Déluge d'Al Aqsa et ruines de Gaza

 

Offensive du Hamas et riposte israélienne : Déluge d'Al Aqsa et ruines de Gaza

Samedi matin, 50 ans presque jour pour jour après la guerre du Kippour de 1973, la branche armée du Hamas, organisation fondamentaliste sunnite au pouvoir à Gaza depuis 2007 en y ayant évincé le Fatah (avec la bienveillance des gouvernements successifs d'Israël, a lancé une attaque armée d'envergure contre Israël. Elle a d'abord tiré 3000 à 5000 roquettes, dont certaines jusqu'à Jerusalem, pour faire diversion d'une attaque par voie terrestre, par deltaplane et par voie maritime contre les villages israélien les plus proches. Des centaines de combattants du Hamas se sont infiltrés en Israël, dont le porte-parole de l'armée a promis que "nous allons tuer chaque terroriste présent en Israël". Les attaques du Hamas ont fait au moins 900 morts israéliens, dont au moins 250 dans un véritable pogrom, le massacre des participants à une Rave Party. Au moins une centaine de civils (et quelques militaires) israéliens ont été pris en otage, menacés d'être exécutés à chaque frappe israélienne non annoncée. Le Hamas justifie son opération, baptisée "Deluge d'Al Aqsa" (le nom de l'esplanade des mosquées de Jerusalem) comme une "réponse aux crimes de l'occupation", une "défense d'Al Aqsa" et un moyen d'obtenir la "libération des prisonniers". Elle a provoqué une riposte massive d'Israël sur Gaza (une frappe a touché un hôpital en y faisant des morts, a annoncé Médecins sans frontières)) et la promesse de Netanyahou de faire de "tous les endroits où le Hamas se cache, des ruines". Or le Hamas est partout présent à Gaza, et là encore, c'est la population civile qui paie le prix le plus lourd. La riposte israélienne a déjà fait au moins 1500 morts, civils et combattants du Hamas, côté palestinien, et 123'000 déplacés à l'intérieur même de l'enclave de Gaza. "La guerre sera longue et difficile", a prévenu Netanyahou. Et à la fin, c'est l'Iran qui gagne ?

Le Hamas n'est ni le porte-parole ni le glaive des Palestiniens opprimés par Israël, il en est le parasite

L'attaque du Hamas a pris Israël de court. Ce n'est sans doute pas qu'elle ait été ignorée des services de renseignement israéliens, c'est plutôt que leurs avertissements (et ceux des renseignements égyptiens) n'ont pas été entendus par le gouvernement de droite et d'extrême droite de Netanyahou, obsédé par la protection des colonies de Cisjordanie, qui a  fait proclamer l'état de guerre, ordonné le rappel de 300'000 réservistes, et totalement bouclé Gaza, privant les deux millions d'habitants d'eau, d'électricité, de gaz et, de plus en plus, de nourriture, la moitié de la population de Gaza vivant de l'aide humanitaire fournie par des ONG et par l'ONU, dont le le programme alimentaire mondial (PAM) s'est dit, en termes diplomatiques, "profondément préoccupé" par les difficultés d'accès aux produits alimentaires, et demande un accès "humanitaire sécurisé et libre" dans les zones affectées par le conflit.

La stratégie du Hamas et du Hezbollah libanais est une stratégie du pire : forcer Israël à une riposte la plus dure, la plus massive et la plus sanglante possible, étendre le conflit à la Cisjordanie et à la zone frontalière entre Israël et le Liban, et rendre ainsi impossible, la "normalisation" en cours entre Israël et l'Arabie Saoudite.  Le Hezbollah, bras armé de l'Iran au Liban, l'a clairement annoncé : l'offensive du Hamas (qu'il a soutenue en balançant lui aussi des missiles sur Israël) donne "un message clair au monde arabe et islamique, et en particulier à ceux qui luttent pour un accord de normalisation". Israël a reçu le soutien, au moins rhétorique, de la France, des Etats-Unis, de l'OTAN. L'Iran a salué la "fière" offensive du Hamas, la Syrie a exprimé son soutien aux forces qui luttent contre le "terrorisme sioniste" et la Jordanie a demandé à la communauté internationale d'"exhorter Israël à mettre fin aux attaques contre le peuple palestinien". Entre ces deux camps, la Russie a appelé Palestiniens et Israéliens à un "cessez-le-feu immédiat", l'Arabie Saoudite à un "arrêt immédiat de l'escalade, à la protection des civils et à la maîtrise de soi" et l'Egypte à "faire preuve de la plus extrême retenue"... 

On a deux volonté exterminatrices face à face, celle du Hamas, du Hezbollah et du Djihad islamique et celle de l'extrême-droite israélienne. Les pogroms des uns, les ratonnades des autres. Est-ce qu'une ratonnade efface un pogrom ? Quand le ministre israélien de la Défense compare les Palestiniens à des "animaux", tient-il un autre discours à l'égard de ces "animaux" que celui que les exterminateurs antisémites tenaient à l'égard des juifs ? Et l'annonce par Israël d'un isolement total de Gaza, maintenue sans eau, sans électricité, sans gaz, sans alimentation, ce qui frappera d'abord la population civile qui est littéralement parquée, ne rappelle-t-elle pas une mise en ghetto de ce qui était déjà une prison, où deux millions d'habitants s'entassent dans un territoire à peine plus grand que le canton de Genève, avec un taux de chômage global de près de 50 %, et de 75 % chez les jeunes ? 

