D'un 11 septembre l'autre : Ben Laden avait obscurci Pinochet.

Il était bien temps, qu'on se souvienne que le 11 septembre n'est pas seulement le jour de l'expédition des kamikazes de Ben Laden contre les Etats Unis, mais aussi, en 1973, celui de l'expédition des marionnettes des Etats Unis contre le Chili. Ben Laden avait obscurci Pinochet, mais c'est aujourd'hui le visage de Salvador Allende qu'on retrouve dans les pages de nos journaux, et ce n'est sans doute pas le seul effet du chiffre rond d'un quarantième anniversaire ou des affres syriennes d'Obama.... On rendra hommage au peuple chilien, à son président et aux victimes de la dictature, ce soir dès 19 heures au café Gavroche par une expo photo, demain vendredi à la salle des fêtes de Carouge par un concert de Quilapayun à 20 heures 30, et sur la place de Sardaigne à 22 heures 15 par un hommage à Salvador Allende, et dimanche à 11 heures au Jardin des Disparus, à Meyrin... (www.chile-40.ch)

El pueblo unido jamas sera vencido... jamas,  ¿en serio?

L'armée chilienne, armée de conscription (on le signale au passage...), était réputée la plus légaliste d'Amérique latine. L'armée des soldats, peut-être. Celle de leurs chefs non. A commencer par Pinochet, nommé à la tête de l'armée par Allende, précisément parce qu'il était, lui aussi, réputé légaliste. Un légalisme soluble sous le piston des intérêts et des pressions américaines. Un légalisme qui s'installa à la tête d'une junte putschiste, à laquelle toute la droite se rallia, et vers laquelle la girouette démocrate-chrétienne se tourna.

Le gouvernement d'Unité Populaire, la présidence de Salvador Allende, furent l'aboutissement de quinze années d'un combat politique mené dans le cadre des institutions légales pour les changer sans les renverser par la force, avec les moyens de la démocratie « bourgeoise » et non ceux de la lutte armée, un combat finalement vainqueur dans les urnes, non dans des villes prises d'assaut par des guerilleros. Allende n'était pas Castro, s'il était son ami, -mais Allende, président démocrate, est tombé sous les coups de ses propres généraux, et Castro, lider maximo, est resté au pouvoir malgré les coups de l'empire (et la chute de l'empire concurrent). Un empire pour qui la stratégie de la « révolution par les urnes » était sans doute plus dangereuse, politiquement, que celle de la révolution par les fusils, parce que plus exportable. La gauche n'était pas toute entière convaincue du choix d'Allende, et ses composantes les plus radicales, comme le MIR (mouvement de la gauche révolutionnaire) n'eurent de cesse de constituer, dans la rue, dans les quartiers, dans les usines, un autre pouvoir que celui de l'Etat -un « pouvoir populaire » auto-organisé, combattant hors des institutions pour accentuer la rupture avec le système qu'Allende voulait changer en utilisant les armes de ce système lui-même. Mais au bout du compte, et face à la gueule des chars, sous les ailes des avions bombardant le palais présidentiel, ces deux gauches furent, ensemble, défaites, avec Miguel Enriquez, abattu par les sicaires de Pinochet, et Allende, se donnant la mort pour ne pas être leur prisonnier ou leur otage...

Allende, élu par le peuple, fut président pendant trois ans. Pinochet et ses séides, régnant par le meurtre, pesèrent pendant dix-sept ans, le temps de faire plus de 3000 morts, de torturer 30'000 personnes, d'en pousser 500'000 à l'exil. Quarante ans après le putsch, que tout le monde (sauf l'extrême-droite) condamne aujourd'hui, certains après l'avoir soutenu et soutenu le régime qu'il installa, les familles des victimes, mortes ou disparues, attendent toujours la vérité. En dix-sept ans, Pinochet et les siens, et leurs conseillers américains, et leurs économistes soldés, ont imposé un libéralisme de jungle auquel aucune opposition ne pouvait parer : privatisations à tour de bras, services publics liquidés, ressources pillées : cet héritage pèse encore sur le Chili après le retour à la démocratie, et même l'élection d'une présidente socialiste, héritière proclamée du président socialiste suicidé.

L'avons-nous assez scandé, en sautillant sur nos Clarks post-soixanthuitards, le bon vieux « et hop Pinochet, plus haut que Carrero ! », après qu'ETA ait expédié ad patres le successeur désigné de Franco, et en espérant que semblable destin soit accordé au général chilien. Espoir déçu -mais espoir infantile, aussi : Pinochet était à la tête d'une junte militaire installée par la superpuissance américaine, et sa mort n'aurait rien changé que la trogne d'un galonné installé au pouvoir par la CIA, le Département d'Etat et quelques multinationales. Allende est mort dans son palais bombardé par l'armée, Pinochet dans son lit anesthésié par le gâtisme. Il aura fallu dix-sept ans pour que Pinochet parte. Destitué par référendum en 1990, mais sans être renversé, il était resté à la tête de l'armée, et était devenu sénateur à vie.

« Le peuple uni ne sera jamais vaincu » ? Sans doute, du moins s'il est uni. Mais il ne marche souvent vers de possibles victoires que par des étapes de défaites. Il fallut attendre dix-sept ans pour que tombe, mollement, Pinochet. Et vingt-trois ans après cette molle retraite, on attend encore que soit répudié son hirétage.  L'histoire marche bien plus lentement vers nos rêves que nous vers notre mort.

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