Election présidentielle américaine : un enjeu mondial, vraiment ?
America First ? Oui, mais laquelle ?
Dans une dizaine de jours, on saura qui présidera
        les Etats-Unis d'Amérique pendant quatre ans, Kamala Harris ou
        Donald Trump. Les deux sont au coude-à-coude dans le sondages,
        mais les sondages, s'agissant des élections présidentielles
        étasuniennes, sont à prendre avec d'infinies précautions, compte
        tenu du système électoral archaïque qui règle ces élections, et
        du fait que dans ce pays de 350 millions d'habitants, ce ne
        seront que quelques dizaines de milliers d'entre eux, résidant
        dans sept Etats parmi les moins peuplés des  USA, qui feront la
        différence. Et que la candidate ou le candidat finalement
        vainqueur.e pourrait avoir obtenu moins de suffrages que celui
        ou celle défait.e. Et que s'il perd, Trump affirmera quand même
        qu'il a gagné et qu'"on" lui aura "volé sa victoire". En
        attendant, on s’autorisera à poser, innocemment, la question :
        le sort du monde est-il en jeu dans cette élections ? Et on
        s'autorisera à répondre "non". Le sort de l'Ukraine, sans doute,
        est en jeu. Le sort de la Palestine, aussi. Celui de Taïwan,
        peut-être. Celui des immigrants américains (du centre et du sud)
        en Amérique (du nord), certainement. Mais certainement pas le
        sort de l'Europe, ni celui de l'Afrique, ni celui du monde. Même
        si les dirigeants européens (sauf Orban) et une part sans doute
        majoritaire des opinions publiques européennes prient (mais
        prient qui, ou quoi ?) pour que Kamala Harris soit élue (ou
        plutôt pour que Trump soit battu), on ne devrait pas oublier que
        les deux reprennent à leur compte le mot d'ordre de toutes les
        présidences étasuniennes depuis un siècle : "America First". Et
        si, plutôt qu'une menace pour l'Europe, c'était une chance de
        s'émanciper de ce grand frère qui ne pense plus qu'à lui et n'a
        cessé de se prendre pour le centre du monde que pour se prendre
        pour le monde à lui tout seul ?
      
Make America Mad Again
      
L'élection du président ou de la présidente des
        USA aura lieu le 5 novembre (en même temps se tiendront des
        élections législatives dont le résultat sera déterminant pour
        savoir ce que pourra faire l'élu ou l'élue à la présidence),
        mais le scrutin est déjà ouvert pour le vote par correspondance
        et le vote anticipé et, s'il devait aboutir à la défaite de
        Donald Trump, on s'attend à ce qu'il sot immédiatement contesté
        par lui, comme en 2020, par voie judiciaire dès le résultat du
        vote connu dans les quelques Etats qui feront la balance -et qui
        se trouvent être ceux où le vote anticipé aura été le plus
        fréquent. Les Démocrates, qui en usent beaucoup plus que les
        Républicains,  accepteront certainement le résultat s'il devait
        leur être défavorable. Trump, certainement pas. En attendant le
        résultat, on scrute les sondages. Qui suggèrent une élection
        extrêmement serrée. Ils donnent certes Kamala Harris devant
        Trump au plan national, mais les deux candidats au coude-à-coude
        dans six des sept"Etats clés" qui vont déterminer le résultat
        final, puisque le président ou la présidente des USA n'est pas
        élu.e au suffrage direct, mais indirect : ce sont de "grands
        électeurs" qui l'élisent, et ce sont eux qui seront élu.e.s le 5
        novembre, pas le président ou la présidente. Qui pourrait donc
        être soutenu.e par une majorité de citoyens et de citoyennes,
        mais finalement battu.e par le collège électoral. 
      
