera aménagée. Les parkings seront en sous-sol, la mobilité douce régnera en surface, le chauffage des nouveaux bâtiments sera à 80 % assuré par des énergies renouvelables. Et de Bourgogne, on pourra atteindre en un quart d'heure toutes les infrastructures et tous les commerces nécessaires -et la plupart d'entre elles, quand on le peut, à pied...

"Nous devons être capables de créer ensemble des quartiers poétiques, de proposer de l'enchantement à la ville, des choses inattendues. Nous n'osons pas encore le faire" (Robert Cramer,"Interface" décembre 2020). Or cela se fait pour ainsi dire tout seul : le plus mal conçu des quartiers , quand ses habitants se l'approprient, et l'enchantent, finit par receler de la poésie, des "choses inattendues"... L'auteur de ces lignes en a fait lui-même l'expérience, en s'installant dans l'écoquartier de la Jonction, fort minéral (quoique voisin du plus charmant cimetière de Genève) quand il y a posé ses valises et que, précisément, ses habitants (et ses petits commerces) se sont appropriés en même temps qu'il se végétalisait -jusque sur les toits de certains de ces immeubles. C'est tout le bien qu'on souhaite aux futurs habitants du quartier "Bourgogne" et à ceux du PAV : qu'ils s'approprient leur lieu de vie, le façonnent à leur image. Qu'ils construisent, en somme, leur ville dans la ville. Qu'ils soient anarchitectes.

Commentaires

Articles les plus consultés