Election du Procureur Général de Genève : On a déjà gagné !


On aurait pu en militants disciplinés que nous sommes, s'en tenir à la non-position de notre parti : on ne soutient ni le candidat de droite, ni le candidat de gauche, on laisse la corpo décider,  les juges jauger et les procureurs se procurer. On a fait un autre choix: celui de prendre à la place de notre parti la responsabilité qu'il refusait d'assumer -celle de jouer pleinement le jeu d'une élection démocratique et d'un débat politique, entre la gauche et la droite, sur la justice, la prison, l'application du droit, les priorités de l'action pénale. Et on a déjà gagné sur ces trois tableaux. La candidature de Pierre Bayenet a imposé une élection démocratique, la campagne autour de cette candidature a imposé un débat politique, et cette candidature elle-même comme tout autre chose que ce que la corpo du Palais affectait d'y voir (une sorte d'opération kamimaze). « La sauce prend », titre « Le Courrier ». de samedi. Le quotidien truitier est peut-être un peu de parti pris, mais quoi qu'il en soit, en effet, « la sauce prend ».. On a même réussi à imposer une couleur : le « vert Bayenet ».... oui, bon, d'accord, là, on aurait pu s'abstenir.. Mais seulement là.

« Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? » (Talmud -abot, mishnah)

En 2008, les socialistes genevois, rappelant que c'étaient eux qui, en 1904, avaient imposé l'élection du Procureur Général et des autres magistrats du pouvoir judiciaire par le peuple et non le Grand Conseil, proclamaient, par la voix de l'un des leur (devenu par la suite « premier procureur »), vouloir non seulement se souvenir de ce combat, mais aussi vouloir se  mobiliser pour le mener, et ne pas se « faire imposer un candidat par la majorité ». Aujourd'hui, en soutenant la candidature de Pierre Bayenet que ne soutient pas le PS, nous ne faisons rien d'autre que ce que nos propres camarades recommandaient il y a six ans : le travail d'un parti de gauche dans une élection démocratique. Nous le faisons à la place de notre parti, certes, et alors ? « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ?»

Ce qui nous importe dans cette campagne électorale, c'est le contenu politique de la candidature que nous soutenons. Il était donné dès le départ, comme celui d'une candidature de gauche; dans toute la campagne, ce contenu a été précisé, présenté publiquement, débattu. Et c'est une première victoire, contre tout ce qui militait pour une élection tacite, sans bilan, sans programme autre que la poursuite de celui mis en oeuvre par le procureur sortant, et qui aurait voulu être reconduit à son poste sans élection, sans contestation, sans débat. Et sans « politique » : dans un entretien d'une attendrissante complaisance de Tout l'Immobilier avec Olivier Jornot, celui-ci remet une couche d'aimable hypocrisie sur les protestations d'apolitisme de l'élection du procureur Général qui ont scandé la campagne (très politique) de cette élection : « Je m'efforce depuis mon élection de me tenir à distance des partis, à commencer par le mien. C'est une posture indispensable ». Une posture, en effet, et rien que cela : Jornot est présenté à sa propre succession par son propre parti et par le PDC, et soutenu par l'UDC et le MCG. Et au bas des affiches électorales le portraiturant, ce ne sont pas des signatures «apolitiques» qui marquent la distance du candidat avec les partis, mais celles, précisément, du PLR, du PDC et de l'Entente qui en marquent la proximité. D'ailleurs, des deux candidats en lice, si l'on devait désigner le plus «politicien», serait-ce celui qui n'a jamais exercé de mandat politique ou celui qui, tout en accusant son adversaire d'« orchestrer une hyperpolitisation des enjeux » (et même, horresco referens, de mener « campagne avec des syndicats »...), a présidé le parti libéral, a siégé au Grand Conseil pendant six ans et voulait, en 2008, être Conseiller d'Etat ?
Dans l'entretien rédigé à la brosse à reluire par l'hebdo des milieux immobiliers, Jornot se rengorge : « les partis politiques raisonnables me soutiennent ou ne s'opposent pas à ma réelection ». Nous sommes assez heureux de ne pas nous voir décerner ce brevet. Nous ne sommes donc pas raisonnables. Mais nous affirmons que le refus d'un débat sur des enjeux aussi importants (« hyperpolitiques », comme dirait Jornot) que la justice, la prison, les libertés fondamentales, les droits des personnes, n'est qu'un refus d'engagement politique -et qu'on attend évidemment autre chose de partis politiques de gauche que cette automutilation.

Au fond, il a peut-être raison le procureur sortant, de son point de vue de politicien de droite pur sucre  : ce n'est pas raisonnable, d'être de gauche à Genève, en 2014.  De refuser la chasse aux sans-papiers et aux mendiants, l'usage de la prison comme silo de stockage des marges sociales, de dénoncer les restrictions aux libertés syndicales et au droit de manifester. Nous ne sommes pas raisonnables. Le PS genevois et le parti des Verts, eux, sont raisonnables. Tant pis pour eux -ça leur passera, on en fait le pari.
Parce que nous ne sommes pas raisonnables.

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