Le froid tue et les « Indignés » lèvent le camp ? Reste une exigence : la cohérence

A Genève, un homme retrouvé inanimé dans le camp des «Indignés» est décédé d'hypothermie. Ils étaient où, les «Indignés», pendant que leur hôte mourait de froid ? Hier, ils ont annoncé leur décision de lever le camp. Ils ont justifié cette décision par le froid, les luttes avec les autorités (quelles luttes ? les autorités municipales les avaient autorisé à camper pendant encore au moins un mois) et les « personnes à problèmes ». Bref, à Genève, on a des Indignés de beau temps et ne se frottant pas aux exclus. En levant leur camp, ils ont promis que leur mouvement allait continuer, mais sous une autre forme. Quelle autre forme ? Thé dansant ? Brunch ? Une question reste, pourtant : et si tout de même les « Indignés » nous disaient un peu plus que ce disait leur posture d'indignation complaisante ? S'ils nous disaient, par leur propre incohérence, une exigence de cohérence à laquelle nous devrions être nous mêmes requis ?

La Hanse ou le Temple ? L'Enyclopédie ou Alamût ? le réseau ou la conspiration ?

Nous avons à réapprendre à nous passer de ce que nous combattons, à dépasser ce dont nous proposons le dépassement, à renoncer à ce dont nous proposons l'abolition. C'est depuis toujours affaire de cohérence, c'est désormais aussi affaire d'efficacité, et c'est surtout ce qui peut, exemplairement, marquer la différence entre le refus socialiste du monde tel qu'il est et l'opposition populiste à ses maîtres, autant qu'à la posture d'indignation sans prolongement politique.
Le populisme ne propose pas un changement des règles du jeu social et politique, mais une simple substitution des maîtres du jeu, les chefs populistes prenant simplement la place des «princes qui nous gouvernent». C'est une chose en effet de proposer de nouveaux maîtres, mais c'en est une autre, d'une toute autre ambition, que de proposer de se passer des maîtres -et non seulement de le proposer, mais de s'en passer réellement, de récuser la maîtrise dans la réalité et la pratique politique, et de construire déjà face au monde tel qu'il est le monde tel qu'il devrait être.
Que signifie concrètement, à quoi engagerait réellement, cette exigence de cohérence entre le dire et le faire ?
Elle signifie d'abord, et impose, que nous appliquions pour nous-mêmes, entre nous et dans nos rapports avec les autres, ce que nous proposons à la société toute entière -notre programme.
Elle signifie ensuite la nécessité de pousser ce programme à son terme logique, et de renoncer à le configurer (c'est-à-dire à le réduire) à ce que l'on croit possible de faire admettre à court terme à une majorité de l'électorat ou de l'opinion publique. Or qu'est-ce qu'un programme socialiste ? Pas seulement, ni forcément, le programme d'une organisation socialiste ou se disant telle, mais essentiellement un programme exprimant une alternative -une alterité et un conflit- aux trois fondements du capitalisme (qu'il soit social ou libéral) : l'Etat, le salariat, la propriété privée.
Il nous faut enfin repenser l'organisation même de nos forces -repenser nos organisations, y compris celles qui se disent encore « partis » et ne sont plus généralement que des comités électoraux. Deux modèles s'offrent alors à qui veut d'une gauche radicalement activiste : la Hanse ou le Temple, L'Enyclopédie ou Alamût, la Première Internationale ou l'Internationale Situationniste -bref, le réseau démocratique ou la conspiration aristocratique. Il nous faudrait sans doute pouvoir les conjuguer, vivifier le premier par la seconde, humaniser la seconde par le premier, fonder une organisation qui ait la liberté de l'une et l'exigence de l'autre...
Le choix n'est pas entre la réforme et la révolution, qui ne s'opposent que comme la patience et l'impatience. Nous ne reprochons pas à la gauche dont nous sommes d'être réformiste, mais de ne même plus l'être, et ce que nous attendons d'une gauche résurgente n'est pas le refus du réformisme, mais l'engagement dans un réformisme radical, activiste, procédant aux réformes sans attendre que l'autorisation lui en soit donnée par cela même qu'il faut au moins réformer -les institutions et les pouvoirs auxquels nous auront forcément à nous confronter, puisque notre projet est inconciliable avec les règles de ce qu'il veut changer, et que tel est la mesure de son caractère socialiste.
Notre réformisme doit être révolutionnaire.

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