Macron et Borne dégainent le 49-3 contre les oppositions

Emotion de censure

Faute de certitude quant au rapport des forces au sein du parlement sur leur projet de réforme des retraites, Emmanuel Macron et Elisabeth Borne, mais elle plutôt contrainte que convaincue, ont donc décidé d'actionner le fameux article 49.3 de la Constitution, qui permet au gouvernement de ne pas soumettre au vote un projet qui risque d'être refusé mais lui impose de se soumettre à de possibles motions de censure qui pourraient le faire tomber. C'est un calcul qui naît d'un autre : il n'y avait, contrairement à ce sur quoi comptaient le président et le gouvernement, pas de majorité pour que le projet sorti de la commission paritaire Sénat-Assemblée, soit adopté par l'Assemblée (qui a le dernier mot, sauf précisément si le 49.3 est actionné). Le matin du 16 mars, le gouvernement proclamait qu'il irait au vote de l'Assemblée, mais quelques heures plus tard, sentant qu'il ne disposerait pas d'une majorité parlementaire, il a dégaîné son 49.3. Et c'est bien la pression de "la rue", la résistance syndicale, les grèves, les manifestations, qui ont privé l'Exécutif bicéphale de majorité. La réforme des retraites est donc passée, mais au forceps, en contournant le parlement (y compris les députés du camp présidentiel, quasiment tous partisans d'un vote parlementaire et amers d'en avoir été privés) et en ignorant l'opposition populaire. La Première ministre a martelé devant les députés, les uns à gauche chantant "la Marseillaise", les autres, à la droite de la droite, claquant leurs pupitres, que l'Assemblée nationale aura bien le dernier mot puisque des motions de censure lui seront soumises -or ce mot ne portera pas sur le projet de réforme des retraites, mais sur le maintien ou non du gouvernement -et, le cas échéant, d'élections législatives après dissolution de la Chambre. Et en ignorant l'opposition sociale, le Pouvoir nourrit sa part la plus radicale, et un apolitisme vindicatif (des mannequins représentant Macron, Borne, le ministre du Travail et le porte-parole du gouvernement sont brûlés en place publique).

"Les députés du peuple ne sont (...) ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires"...

Pour Macron, l'enjeu de sa réforme des retraites, finalement imposée à la fois aux syndicats, à l'opinion publique et au parlement, était à la fois symbolique et politique : s'afficher comme réformateur "quoi qu'il en coûte". Ce qui peut en coûter, c'est une impopularité assez durable pour sceller l'échec de la majorité présidentielle (qui n'est d'ailleurs pas majoritaire, et donc la base électorale réelle, indépendamment du score particulier de l'élection majoritaire de la présidence, ne dépasse pas 30 % de l'électorat actif) aux élections présidentielle et législatives à venir, bloquer tous les projets de réformes encore dans les cartons du gouvernement et du président, voire à l'ordre du jour du parlement (réformes de la Justice, lois sur l'immigration, texte sur le plein emploi, rénovation des services publics, de la santé, de l'éducation nationale, transition écologique...), et faire courir le risque d'une victoire du Rassemblement National nourrie de colère sociale (à moins que la NUPES tienne dans la durée et soit capable de damner le pion à l'extrême-droite). Le président avait pourtant considérablement raboté ses ambitions réformatrices : il voulait changer le système, construire un système de retraite universel en supprimant tous les régimes spéciaux -il se contente désormais de vouloir l'équilibrer pour une décennie. Peut-être parce qu'il sait que le système universel dont il assurait faire le projet allait coûter cher, quand la France doit aussi investir massivement dans l'éducation, la santé, l'environnement, l'énergie, les transports... et depuis l'agression contre l'Ukraine, la défense. Et que  ces investissements, plus celui projeté du système de retraits ne pourront pas tous être financés par la dette, le déficit, l'impôt ou des transferts budgétaires. L'un des arguments les plus fréquemment avancés ces dernières semaines pour défendre le projet combattu dans la rue par les syndicats est d'ailleurs économique : en réduisant le poids du système de retraite sur le produit intérieur brut, on dégage des ressources (douze milliards, selon le gouvernement) qui peuvent être affectées ailleurs qu'au maintien du système en l'état. Mais on est encore là dans une vision à court terme, comme d'ailleurs celle qui est à l'origine des propositions de report de l'âge de la retraite (même quand ce report consiste en l'allongement de la période de cotisations plutôt qu'à repousser  l'âge légal), quand l'impact de l'évolution démographique (le vieillissement de la population) et de l'emploi sur les ressources (les cotisations, les affectations budgétaires) et les dépenses (les rentes) du système de retraite va se mesurer à plus long terme.

