Vingt ans après le « Sommet de la Terre » : Sauver la Terre ou les Terriens ?

« La cause principale de la dégradation continue de l'environnement mondial est un schéma de consommation et de production non viable, notamment dans les pays industrialisés, qui est extrêmement préoccupant dans la mesure où il aggrave la pauvreté et les déséquilibres » : ainsi s'exprimait en 1992 la déclaration finale du « Sommet de la Terre », à Rio de Janeiro. Deux conventions sur les changements climatiques et la diversité, plus un plan de « développement durable » (l'« Agenda 21 »), suivirent, mais vingt ans plus tard on n'est toujours pas sorti du « schéma de consommation et de production non viable », et le «développement durable» prôné à Rio apparaît pour ce qu'il est : une tentative de sauvegarder l'essentiel de ce « schéma », d'en pérenniser les « lois » fondamentales -à commencer par celle du profit, et celle de la propriété privée des moyens de production. La planète y survivra, mais quel prix paieront ses habitants humains ?

La planète peut parfaitement se passer de nous, pas nous d'elle...

En cherchant bien, on trouve toujours, dans Marx, ce qu'on a envie d'y trouver : le prophétisme socialiste, bien sûr, mais aussi un éloge du capitalisme... et même un début de projet de décroissance. Ainsi, tiré de l'Idéologie allemande, cette agreste et rousseauiste évocation de la société communiste à venir -qui ressemble assez furieusement à l'idée que l'on pouvait se faire de la société communiste primitive : «Dans la société communiste, où chacun n'a pas une sphère d'activité exclusive mais peut se perfectionner dans la branche qui lui plaît, la société réglemente la production générale, ce qui crée pour moi la possibilité de faire aujourd'hui telle chose, demain telle autre, de chasse le matin, de pêcher l'après-midi, de pratiquer l'élevage le soir, de faire de la critique après le repas, selon mon bon plaisir, sans jamais devenir chasseur, pêcheur ou critique ». Mais il est vrai que c'est à peu près tout ce que Marx acceptait de nous dire de ce que pouvait être une société communiste, celle-ci devant être déterminée par le mouvement même qui l'instaurerait, et non prédéfinie comme le faisaient les utopistes classiques, Campanella, More, Cabet, Fourier, qui les avaient pensées et projetées alors que la société dans laquelle ils vivaient, et rêvaient à l'avenir, limitait par ses formes mêmes, ses lois, ses héritages culturels, les possibilités d'en inventer une autre. Ainsi la Cité du Soleil de Campanella ou l'Ile d'Utopie de More étaient-elles des utopies féodales, et les phalanstères de Fourier des utopies bourgeoises. Marx n'est pas utopiste : il se contente d'évoquer ce que pourrait être une société sans division du travail, une fois celle-ci abolie. Et c'est ce qui pourrait mener à un projet de « décroissance », faisant abstraction de tout le positivisme bourgeois qui encombre encore la pensée de Marx, Au delà du précepte gandhien « vivre simplement pour que d'autres puissent simplement vivre», ou précisément pour ce que ce précepte implique de changement radical dans les institutions politiques et les régimes de propriété (et là, on retrouve Marx -mais aussi Bakounine les anars), la décroissance est un projet fondamentalement subversif -un projet de rupture, ce que n'est pas le « développement durable », dont l'objectif est fondamentalement, et explicitement, conservateur : faire en sorte que les générations futures héritent d'un environnement pas plus dégradé qu'il n'est déjà. Objectif que ce projet s'avère bien en peine d'atteindre, dès lors que dans l'économie dominante, le vice privé devient une vertu publique : comme la délinquance produit la construction de prisons, un marché pour les entreprises de travaux publics et des milliers d'emplois, le pollueur augmente le produit intérieur brut à raison des ressources qu'il faut consacrer à dépolluer...

Nous ne détruisons pas la planète : quoi que nous lui fassions, elle continuera son destin de planète jusqu'à son terme -se faire bouffer par le soleil. Nous détruisons en revanche son écosystème, c'est-à-dire le nôtre. Un milliard d'humains ne disposent pas d'eau potable, des dizaines de milliers de personnes en meurent chaque jour et pendant chaque même jour, une quinzaine d'espèces animales disparaissent. C'est  la question de l'égalité-ou plutôt de l'inégalité qui est posée là : les uns peuvent considérablement réduire leur « train de vie », sans perdre aucune possibilité de concrétiser aucun droit fondamental, mais d'autres, bien plus nombreux, ne le peuvent pas -or ceux-là ont les mêmes droits que nous, et donc les mêmes besoins. Nous menaçons à long terme la vie sur cette planète qui reste, à notre connaissance, la seule à l'abriter. Cela ne signifie pas que la poursuite de mode de production, de consommation et de consumation qui est le nôtre aboutira à la fin de la vie sur terre. cela signifie que cette possibilité ne peut être écartée et que le « principe de précaution », que la «décroissance» exprime radicalement, s'impose, contre la certitude optimiste, sinon béate, que « la vie sera plus forte que tout ».
La vie est un accident, et cet accident est fragile. La planète peut parfaitement se passer de nous, c'est nous qui ne pouvons nous passer d'elle...

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