Et Dieu dans tout ça ?

Un oxymore : la spiritualité anarchiste

Petite respiration éditoriale : Comme on est un peu fatigué après cinq heures de Conseil Municipal, que par ailleurs et d'une manière générale, on se revendique être un peu fainéant, et que sortir du bain polituque quotidien ne nous (et ne vous) fera pas de mal, on se contentera pour notre livraison d'aujourd'hui de vous balancer un article qu'on a commis pour le journal socialiste «Causes Communes», dont le dernier numéro était consacré à la «spiritualité». Les autres articles (fort intéressants) de ce numéro, vous les trouverez, pour votre édification, sur :
http://www.ps-geneve.ch/sites/default/files/CC24_FINAL-PRINT-WEB_0.pdf

« Il n’y a pas encore eu de révolution dans l’histoire. Il ne peut y en avoir qu’une qui serait la révolution définitive ». Albert Camus

Commençons par débarbouiller les mots, par débarrasser la « spiritualité » du fatras d’infantilismes mystificateurs et de brouets consolateurs qu’elle trimballe depuis quelques millénaires - bref, dépouillons-la de ses défroques religieuses et retrouvons-la telle qu’en elle-même, elle nous dit l’irrépressible, l’irrésistible, l’inextinguible soif d’autre chose - ce besoin d’un autre monde que le monde qui est. Que cet autre monde soit espéré, attendu, entendu hors du monde ou qu’il le soit par la lutte pour changer le monde, il y a bien dans cette espérance, cette attente -et pour nous cette lutte, quelque chose que l’on peut, si l’on y tient, appeler « spiritualité », mais d’une « spiritualité » qui se refusera toujours à concevoir un esprit séparé de la matière ou une âme distincte du corps. Ce quelque chose de «spirituel» qu’il pourrait y avoir dans l’anarchisme, ce n’est rien d’autre que ce qu’Ernst Bloch appelait, lui, « Principe Espérance », et qu’Albert Camus trouvait présent, et constant, dans la révolte, non dans la révolution. La révolte, puisque « le révolutionnaire est en même temps révolté ou alors il n’est plus révolutionnaire, mais policier et fonctionnaire qui se tourne contre la révolte. Mais s’il est révolté, il finit par se dresser contre la révolution. (...) Tout révolutionnaire finit en oppresseur ou en hérétique. Dans l’univers purement historique qu’elles ont choisi, révolte et révolution débouchent dans le même dilemme : ou la police ou la folie». Et cette « spiritualité anarchiste » se retrouve toute entière dans le plus fameux, le plus péremptoire et le plus espérant des slogans anars : « Ni Dieu, ni Maître ». C’est de la politique, bien sûr. Mais c’est plus que cela, et dans ce refus de se contenter du monde tel qu’il est, d’accepter ses règles, des gens dont les inclinations politiques sont, pour user de catégories simples, de droite, se retrouvent aux côtés de gens qu’on ne pourrait situer qu’à l’extrême-gauche. Walter Benjamin rappelle que « Pendant les années 1865 à 1875, quelques grands anarchistes, sans avoir connaissance les uns des autres, construisirent leurs machines infernales. Le plus étonnant, c’est qu’ils mirent, sans s’accorder, leurs pendules exactement à la même heure ; et quarante ans plus tard, les écrits de Dostoïevski, de Rimbaud et de Lautréamont explosèrent au même moment, dans le surréalisme ». Le « Ni Dieu, ni Maître » de l’anarchisme construit, dans le monde, et face à lui, une spiritualité qui n’est pas une fuite hors du monde, ou l’attente d’une parousie sous la férule (ou sous l’amour, ce qui revient au même) d’un Dieu, qui n’est jamais qu’un Maître d’autant plus absolu qu’il est illusoire. La « spiritualité » anarchiste est matérialiste, en ce sens qu’elle se collète au monde pour le changer, qu’elle n’attend ni miracle, ni grâce, ni rédemption, qu’elle est toute entière dans des luttes concrètes, et dans une fidélité à soi-même qui implique, et impose, non le retrait du monde tel qu’il est, mais une étrangeté quotidienne au monde -une étrangeté qui se mesure à des actes, pas à une foi, et qui ne peut se construire que dans le refus de toute obéissance, en même temps que de toute résignation. L’homme est la seule créature qui refuse de n’être que ce qu’elle est, et qui par ce refus premier, peut refuser d’admettre que le monde tel qu’il est est le seul monde possible. Si l’on tient à voir dans ce double refus le signe d’une « spiritualité », pourquoi pas ? Mais qu’alors, on n’attende pas qu’elle ait quoi que ce soit à voir avec une religion : il n’y a de mondes que le monde réel et le monde possible, et il n’y a de monde possible que celui pour lequel on décide, souverainement, de se battre. « Il n’y a pas encore eu de révolution dans l’histoire. Il ne peut y en avoir qu’une qui serait la révolution définitive » (Albert Camus).

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