Deux motions de censure sont déposées à l'Assemblée nationale après le passage en force de la réforme  : une du Rassemblement national, qui ne sera sans doute votée que par son groupe (et peut-être quelques députés isolés) et une autre déposée par le petit groupe centriste LIOT, qui sera soutenue par la gauche (la NUPES) et le Rassemblement national, et à qui il ne manquerait qu'une trentaine de votes pour être adoptée, ce qui entraînerait la chute du gouvernement, le président ayant alors le choix de nommer un nouveau premier ministre, de renommer la première ministre actuelle mais avec un nouveau gouvernement, ou de dissoudre l'Assemblée et provoquer de nouvelles élections -mais il sait que le dernier qui a eu cette idée est Jacques Chirac, qu'il avait perdu les élections qu'il avait provoquées et que les socialistes avaient gagnées, et qu'il avait dû se résoudre à une cohabitation avec un gouvernement de la "gauche plurielle" de Lionel Jospin. Tout suggère, actuellement, que si de nouvelles élections étaient organisées, les deux grands perdants seraient le parti présidentiel et les Républicains, et le gagnant le Rassemblement national, qui, rappelle le politologue Pascal Perrineau, "prospère quand la France va mal".... Les syndicats et les partis de gauche ont bien organisé l'opposition dans la rue et dans la société, mais n'ont rien obtenu, et ne peuvent guère espérer tirer profit de l'échec du gouvernement et du président devant le parlement.

La réforme des retraites françaises va donc vraisemblablement entrer en vigueur, après un coup de force, légal à défaut d'être très démocratique : "Tout ce qui est constitutionnel est légal", avait certes  reconnu, avant l'annonce de l'usage du 49.3 le patron de la CFDT, Laurent Berger, et l'usage du 49.3 est donc légal. Mais légitime ? Berger ajoutait : "ce serait un vice démocratique". Or 64 % des Français.es sondé.e.s par Science Po estiment que la démocratie ne fonctionne pas bien dans leur pays... Ce "vice démocratique" est aussi un danger politique, que la Première ministre semble elle-même mesurer, en dénonçant ceux (le Rassemblement National de Le Pen) "qui sont restés tapis dans l'ombre tout au long des débats (...) profitant des outrances des uns et des revirement des autres". Des "outrances" de la NUPES, qui a réussi à empêcher le débat à l'Assemblée d'aller jusqu'à son terme -qui eût pu être le refus du projet... et des "revirements" des Républicains. Il ne tenait pourtant qu'au gouvernement et au président de les mettre, les uns et les autres, devant leurs responsabilités, en jouant le jeu parlementaire jusqu'au bout, ou à soumettre sa réforme au référendum (41 % des personnes interrogées estiment que le vote est leur meilleur moyen d'action, contre 14 % pour les grèves et 11 % pour les manifestations). Quitte à perdre -en démocratie, un gouvernement, en effet, peut perdre devant un parlement ou dans les urnes. C'est plus que "le jeu" de la démocratie : une possibilité qui signale sa réalité, dans une démocratie représentative -dans une démocratie semi-directe comme la Suisse, la question ne se pose pas : il n'y a pas de motion de censure possible du gouvernement, puisqu'il n'est pas élu en bloc par les Chambres, mais formé de personnes élues les unes après les autres, que les Chambres peuvent certes  ne pas réélire au terme de leur mandat, mais qu'elles ne peuvent pas renvoyer. Il n'y a pas non plus de dissolution possible du parlement (sauf, théoriquement du moins, en passant par une initiative populaire, qui prendrait des années pour être soumise au peuple) En outre, il n'y a pas chez nous de "49.3" possible, ni même utile, puisque tout projet adopté par le parlement peut, voire doit, être soumis au référendum (facultatif pour les lois, obligatoire pour une modification de la constitution). Et que même si le projet est refusé par le peuple, le gouvernement reste en place : sur le système de retraites, on a ainsi voté trois fois, et refusé deux fois des réformes proposées par le gouvernement et le parlement.  Et contre la dernière, celle de la prévoyance professionnelle, le "deuxième pilier" du système suisse de retraites, le Parti socialiste et les syndicats vont lancer un référendum...

Pare qu'ici, nous sommes rousseauistes : "Les députés du peuple ne sont (...) ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires"...

Na !

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