Accident de Sierre : Pas de mots aujourd'hui. Mais des actes demain...
La compassion, bien sûr, et puis ?
22 enfants, leurs deux chauffeurs, leurs quatre accompagnants, meurent dans un accident d'autocar, dans un tunnel valaisan. Ni la présidente de la Confédération suisse, ni le Premier ministre du Royaume de Belgique, ne trouvent « les mots justes » à adresser aux familles des victimes et aux rescapés. Mais s'il n'y a pas de mots pour dire à leurs familles ce que nous pouvons ressentir après la mort absurde de 22 enfants dans un accident d'autocar, il faudra bien, pour paraphraser à la fois l'Ecclésiaste et Spinoza, qu'il y ait un temps pour « ni prier, ni pleurer, mais comprendre et agir ». Il n'y a pas encore de mots, mais il faudra qu'il y en ait (et d'abord ceux-ci : pourquoi transporter des enfants de Belgique en Suisse en autocar, et pas en train ? ), suivis d'actes pour éviter que pareil drame se reproduise.
Avant que la compassion se dissipe...
Pour autant qu'on puisse le savoir, la compassion n'est qu'humaine - de tous les animaux, seul l'animal humain en est capable. Elle a empreint la Suisse, elle a réuni la Belgique dans une commune douleur partagée (c'est ce qu'elle est : le partage de la douleur), et si peu religieux que nous soyons, c'est ici la musique d'un Stabat Mater (celui, sublime, de Pergolese) qui nous vient en pensant aux familles des victimes. Mais nous savons aussi la compassion fugace, que d'autres drames, ailleurs, recouvriront d'une nouvelle empathie celle qu'a suscité l'accident de mercredi, que les parents, les frères et les soeurs des victimes resteront bientôt seuls avec leur deuil, que ce qui nous a un matin de mars bouleversés s'estompera et ne laissera dans nos mémoires qu'une trace impalpable, recouverte des mille événements, petits ou grands, qui surviendront après que nous soyons, nous, remis d'avoir été, par les media, témoins de celui-ci. Le drame de Sierre a recouvert d'un lourd manteau de deuil les petites contrariétés de ceux que Maurice Chappaz avait, fort pertinemment, désignés une fois pour toute comme les « maquereaux des cimes blanches » -ces promoteurs tétanisés par l'adoption de l'initiative de Franz Weber contre la prolifération des résidences secondaires. Mais est-ce du cynisme ou de la raison que de prédire la prochaine submersion du grand drame par les petites contrariétés ?
Nous savons enfin que la compassion est sélective, inégale et que nous ne pourrions partager toutes les douleurs de nos semblables sans y succomber nous-mêmes. Nous sommes plus directement, plus violemment, frappés par la mort de 22 enfants belges à deux pas de chez nous, dans un accident de la route, que par celle de 500 enfants syriens, à plusieurs milliers de kilomètres, dans la répression sauvage lancée contre une ville insurgée par un régime qui semble ne concevoir que cette sauvagerie comme moyen de se maintenir au pouvoir.
Le travail de deuil doit annoncer d'autres travaux, plus triviaux -ceux nécessaires pour éviter que pareil drame que celui de Sierre survienne à nouveau, ou du moins en réduire au maximum la possibilité. Selon les premiers éléments de l'enquête, il n'y aurait pas eu d'interaction entre un autre véhicule et l'autocar, qui s'est jeté tout seul contre la paroi d'une issue de secours du tunnel, la chaussée ne présentait aucune trace de liquide, le chauffeur ne roulait sans doute pas plus vite qu'autorisé, et il venait de prendre le volant. Alors quoi ? Rien dans un tel événement ne peut ni ne doit renvoyer à une commode fatalité, qui ne serait que la promesse qu'il se reproduise, ni à la recherche d'une culpabilité qui dispenserait d'agir.
La compassion est un sentiment noble, qui signe notre commune appartenance à une commune humanité. Elle est manifestation de fraternité. Mais cette fraternité ne serait que sentimentale, et impuissante, s'il devait n'en sortir rien d'autre que le partage, pour un temps, d'une douleur.
