Le 1er août, qu'en faire ?
La patrie, le drapeau, l'affiche les Birgenstock, la tortue et le lampion
Après la controverse sur l’offre réduite de viande au 1er Août de la Ville de Genève, voilà que c'est l’affiche de l’événement qui fait polémique... Pourquoi pas ? Qu'une affiche fasse parler d'elle, c'est un peu ce à quoi elle sert -sinon, pourquoi la produirait-on ? Et le caractère vaseux, foireux, de la polémique permet de bien situer celles et ceux (ceux, surtout) qui la lancent, sur une sorte de hiérarchie qualitative de la capacité de mener un débat. Autant dire que celle sur laquelle on revient aujourd'hui, Premier Août oblige, a quelque chose d'exemplaire. C'est l'ancien Conseiller d'Etat, et actuel Conseiller municipal de Genève, Luc Barthassat, qui a allumé, sur Facebook le pétard de l'incendie rhétorique : «non seulement, ils (la gauche municipale) nous ont supprimé la viande (lors de la fête), mais en plus ils nous supprime (sic) le drapeau suisse sur le lampion de l’affiche» annonçant la fête. C'était d'autant plus idiot que c'était faux : viande il y aura pour celles et ceux qui ne peuvent s'en passer un soir, et si le drapeau suisse n'est pas sur le lampion, il est tenu par un petit personnage campé sur une tortue (ce qui doit être une circonstance aggravante), et il est tout petit. «Je ne savais pas que le patriotisme se mesurait à la taille du drapeau», a soupiré le Maire de Genève, Alfonso Gomez. Nous ne le savions pas non plus : pour nous, un drapeau ne représente ni un peuple, ni un pays, même pas une nation -seulement un Etat.
Barboter dans les mythes comme on se noie dans un verre d'eau
Que signifie, ou devrait signifier, le 1er août pour la Suisse, et pour les Suisses ? Historiquement, rien : ce n'est jour de fête nationale que depuis 1891. Politiquement, le 1er août n'a de signification que celle que les Suisses veulent lui accorder, s'ils veulent bien lui en accorder une. Sur les affiches annonçant ce qu'une commune a prévu pour cette fête nationale, cette commune peut donc mettre ce qu'elle veut. Un grand drapeau, un petit drapeau ou pas de drapeau du tout (comme à Vernier). Cette date est à usage multiple -ce que favorise d'ailleurs son absence de réalité historique. Or n'en déplaise au lieutenant-colonel-député-PLR genevois qui appelle à "dépolitiser" le 1er août, rien n'est plus politique que la célébration d'une fête nationale dont la date même relève d'un choix politique : le député PLR et lieutenant-colonel devrait se souvenir que c'est le PLR de l'époque qui fixa la date de cette fête au 1er août, et l'y fixa pour des raisons éminemment politiques : réconcilier la Suisse du Sonderbund et celle des Freisinnen, les radicaux de l'époque. Et puis, il fallait bien qu'on en ait une, nous aussi, de fête nationale, comme les autres. Et il lui faut bien une date, à cette fête nationale. Pourquoi pas celle-là? Que signifie, ou devrait signifier, le 1er août pour la Suisse, et pour les Suisses ? Historiquement, rien : ce n'est jour de fête nationale que depuis 1891. Politiquement, le 1er août n'a de signification que celle que les Suisses veulent lui accorder, s'ils veulent bien lui en accorder une. Sur les affiches annonçant ce qu'une commune a prévu pour cette fête nationale, cette commune peut donc mettre ce qu'elle veut. Un grand drapeau, un petit drapeau ou pas de drapeau du tout (comme à Vernier). Cette date est à usage multiple -ce que favorise d'ailleurs son absence de réalité historique. Or n'en déplaise au lieutenant-colonel-député-PLR genevois qui appelle à "dépolitiser" le 1er août, rien n'est plus politique que la célébration d'une fête nationale dont la date même relève d'un choix politique : le député PLR et lieutenant-colonel devrait se souvenir que c'est le PLR de l'époque qui fixa la date de cette fête au 1er août, et l'y fixa pour des raisons éminemment politiques : réconcilier la Suisse du Sonderbund et celle des Freisinnen, les radicaux de l'époque. Et puis, il fallait bien qu'on en ait une, nous aussi, de fête nationale, comme les autres. Et il lui faut bien une date, à cette fête nationale. Pourquoi pas celle-là? En France on a choisi la date de la Fête de la Fédération de 1790, qui célébrait le premier anniversaire de la prise de la Bastille, en Espagne, on célèbre la "découverte de l'Amérique"en 1492 (tant pis pour les Indiens) et en Australie celle des premiers colons britanniques (tant pis pour les Aborigènes), en Italie l'instauration de la République en 1946, en Allemagne la réunification, mais aucune de ces dates n'a jamais fait l'unanimité... Il n'y a donc aucune raison pour que le 1er août suisse le fasse...
