Après la défaite électorale (mais pas historique) des Verts

Larmes de crocodiles

Comme si une défaite électorale (qui n'est cependant qu'une défaite électorale, pas une défaite historique...) ne suffisait pas, les Verts suisses ont été abreuvés de bons conseils de modération, d'abandon des soutiens qu'ils pouvaient apporter aux plus radicaux des militantes et militants "climatiques", de retour à la raison raisonnable, raisonneuse et résonnante de la recherche du consensus... Tous bons conseils accompagnés d'une bonne dose d'hypocrisie -comme la peuvent mesurer les larmes de crocodiles versées sur le sort électoral de Lisa Mazzone par des représentants des mêmes partis politiques et des même commentateurs qui à Genève ont oeuvré pour  l'élection d'un MCG à sa place... Une bonne candidate verte n'est-elle pas une candidate non élue, dont on peut chanter les louanges -mais seulement après sa défaite.

On arrête tout, on réfléchit, et c'est pas triste

Il faudrait donc que les Verts soient moins verts, moins clivants, cesser de faire peur avec la fin du monde et se préoccuper d'abord (avec modération) de la fin du mois... mais qui voterait pour des Verts devenus rose pâle ? Tout conseil de "modération" adressé à des partis ou des mouvements créés pour amener à un changement social profond, radical, est absurde -il l'est tout autant quand il l'est à des socialistes, pour peu qu'ils n'oublient pas que le socialisme n'est pas un aménagement du capitalisme, mais une alternative au capitalisme. 

Socialistes ou Verts, nous n'avons pas à nous modérer. Il nous faut même,  pour être entendus -à supposer que nous souhaitions l’être- parler plus fort qu’il faudrait, et peut-être plus violemment -exprimer une pensée plus simplifiée que celle qui nous vient. Etre carrés dans un paysage politique informe. Tenir un discours d’autant plus péremptoire que sa clarté sera faite du refus de l’apparente tolérance pluraliste du champ médiatique -tolérance apparente, puisque derrière cette polyphonie on retrouve toujours la même vieille ligne monodique qui fait office de critère de sélection de ce qui méritera d’être relaté, diffusé, et de ce qu’il conviendra de taire et de celer. Qu’on ne nous reproche pas d’être péremptoires : nous ne le sommes que pour pouvoir ne plus l’être une fois franchi le mur du silence qui enterre les pensées du changement. Dans ce monde, il faut d’abord crier pour pouvoir ensuite parler. Et peut-être vraiment mentir pour pouvoir mentir vrai.

On reproche aux Verts leur discours apocalyptique ? Mais l'Apocalypse est un mythe chrétien, pas un programme écologiste, et le sort de la planète est  scellé jusqu'à son terme, jusqu'à ce qu'un soleil agonisant la bouffe. Nous pouvons bien en revanche détruire son écosystème, c'est-à-dire le nôtre et celui de toutes les espèces vivantes. Ce n’est pas le sort de la planète qui nous importe,  c'est le sort de celles et ceux qui la peuplent : un milliard d'humains ne disposent pas d'eau potable et des dizaines de milliers de personnes meurent chaque jour pour avoir bu de l'eau non-potable; chaque jour, une quinzaine d'espèces animales disparaissent. Nous menaçons donc, à long terme, sinon la vie, du moins la vie humaine sur cette planète qui reste, à notre connaissance, la seule à l'abriter, la seule à pouvoir abriter notre espèce. Cela signifie que la poursuite du mode de production, de consommation et de consumation qui est le nôtre nous menace, nous, humains. Comment être "modérés", "consensuels, "non-clivants" face cette course aveugle et obstinée à l'abîme ?  

« La vraie question n’est pas de savoir pourquoi les gens se révoltent, mais pourquoi ils ne se révoltent pas », résumait Wilhelm Reich, et "L'An 01", le plus soixante-huitard des films soixante-huitards, le film écolo majuscule nous lançait cette invite : «  On arrête tout, on réfléchit, et c'est pas triste  »!  C'est pas triste, non. A condition cependant, après avoir  « tout arrêté », d'être capables de repartir dans une autre direction; d'être capables non seulement de réfléchir après s'être arrêté, mais aussi d'agir après avoir réfléchi,  de s'insoumettre après s'être indigné.  D'être aussi radicaux qu'il est aujourd'hui nécessaire de l'être...



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