22 enfants, leurs deux chauffeurs, leurs quatre accompagnants, meurent dans un accident d'autocar, dans un tunnel valaisan. Ni la présidente de la Confédération suisse, ni le Premier ministre du Royaume de Belgique, ne trouvent « les mots justes » à adresser aux familles des victimes et aux rescapés. Mais s'il n'y a pas de mots pour dire à leurs familles ce que nous pouvons ressentir après la mort absurde de 22 enfants dans un accident d'autocar, il faudra bien, pour paraphraser à la fois l'Ecclésiaste et Spinoza, qu'il y ait un temps pour « ni prier, ni pleurer, mais comprendre et agir ». Il n'y a pas encore de mots, mais il faudra qu'il y en ait (et d'abord ceux-ci : pourquoi transporter des enfants de Belgique en Suisse en autocar, et pas en train ? ), suivis d'actes pour éviter que pareil drame se reproduise.
Avant que la compassion se dissipe...
Pour autant qu'on puisse le savoir, la compassion n'est qu'humaine - de tous les animaux, seul l'animal humain en est capable. Elle a empreint la Suisse, elle a réuni la Belgique dans une commune douleur partagée (c'est ce qu'elle est : le partage de la douleur), et si peu religieux que nous soyons, c'est ici la musique d'un Stabat Mater (celui, sublime, de Pergolese) qui nous vient en pensant aux familles des victimes. Mais nous savons aussi la compassion fugace, que d'autres drames, ailleurs, recouvriront d'une nouvelle empathie celle qu'a suscité l'accident de mercredi, que les parents, les frères et les soeurs des victimes resteront bientôt seuls avec leur deuil, que ce qui nous a un matin de mars bouleversés s'estompera et ne laissera dans nos mémoires qu'une trace impalpable, recouverte des mille événements, petits ou grands, qui surviendront après que nous soyons, nous, remis d'avoir été, par les media, témoins de celui-ci. Le drame de Sierre a recouvert d'un lourd manteau de deuil les petites contrariétés de ceux que Maurice Chappaz avait, fort pertinemment, désignés une fois pour toute comme les « maquereaux des cimes blanches » -ces promoteurs tétanisés par l'adoption de l'initiative de Franz Weber contre la prolifération des résidences secondaires. Mais est-ce du cynisme ou de la raison que de prédire la prochaine submersion du grand drame par les petites contrariétés ?
Nous savons enfin que la compassion est sélective, inégale et que nous ne pourrions partager toutes les douleurs de nos semblables sans y succomber nous-mêmes. Nous sommes plus directement, plus violemment, frappés par la mort de 22 enfants belges à deux pas de chez nous, dans un accident de la route, que par celle de 500 enfants syriens, à plusieurs milliers de kilomètres, dans la répression sauvage lancée contre une ville insurgée par un régime qui semble ne concevoir que cette sauvagerie comme moyen de se maintenir au pouvoir.
Le travail de deuil doit annoncer d'autres travaux, plus triviaux -ceux nécessaires pour éviter que pareil drame que celui de Sierre survienne à nouveau, ou du moins en réduire au maximum la possibilité. Selon les premiers éléments de l'enquête, il n'y aurait pas eu d'interaction entre un autre véhicule et l'autocar, qui s'est jeté tout seul contre la paroi d'une issue de secours du tunnel, la chaussée ne présentait aucune trace de liquide, le chauffeur ne roulait sans doute pas plus vite qu'autorisé, et il venait de prendre le volant. Alors quoi ? Rien dans un tel événement ne peut ni ne doit renvoyer à une commode fatalité, qui ne serait que la promesse qu'il se reproduise, ni à la recherche d'une culpabilité qui dispenserait d'agir.
La compassion est un sentiment noble, qui signe notre commune appartenance à une commune humanité. Elle est manifestation de fraternité. Mais cette fraternité ne serait que sentimentale, et impuissante, s'il devait n'en sortir rien d'autre que le partage, pour un temps, d'une douleur.
Commentaires
Enregistrer un commentaire