Un Conseiller national centriste, le Bernois Heinz
Siegenthaler, a proposé une motion, qui a été approuvée le 4 mai
au Conseil national (mais refusée en commission du Conseil des
Etats), demandant au Conseil fédéral (qui ne le veut pas)
d'instituer le 12 septembre comme jour férié officiel fédéral.
Le 12 septembre, c'est la date de l'adoption de la Constitution
fédérale de 1848 -non pas la première constitution suisse (la
première, c'est celle de la République Helvétique) mais celle de
la Suisse moderne, sur laquelle toutes les constitutions
successives jusqu'à l'actuelle se sont appuyées. Cette
Constitution naît de la seule de toutes les révolutions
européennes "quarantehuitardes" qui ait vaincu dans la durée.
Certes, 1848, c'est aussi, et peut-être surtout, l'année de la
troisième révolution française -mais la République française
instituée alors ne vécut que trois ans, avant d'être étranglée
par le premier président français élu au suffrage universel
direct, un certain Louis-Napoléon Bonaparte (pour plus de
détails et d'analyses pertinente, lisez ou relisez Marx, "Les
luttes de classes en France" et "le 18 Brumaire de Louis
Bonaparte"...), de sorte qu'en 1851, non seulement la Suisse
était dotée (dans la douleur, et après que le "Sonderbund"
conservateur ait été défait) de la Constitution la plus
démocratique d'Europe, mais qu'elle était la seule et unique
République démocratique d'Europe... Et que pendant le quart de
siècle qui suivit, elle fut le refuge de tous les
révolutionnaires pourchassés, dont certains furent à l'origine
des premiers partis socialistes de notre pays... Mais cet
accouchement de la démocratie suisse se fit dans la douleur, et
c'est peut être cette douleur, celle de la division du pays lors
du Sonderbund, qui incita les nouveaux dominants à choisir une
date mythique, le 1er août 1291, et un événement tout aussi
mythique, le Serment du Grütli, pour être la date de notre fête
nationale, plutôt que la date de la victoire d d'un camp
politique sur un autre...
Dans un entretien au "Temps" (du 27 mai),
l'historienne Irène Hermann note que les Suisses ne connaissent
"pas vraiment" leur histoire, mais qu'"on ne peut pas leur en
vouloir (...) parce que quand ils étaient petits, on leur a
raconté une histoire dont ils ont dû se rendre compte, quand ils
étaient plus grande, qu'elle était totalement mythifiée. Qui
croire, dès lors ?". Qui croire ? Certainement pas les
historiens officiels, et radicaux, du XIXe et du XXe siècle, les
Daguet, Gobat, Chevallaz, dont le travail fut de construire une
histoire politiquement utile, et de la construire à partir de
mythes faute de pouvoir le faire à partir de faits et de
réalités (quitte à les mythifier, comme la France le fit sans
rechigner) qui contrediraient l'idée d'une Suisse préexistant à
ses constitutions -d'une Suisse née en 1291 alors qu'il n'y a
pas de "Suisse" avant 1798, mais seulement des "cantons suisses". Et on
se retrouve
avec Guillaume Tell et Winkelried, le "Pacte du Grütli"... et
une neutralité perpétuelle qu'on fait remonter à Marignan alors
que Marignan n'aboutit qu'à une "alliance perpétuelle" des
cantons suisses avec le Roi de France, et que la neutralité
de la Suisse lui fut en réalité imposée en 1815 par la
Sainte-Alliance, et
codifiée ensuite par une Convention internationale en 190...
parce qu'elle était dans l'intérêt des dominants du
moment face à la menace d'une renaissance des révolutions (la
vieille taupe, en effet, n'avait pas cessé de creuser)...
On barbote donc dans les mythes. Et si la polémique imbécile (pour rester polis) lancée par la droite genevoise à propos de l'affiche municipale du 1er août pouvait avoir une utilité, c'est d'avertir qu'y barboter trop longtemps, et trop profondément, dans les mythes, c'est courir le risque de s'y noyer -comme on se noie dans un verre d'eau.
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