Israël, Gaza, Cisjordanie : Le terroriste, c'est l'autre. Forcément.

Donc, la Suisse s'apprêterait à déclarer officiellement le Hamas comme une organisation "terroriste". ça changerait quoi à quoi ? ça ne changerait rien à rien, sauf à exclure toute aide humanitaire suisse à la population de Gaza, puisque Gaza, même sous les bombes, est gouvernée par le Hamas... On croit avoir tout dit d'un mouvement, quand on l'a qualifié de "terroriste". Mais on n'en a rien dit d'autre que ceci : il use de moyens terroristes, où il s'agit moins de terroriser l'adversaire que de s'en prendre à sa population civile. C'est ce que fait le Hamas, mais c'est ce que fait aussi l'Etat d'Israël quand il bombarde Gaza pour que la population civile s'en enfuie, qu'il n'y reste plus que les forces armées d'une organisation dont les dirigeants politiques sont ailleurs, quelque part du côté du Qatar, là où est l'argent qui le finance (quand il n'est pas dans des banques suisses). Ainsi défini, le "terrorisme" a été une méthode dont ont usé à un moment ou un autre de leur histoire contemporaine une bonne partie des Etats membres de l'ONU, de leurs gouvernements ou des mouvements ayant amené à la création de ces Etats, ou y ayant pris le pouvoir. Pour la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyden, les méthodes du Hamas relèvent du "terrorisme dans sa forme la plus méprisable" -il y a donc  des formes de "terrorisme" moins "méprisables" que d'autres, ou pas "méprisables" du tout ? Serait-ce alors le terrorisme d'Etat, qui serait ce "terrorisme" moins méprisable que celui d'une organisation ? Tout se résumerait ainsi à cette seule affirmation : le terroriste, c'est l'autre. Forcément.

Il y a une identité entre un pogrom et une ratonnade : celle de méthodes qui insultent le peuple au nom de qui on les commet. 

La Suisse se déclare  "à disposition pour soutenir diplomatiquement les parties et œuvrer à une désescalade" et à une "paix durable"... mais qui sont les "parties" en conflit sinon Israël... et le Hamas ? Et la "paix durable" à laquelle la Suisse voudrait œuvrer, entre qui et qui devrait-elle être établie, sinon entre Israël... et le Hamas ? Ce n'est pas avec ses amis qu'on a à faire la paix, mais avec ses ennemis. Or en Palestine sévissent deux volonté purificatrices, voire exterminatrices, celle du Hamas, du Hezbollah et du Djihad islamique d'un côté, et celle de l'extrême-droite israélienne de l'autre. Les pogroms des uns, les ratonnades des autres. Est-ce qu'une ratonnade efface un pogrom ? Quand le ministre israélien de la Défense compare les Palestiniens à des "animaux", tient-il un autre discours à l'égard de ces "animaux" que celui du Hamas à l'égard des juifs ? Et l'isolement total de Gaza, maintenue sous les bombardements sans eau, sans électricité, sans gaz, sans alimentation avant une offensive terrestre dévastatrice, sur qui pèse-t-il  d'abord, sinon la population civile dans une prison transformée en ghetto ? A partir de quand et de quoi la légitime défense devient-elle une vengeance ?  Et jusques à quand se succéderont la vengeance de la vengeance des représailles à la sanction des représailles de la vengeance ?

Le Hamas comptait sur une riposte israélienne la plus brutale possible, et la plus visible possible avec le plus d'images insoutenables possibles sur tous les écrans d'ordinateurs, de portables et de télés du monde, avec le plus possible de victimes civiles, d'hôpitaux bombardés,  à la fois pour conforter son propre discours éradicateur de toute présence juive en Palestine, et pour rendre impossible toute normalisation entre Israël, l'Arabie saoudite et les Emirats. Sans surprise, l'attente du Hamas a été exaucée par le gouvernement d'Israël dont le chef, Benjamin Neanyahou, a prévenu : la guerre contre le Hamas sera "longue et difficile". Elle a déjà eu un premier effet, celui de marginaliser le formidable mouvement d'opposition qui en Israël avait mobilisé des centaines de milliers de manifestants depuis des mois contre la réforme du système judiciaire que le gouvernement Netanyahou, alliance de la droite et de l'extrême-droite, majoritaire de justesse à la Knesset, voulait imposer, pour se débarrasser des entraves mises par la justice à la colonisation.  "Jamais, dans son histoire, Israël n'a connu autant de rassemblements populaires, aussi nombreux, aussi constants", notait le journaliste Charles Enderlin. Ce mouvement, le Hamas l'a éteint. Le carnage commis par ses commandos en Israël conforte l'extrême-droite religieuse israélienne dans son projet de purification ethnique (une Palestine sans Palestiniens...), réduit au silence les forces israéliennes disposées à un règlement politique du conflit, et condamne les centaines d'universitaires juifs et juives d'Israël et de Palestine dénonçant qualifiant le régime le régime israélien de régime d'apartheid à le dénoncer dans le vide.  On ne débat plus de paix, ni des droits du peuple palestinien, on ne débat plus que des moyens d'écraser l'ennemi, et, dans la définition qu'on donne de cet ennemi on identifie tous les Palestiniens au Hamas. Et on justifie les crimes de guerre commis à Gaza (les crimes de guerre, pas un "génocide" : les mots ont un sens, et les utiliser les uns pour les autres les dévalue les uns et les autres). Pour la droite et l'extrême-droite israélienne, il n'y d'ailleurs pas de peuple palestinien, il n'y a que des "Arabes", comme pour le Hamas, il n'y a pas de peuple israélien, il n'y a que des "Juifs".

Il y a un droit fondamental des opprimés de se soulever contre leurs oppresseurs. Mais le Hamas n'est ni le porte-parole ni le glaive des Palestiniens opprimés par Israël, il en est le parasite (comme l'extrême-droite religieuse israélienne l'est des Israéliens). La logique du Hamas, c'est celle du "catéchisme révolutionnaire" de Netchaïev, la religion en plus : ce ne sont pas nos pires ennemis qu'il faut abattre, ce sont ceux qui cherchent la conciliation, parce que ceux-là sont des obstacles à la purification...

Ce n'est en rien minimiser la saloperies des actes du Hamas que dénoncer le vertige vindicatif de la riposte israélienne et la punition collective promise à la population de Gaza-. Et ce n'est en rien atténuer la condamnation nécessaire des actes du gouvernement israélien à Gaza, en Cisjordanie, et même en Israël, que rappeler que le Hamas combat en Palestine parce qu'il est en Palestine, pas parce qu'il se soucie des droits des Palestiniens. Qu'il n'est pas un mouvement de libération ou de résistance nationale, mais un mouvement de purification religieuse ("la terre de Palestine est une terre islamique"). Qu'il ne combat pas pour la cause palestinienne et le peuple palestinien mais pour l'islam et l'Umma. Qu'il ne défend pas Gaza, qu'il la prend en otage.  Comme en Israël les Ben Gvir ou Smotrich, ministres d'extrême-droite de la Sécurité et des Finances de Netanyahou, prennent Israël en otage.

Il n'y a pas d'égalité entre la violence de l'oppresseur et celle de l'opprimé mais il y a une identité entre un pogrom et une ratonnade : celle de méthodes qui insultent le peuple au nom de qui on les commet.

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