Naufrage bancaire et droit de nécessité : Discrédit suisse

 

Naufrage bancaire et droit de nécessité : Discrédit suisse

Depuis hier, les Chambres fédérales sont réunies en session extraordinaire pour débattre de la fin du Crédit Suisse et des décisions prises par le Conseil fédéral et la Banque nationale pour encadrer (voir imposer) et financer le rachat du CS par UBS. Des décisions prises par le gouvernement au nom du droit de nécessité. Ce qui a au moins le mérite de rappeler que le pouvoir n'appartient jamais, dans ce pays comme dans tous les autres, qu'à qui peut l'exercer sans en référer à qui que ce soit d'autre. Et c'est ce qu'à fait le Conseil fédéral : il a créé une superbanque privée sans que ni le parlement, ni le peuple, ni les actionnaires des deux banques fusionnées n'aient eu à dire quoi que ce soit -sauf, depuis hier, aux Chambres, mais sans que ni le débat, ni le vote qui le conclura, ne puisse rien changer. On reviendra sur les raisons du naufrage du Crédit Suisse -ou, du moins, de celles qui peuvent nous êtes connues, puisque  le Conseil fédéral n'a pas seulement décidé de tout ce qui était nécessaire pour fusionner les deux plus grandes banques du pays, il a aussi décidé d'exclure de l'accès public aux informations et aux documents tout ce qui concerne cette fusion et ce qui y a amené. Le pouvoir réel, c'est aussi le pouvoir pour le gouvernement de cacher les raisons et les modalités de son exercice au souverain théorique -le peuple... La démocratie "semi-directe" en prend un coup ? on s'en excusera. Plus tard. Après les élections.

Un vieux principe passé de mode : le bien public.

Le Parlement fédéral est donc depuis hier réuni pour avaliser les décisions permettant le rachat d'une banque naufragée par une banque qui il y a une quinzaine d'année a failli l'être aussi. Le parlement refuserait-il d'avaliser ces décisions qu'elles n'en seraient pas moins appliquées : l'argent est déjà engagé, la Délégation des Finances des Chambres a déjà donné son assentiment à cet engagement. Premier à se prononcer, le Conseil des Etats a fait ce qu'on attendait de lui : il a avalisé les 109 milliards de crédit.

La gauche va tout de même tenter au Conseil National d'aller un peu plus loin, d'en faire un peu plus, qu'un "débriefing" de crise, pour ne pas parler de thérapie de groupe : les socialistes ont demandé l'inscription à l'ordre du jour du Conseil national de plusieurs propositions déjà déposées en 2021, exigeant notamment davantage de fonds propres et l'interdiction des bonus dans les directions générales des grandes banques, et une modification de la loi sur les banques pour contenir leur taille, amoindrir les risques de leurs crises et éviter qu'une seule soit outrageusement dominante en Suisse même. Ils proposeront de mettre des conditions, notamment en faveur du personnel d'UBS et du Crédit Suisse, à l'octroi des 109 milliards de garantie en faveur d'UBS. "En 2008, après le sauvetage d'UBS, les partis bourgeois avaient promis que cela n'arriverait plus", rappelle le chef du groupe socialiste aux Chambres fédérales, Roger Nordmann. Et aujourd'hui, alors que c'est à nouveau arrivé, on sait que si rien ne change, "on risque de se retrouver dans dix ans à sauver une banque encore plus grosse", et il y a désormais "urgence à réguler", insiste Roger Nordmann : "cette UBS est beaucoup trop grande et risquée pour la Suisse"...

Déjà en 2008, lorsqu'il s'était agi de "sauver UBS", les socialistes avaient proposé plusieurs mesures de régulation et d'encadrement nécessaires pour que la Suisse ne se retrouve pas dans la même situation, ou une situation encore pire, avec une autre banque : obligation de fonds propres suffisants, séparation des activités, interdiction des bonus, etc. La droite majoritaire n'avait finalement accepté que des dispositifs affaiblis, et de toute évidence incapables de prévenir une nouvelle crise. Aujourd'hui encore, même après le naufrage du Crédit Suisse, elle n'entend pas aller plus loin -pourquoi le ferait-elle, dès lors qu'elle a la certitude que si une grande banque menace de sombrer, le Conseil fédéral et la Banque Nationale sont là pour la sauver -ou la faire sauver par une autre grande banque, avec toutes les garanties financières nécessaires pour qu'elle ne puisse refuser ?

Et quand on parle de "la droite majoritaire", on parle bien de cette "droite élargie" qui veut sévir à Genève comme elle sévit à Berne : le PLR, bien sûr, parti des banques labellisé comme tel, mais aussi l'UDC et le Centre. A l'époque de la menace pesant sur UBS, le ministre des Finances était bien l'udéciste Ueli Maurer. Il a passé le témoin à la PLR Karin Keller-Sutter, mais le témoin, et son témoignage, restent les mêmes: en faire le moins possible pour surveiller les banques, ne rien faire du tout pour les contrôler -mais payer quand elles trébuchent. On aurait pu (on l'a d'ailleurs fugacement envisagé, dans les hautes sphères politiques), on aurait même dû, nationaliser le Crédit Suisse. Ou plutôt le socialiser. En faire une banque publique,  contrôlée par l'Etat  la Confédération, les cantons, les villes, ses clients et son personnel, leur rendant des comptes et une part de ses éventuels bénéfices. En leur donnant le pouvoir de contrôler ses investissements, d'exclure ceux dans certains secteurs (les énergies fossiles, l'armement, l'automobile, l'aviation), de renforcer ceux dans d'autres secteurs (les énergies renouvelables, la mobilité douce et les transports collectifs, par exemple). Et tout cela en rendant la gestion de la banque (et des comptes, et des flux) transparente. Bref, en faire une vraie banque publique -ce que n'est pas, par exemple, la Banque cantonale de Zurich, qui se comporte comme UBS et le CS.

Inutile de dire qu'un tel choix, le seul capable de promouvoir une réelle régulation du secteur bancaire, ne sera pas à l'ordre du jour du Conseil national, aujourd'hui, Ni demain. Ni après-demain. Pourtant, l'"urgence", la "nécessité", ce n'est plus de sauver une banque, c'est de soumettre les banques et leurs porte-valises politiques PLR, UDC et "(C)entristes" à un vieux critère passé de mode : le bien public.

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