L'hymne du parti démocrate, depuis le New Deal de
        Roosevelt, proclame que "les jours heureux sont de retour"
        (Happy Days Are Here Again"). Le retrait de Joe Biden et la
        candidature de Kamala Harris avaient bouleversé la campagne, qui
        se dirigeait tout droit vers un triomphe trumpiste. La
        progression de Kamala Harris avait été rapide et importante
        -mais elle s'est arrêtée. Elle a réunifié le camp démocrate,
        mais n'a pas totalement reconquis les votes latinos et
        afro-américains (qui restent majoritairement en faveur des
        démocrates, mais se sont affaiblis chez les hommes des deux
        "communautés"). Et l'ancien président
        Barack Obama a dû lancer à la foule de ses auditeurs, à
        Pittsburgh, qui huaient Trump : "Ne huez pas, Votez !". 
      
En guise de "jours heureux", Trump a installé
        l'insulte et l'injure comme mode courant de campagne et en a rajouté sur l'invective et l'outrance sur fonds de
        xénophobie et de racisme : le plus grand problème des Etats-Unis
        est l'alliance des "gens malades (et) des fous de la gauche
        radicale" (dont Kamala Harris est supposée être...). Contre
        cette menace, il faudrait faire appel "au besoin" à la Garde
        Nationale, voire à l'armée. Kamala Harris, elle, est
        "mentalement déficiente", "handicapée", une "vice-présidente de
        merde" Contre les immigrants illégaux,
        "nous lancerons la plus grande opération de déportation de
        l'histoire des Etats-Unis", a-t-il promis ("on aurait dû y
        penser quand il était encore temps", ont dû se dire les
        Amérindiens...), avant d'accuser les
        Haïtiens de manger les chats et les chiens des Américains
        (blancs du nord). 
      
Rien de ce qu'on sait de Trump et de ce que Trump
        lui-même montre de ce qu'il est, n'a affaibli le soutien dont il
        dispose d'un parti républicain qu'il a vassalisé et remis entre
        les mains d'un mouvement à sa botte, MAGA ("Make America Great
        Again"), et dont on voit mal comment il pourrait redevenir un
        parti politique digne de ce nom dans une démocratie. A quelques
        exceptions près, les cadres conservateurs du parti, même ceux
        qui avaient dénoncé Trump et condamné son implication dans
        l'attaque du Capitole, se sont ralliés un par un à lui, malgré
        les avertissements lancés depuis le camp même de la droite :
        Trump a été qualifié de "fasciste complet" et de "personnes la
        plus dangereuse dans ce pays" par l'ancien
        chef d'état-major des armées, Mark Milley, repris par Kamala
        Harris.  "Dans les 248 ans d'histoire de notre nation, il n'y a
        jamais eu d'individu qui représente une plus grande menace pour
        notre République que Donald Trump", a déclaré le 6 novembre sur
        CNN... l'ancien vice-président de George W. Bush, Dick Cheney...
        Aucun de ces appels n'a ébréché la base de Trump. Ni même
        convaincu d'aussi respectables journaux que la "Washington Post"
        et le "Los Angeles Times" d'appeler à voter pour la seule
        alternative à Trump, à savoir Kamala Harris : leurs
        propriétaires, cherchant à préserver l'avenir et leurs intérêts
        au cas où l'ex-président redeviendrait président, ont bloqué la
        parution d'éditoriaux favorables à son adversaire. Comme l'écrit
        le chroniqueur Eugène Robinson, "il est d'une certaine façon
        inscrit dans cette campagne que Trump est autorisé à parler et à
        agir comme un dingue complet tandis que Harris doit être
        parfaite en tout point". 
      
On pourrait se dire qu'après tout, qu'un.e électeur-trice étasunien sur deux s'apprête à voter pour Trump ne relève que d'une pathologie étasunienne -mais on aurait tort. Le trumpisme est exportable. Et ici aussi, on finira par s'y habituer. On a d'ailleurs déjà commencé, et il nous faudrait aujourd'hui être plus optimistes qu'il convient pour croire que la consommation, ici, d'un débat politique dégradé comme il l'a été aux USA pourra être plus facilement contenue aujourd'hui qu'hier celle du coca ou du MacDo.



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