A partir de quand et de quoi la légitime défense devient-elle une vengeance ?  Le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Gutierrez, a condamné les attaques "abjectes" du Hamas, mais a rappelé Israël au respect du droit humanitaire. La Suisse, dépositaire des textes qui définissent ce droit, a condamné l'opération du Hamas et exprimé son soutien à Israël, avec qui elle collabore militairement (le chef de l'armée suisse, Thomas Süssli, était d'ailleurs en "visite de travail" en Israël au moment même ou le Hamas lançait son opération), mais n'entend pas, ou pas encore, renoncer comme le demande l'UDC à son aide à humanitaire à la population de Gaza. Le PLR et l'UDC exigent que la Suisse considère le Hamas comme une "organisation terroriste". ça changerait quoi à quoi ? Rien à rien, sauf à exclure toute aide humanitaire à la population de Gaza -mais on est en Suisse et en campagne électorale et la population de Gaza n'intéresse personne... Nul, pas même lui, ne doute que le Hamas soit une organisation qui use de méthodes terroristes, au sens le plus strict du terme (le seul sens qui en ait un...) : terroriser l'adversaire, s'en prendre à sa population civile. C'est ce que fait le Hamas, c'est que firent l'Irgoun et le groupe Stern. La Suisse, a déclaré son ministre des Affaires étrangères Igniazio Cassis, "se tient à disposition pour soutenir diplomatiquement les parties et oeuvrer à une désescalade" et à une "paix durable"... mais qui sont les "parties" qu'évoque le ministre, sinon, outre Israël... le Hamas ? Et la "paix durable" à laquelle la Suisse voudrait oeuvrer, entre qui et qui devrait-elle être établie, sinon entre Israël... et le Hamas, organisation que PLR et UDC demandent à la Suisse de considérer comme une organisation "terroriste" avec qui il ne saurait être question de discuter de quoi que ce soit ?

Le terroriste, c'est l'autre. On croit avoir tout dit d'un acte, ou d'un mouvement, quand on l'a qualifié de "terroriste". Mais on n'en a rien dit d'autre que ceci : il a usé de moyens terroristes. Comme en ont usé à un moment ou un autre de leur histoire contemporaine une bonne partie des Etats membres de l'ONU, et des mouvements ayant amené à la création de ces Etats, ou y ayant pris le pouvoir.

Il y a un droit fondamental des opprimés de se soulever contre leurs oppresseurs. Mais le Hamas n'est ni le porte-parole ni le glaive des Palestiniens opprimés par Israël, il en est le parasite (comme l'extrême-droite religieuse israélienne l'est des Israéliens), et c'est insulter le peuple palestinien que de faire du Hamas son défenseur. Le Hamas combat en Palestine parce qu'il est en Palestine, pas parce qu'il se soucie des droits des Palestiniens. Il n'est pas un mouvement de libération nationale, mais un mouvement de purification religieuse. Il ne combat pas pour la cause palestinienne et le peuple palestinien, il combat pour l'islam et l'Umma. Il ne défend pas Gaza, il la prend en otage. La rave party massacrée par le Hamas, samedi, se faisait sous le signe de la paix... et peut-être que celles et ceux qui y participaient, y ont trouvé la mort ou ont été pris en otage, avaient participé à des manifestations contre la dérive extrême-droitière du gouvernement d'Israël. Dans un communiqué de presse de SolidaritéS, appelant le 10 octobre, "dans l'unité" (mais l'unité de qui, avec qui ?) à un rassemblement en "soutien au peuple palestinien et à la lutte légitime pour ses droits", on lit cette conclusion : "Il n’y a pas d’égalité entre la violence de l’oppresseur et de l’oppressé". C'est beau comme du Sartre préfaçant Fanon, sans y comprendre grand'chose, et surtout sans avoir la légitimité que donne à Fanon son parcours. Il n'y a en effet pas d'égalité entre la violence de l'oppresseur et celle de l'oppressé -mais il y en a une entre un pogrom et une ratonnade : celle de moyens qui insultent le peuple au nom de qui on les commet.

La logique du Hamas, c'est celle du "catéchisme révolutionnaire" de Netchaïev, avec la religion en plus : ce ne sont pas nos pires ennemis qu'il faut abattre, ce sont ceux qui prônent la conciliation, parce que ceux-là sont des obstacles à la purification qu'on prône... Et d'entre ceux-là, il y a les Israéliens, et les juifs de la diaspora réunis dans "La Paix Maintenant", qui, lundi, après une manifestation de soutien au peuple israélien à laquelle ils appelaient, en ne confondant pas plus ce peuple avec son gouvernement que le peuple palestinien avec le Hamas, écrivent que "ce moment est d'abord celui de la solidarité avec le pays (Israël), son peuple et les proches des victimes", ajoutent, à l'intention du gouvernement israélien que "viendra le temps où il faudra tirer les enseignements politiques de cette attaque, analyser les erreurs et les manquements et les imputer à ceux qui en portent la responsabilité", rappellent que "des forces considérables piétinent dans les territoires occupés pour protéger les implantations illégales, au détriment du Sud du pays, délaissé et dégarni" et que l'objectif du Hamas n'est pas "la libération des territoires occupés mais l'éradication de la présence juive sur le territoire israélien", et concluent ainsi : " nous devons ne pas oublier que le jour d'après, une fois cette guerre terminée, citoyens Juifs et Palestiniens continueront à vivre en voisins" et que "plus que jamais il importe de se mobiliser pour qu'émerge enfin une solution politique. Le risque de la paix doit l'emporter sur l'inexorabilité de la guerre".

Soutenir le peuple palestinien et le peuple israélien, condamner le Hamas et le gouvernement d'Israël, dénoncer à la fois les pogroms du Hamas et les ratonnades de l'extrême-droite israélienne : ce discours, aujourd'hui, temps de la vengeance et des représailles qui entraîneront de nouvelles vengeances et de nouvelles représailles, est peut-être inaudible... Qu'importe, s'il est juste ?






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