Bien privé et utilité publique

 

Le référendum de droite contre l'achat par la Ville de la campagne Masset a peut-être abouti

La droite municipale genevoise a déposé hier un peu plus de 3100 signatures, selon elle, à l'appui de son référendum contre l'achat par la Ville de la campagne Masset. Il faut 2400 signatures validées pour que le référendum soit organisé, mais pour un référendum municipal en Ville de Genève, la marge entre les signatures récoltées et les signatures valides peut tourner autour de 20 % des premières. On ne sait donc pas encore si la votation aura lieu (on le saura dans quelques semaines). Si tel est le cas, on ne votera sans doute pas en Ville avant juin, peut-être même en septembre, et donc après le renouvellement du Conseil municipal et du Conseil administratif. On ne sait même pas si le référendum contre cet achat aura le moindre effet, puisque le propriétaire actuel peut parfaitement vendre son bien quand il veut. C'était d'ailleurs sans doute le but de la droite, la fonction de son référendum dilatoire, et la prière ardente des milieux immobiliers : surtout éviter que ce bien privé soit repris par la commune et rendu à l'usage de la population.

L'argumentation exsangue de référendaires chipoteux

Un référendum, c'est en principe un outil de démocratie (semi) directe. Le référendum contre l'achat par la Ville de la campagne Masset est un outil d'un  tout autre autre genre : un outil de blocage, qui n'a pas pour but de provoquer une votation populaire précédée d'un débat sur le sens et l'utilité d'un projet, mais d'empêcher même que ce projet puisse être même envisagé. En témoigne d'ailleurs l'argumentation exsangue des référendaires : on y cherchait en vain un discours sur le fond, une critique du projet de rendre un espace privé à un usage public, une contestation du besoin d'espace vert, d'un parc dans un quartier en plein développement démographique, dans la ville la plus dense de Suisse. On y trouvera en revanche une masse de chipotages sur la procédure de vote, l'information disponible, la pente du terrain, le classement de la maison, le temps du débat parlementaire. Et surtout, rien sur le véritable enjeu du débat : le passage d'un espace privatif à un espace public. Cette vacuité du discours référendaire se vérifie jusque dans l'épisode de la tentative des soutiens de l'achat par la Ville de la campagne Masset (qui ont lancé un appel en ce sens, signé par plus de 1500 personnes) de rencontrer les partis référendaires (le Centre, les Verts libéraux, le PLR, l'UDC), tentative se heurtant à des portes fermées.

La campagne Masset, proche d'une résidence pour personnes âgées, de crèches, d'écoles, c'est le seul espace vert qui pourrait être public dans un quartier densifié. C'est, juste au-dessus du Rhône, dont les rives pourraient être rendues accessibles en prolongeant un sentier existant, trois hectares d'espace vert, et une maison de maître du XVIIIe siècle, classée mais pas inaménageable. Cet espace vert, cette maison, la Ville de Genève est prête à l'acheter. Et elle en a les moyens, puisqu'elle dispose déjà d'un budget d'investissement de 180 millions, plus de huit fois supérieur au prix demandé par le propriétaire actuel, et qui est d'ailleurs déjà inférieur à la valeur du terrain et de la maison sur le marché.  Sept fois le prix demandé par le propriétaire actuel pour la vente de la campagne.

Il y a un intérêt public évident à ce que la Ville acquière cette maison et ce terrain, et une utilité publique tout aussi évidente à le faire : l'intérêt public, c'est la maîtrise par la Ville de son propre territoire, la maîtrise du foncier. L'utilité publique, c'est de répondre aux besoins d'un quartier en pleine expansion, et des quartiers environnement. L'utilité du référendum, que sa demande ait ou non recueilli assez de signatures pour aboutir, n'est en revanche perceptible que par les milieux immobiliers : "La Ville n'a rien à faire dans cette transaction", assène l'administrateur d'une société de conseil immobilier, Lorenzo Pedrazzini, assez représentatif de milieux pour lesquels la Ville n'a de toute façon rien à faire dans aucune transaction immobilière, la loi du marché devant régner en maîtresse. Il devrait être là, le débat politique que les référendaires feignent de vouloir lancer, et que les milieux immobiliers craignent. Et l'éviter, c'est précisément la fonction du référendum lancé par la droite, qui n'attend qu'une chose : que la seule annonce de la seule possibilité que la demande de référendum ait abouti convainque le propriétaire actuel de vendre son bien privé à un privé, et surtout pas à la commune. Et surtout pas à celle-là.


Commentaires

  1. henri huber a ajouté un nouveau commentaire sur votre article "Bien privé et utilité publique" :

    out à fait d'accord avec votre article, sans aucun "mais".
    La gauche utilise trop souvent le référendum, elle ne doit pas se plaindre si la droite essaye d'en faire autant. Avec ces appels au peuple trop fréquents, on arrive à des excès de démocratie. Qu'on le fasse pour des questions importantes comme l'AVS, d'accord. Pour le reste, ces référendums sont surtout un moyen pour les partis d'occuper le terrain.

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