Grève féministe : le besoin de la pression de la rue

Le jasmin au poing

Aujourd'hui, 26 Prairial, nous sommes le jour du jasmin. Le jour où, "pour l'égalité, (les Assises nationales de la grève féministe appellent) à descendre dans la rue dans toute la Suisse".  Les collectifs de grève constatent que depuis 2019, année de la dernière grève féministe (la pandémie a empêché sa reconduction), "les reculs ont pris le pas sur les avancées" et ont adopté un cahier de revendications : des retraites plus élevées et un système de retraite équitable, le renforcement de l'AVS et pas de détérioration des rentes du 2e pilier voire l'abolition du système de retraite à deux piliers, un salaire minimum,  le droit aux interruptions de grossesse gratuites, un système de santé meilleur et plus juste et une assurance-maladie publique, la gratuité des crèches, la revalorisation des métiers dits "féminins", la réduction du temps de travail rémunéré et le partage du travail domestique, une loi sur l'égalité contenant des sanctions en cas d'infraction, la révision du droit pénal sexuel et des mesures contre les violences sexistes et sexuelles,  un plan national de lutte contre toutes les formes de discrimination et de racisme et pour une meilleure intégration des personnes discriminées et victimes de racisme, la reconnaissance des violences sexuelles comme motif d'asile, un plan climat... Du coup, des femmes de droite trouvent que les mots d'ordre de la grève féministe sont "trop à gauche" pour qu'elles condescendent à y participer. Gageons cependant qu'elles ne rechigneront pas à bénéficier des avancées que les féministes de gauche auront réussi à arracher...

Le programme de la journée dans toute la Suisse: https://www.14juin.ch/#programme
Le programme à Genève : https://grevefeministe-ge.ch/

"Sans nous, le monde s’arrête"

Le 8 mars 2018, en appelant à la grève (Il y aura six millions de grévistes), les féministes espagnoles en donnait ainsi la raison : “La grève féministe va plus loin que ce qu’on entend traditionnellement par une grève du travail. Et il ne pouvait pas en être autrement. Parce que nous, les femmes, nous participons à tous les espaces de la vie. Nous, les femmes, continuons d’être responsables du travail domestique et du cuidados (le soin, le "care") essentiel pour couvrir les besoins de base de la société. (...) Nous, les femmes, sommes majoritaires à travailler dans les domaines essentiels pour que cette société fonctionne : celui de la dépendance, de l’aide à domicile, de l’éducation, de la santé. Et ce ne sont que quelques exemples. Sans nous, en conséquence, la société ne se reproduit pas et ne produit pas. Sans nous, le monde s’arrête. Voilà ce que nous voulons rendre visible à travers la grève que nous convoquons aujourd’hui".  Un an plus tard, en Suisse le 14 juin 2019, plus de 500 000 femmes faisaient grève pour l’égalité de salaire, en se plaçant dans l'héritage de la  grande grève féministe du 14 juin 1991 pour l’égalité des salaires, le congé maternité et le droit à l’avortement. Les grèves espagnole et suisse avaient eu un précédent en 1975, en Islande,  plus de 90 % des femmes islandaises avaient  fait la grève du travail maternel et du travail domestique. 24 octobre 1975 à l’appel d’un collectif féministe.

Une grève, c'est un arrêt de travail -mais de quel travail ? tout le système économique et social  repose sur l'accomplissement de tâches non rémunérées, non reconnues, effectuées essentiellement par les femmes et permettant à d'autres que celles qui les assument de toucher un salaire de temps plein, de faire carrière :  l’éducation et la garde des enfants, les tâches domestiques, le soin des personnes dépendantes, avant que d'être assurées par des professionnels qui sont, là encore, majoritairement des professionnelLEs, le sont par les mères, les épouses, les grand-mères, les soeurs, les tantes...

Il y a sans doute dans la mobilisation féministe quelque chose qui tient de la résistance, de la défense, en un temps où un peu partout des droits fondamentaux conquis par les femmes sont remis en cause. Et où en Suisse, depuis le début de l'année, 8 femmes ont été assassinées parce qu'elles étaient femmes (c'est la définition du féminicide). La plus jeune, assassinée le 27 mai à Lausanne, avait 23 ans, la plus âgée, assassinée le 21 mars à Sierre, avait 79 ans. 

Il y a aussi dans la grève féministe l'affirmation d'une volonté d'investir l'espace public pour le temps nécessaire à y être  hégémonique, après tout le temps passé à s'en effacer,à y faire silence, à raser les murs, à éviter la nuit.
Il y a enfin un refus de la résignation à la domination. A toutes les dominations. Et cela aussi est une vieille histoire :  en 1920, Nelly Roussel avait lancé le mot d'ordre d’une “grève des ventres”. Dans La Voix des femmes, le 6 mai 1920, elle écrivait : "Faisons la grève, camarades ! La grève des ventres. Plus d’enfants pour le capitalisme, qui en fait de la chair à travail que l’on exploite, ou de la chair à plaisir que l’on souille. (...) Plus d’enfants pour le Militarismequi en fait de la chair à canon que l’on martyrise ! Plus d’enfants pour la misère, pour la maladie, pour la servitude, pour la mort… Ô femmes, l’heure a sonné des révoltes libératrices ! Ce n’est pas la charité que nous demandons, c’est la justice". Et trois ans auparavant, à Saint-Pétersbourg, en 1917, ce sont des femmes qui  lançaient pour la première fois une grève générale qui avait annoncé la révolution.

La lutte des femmes pour leurs droits est porteuse d'une rupture. Il ne s'agit pas seulement de cesser le travail pour dénoncer les inégalités, les injustices, les violences et les injustices que vivent les femmes, et pour repenser la répartition du travail domestique et du travail professionnel, du travail rémunéré et du travail bénévole : ce que la grève féministe veut affirmer, c'est que la cause des femmes est, objectivement autant que subjectivement, une cause révolutionnaire, c'est-à-dire une cause faite de revendications qui, toutes ensemble, sont porteuses d'un changement radical de société : en finir avec le sexisme, l'homophobie et la transphobie, le racisme, les discriminations et les biais genrés, les inégalités de revenus et de droits, ce serait en finir avec la société qui les a produits. 

En 2019, plus de 500'000 personnes s'étaient mobilisées pour la grève féministe : il en faudrait plus encore cette année, car "la politique féministe en Suisse a besoin de la pression de la rue". Pas seulement la politique féministe, certes, mais elle, exemplairement. Parce qu'elle peut entraîner toutes les autres, sur tous les terrains.


Commentaires

Articles les plus consultés