Le peuple des contribuables lambdas sauve un privilège fiscal

La Suisse vote à droite ? Ah ben ça alors... La gauche, dans ce pays, pèse entre un quart (quand elle est très malade) et un tiers (quand elle ne se porte pas trop mal) des suffrages. L'abolition des forfaits fiscaux a recueilli 40 % des suffrages. Elle a donc fait (sauf en Romandie) le plein des voix de gauche, et quelques voix de droite en plus. Dessiné ainsi, à gros traits, le résultat du vote de ce week-end n'a rien de surprenant (y compris le résultat d'Ecopop, qui recueille, toujours en gros, des suffrages équivalant au poids de la droite de la droite et de l'extrême-droite). Certes, les rapports électoraux ne sont pas si figés et une partie de la gauche (notamment en Romandie) a voté pour le maintien des forfaits fiscaux et une partie de la droite a voté pour leur abolition, mais sur cet objet en tout cas (on vous reparlera d'Ecopop), on est dans un rapport de force entre la droite et la gauche tout ce qu'il y a de plus médiocrement normal. La Suisse vote à droite ? Voui. Depuis la fin du XIXe siècle. Classe en soie, classe pour soie Donc, s'agissant des forfaits fiscaux, tout a été refusé ? L'initiative fédérale, l'initiative cantonale, le contre-projet cantonal ? Tout, oui... sauf ce qui avait été décidé par les Chambres fédérales avant la votation pour éloigner le danger d'une acceptation de l'initiative, et qui n'a pas été soumis au vote puisqu'aucun référendum n'a été lancé contre, quelqu'envie qu'en eût une partie de la droite : un durcissement, dès 2016, des conditions à remplir pour pouvoir bénéficier de l'imposition sur la dépense  (le montant minimal à déclarer par les forfaitaires sera d'au moins 400'000 francs, et dans ce montant, la valeur locative de leur logement en Suisse sera multipliée par sept au lieu de cinq). Du coup, les cantons qui sont au-dessous de ces conditions devront adapter leurs pratiques au nouveau droit. Le contre-projet de la droite à l'initiative cantonale genevoise peut bien avoir été refusé, Genève (comme Vaud, comme le Valais, comme tous les autres cantons pratiquant les forfaits fiscaux) devra se plier aux nouvelles conditions fédérales. Petite, toute petite, victoire de l'initiative, mais victoire tout de même : le privilège accordé aux riches étrangers officiellement sans activité professionnelle en Suisse est maintenu, pour un temps, mais il rapportera un peu plus aux caisses publiques -qui d'ailleurs auraient infiniment moins souffert de son abolition qu'elles n'ont souffert et souffrent encore des cadeaux offerts et des garanties accordées depuis des lustres aux hauts revenus, aux grosses fortunes et aux évadés fiscaux du monde entier, les forfaits fiscaux n'étant que l'un parmi d'autre de ces cadeaux, et leur maintien l'une parmi d'autre de ces garanties. Actuellement, 8 % de la richesse mondiale sont détenus par des particuliers dans des paradis fiscaux. Cela représente près de 7500 milliards de francs.  Et cela fait perdre 190 milliards chaque année aux Etats dont les Picsous sont ressortissants. Et ces chiffres sont une estimation basse, ne prenant pas en compte les biens mobiliers ou immobiliers -si on en tient compte, les seuls pays du Sud subiraient une perte fiscale de près de 300 milliards de dollars chaque année (dont 7,5 milliards sur les capitaux planqués en Suisse). Même si elle se défend d'être un « paradis fiscal », la Suisse participe donc pleinement de ce vampirisme économique : sur les plus de 2000 milliards de dollars qui y sont détenus en provenance de l'étranger, plus de la moitié échappe à l'impôt dans leur pays d'origine. Tout cela étant dit, et les arguments de principe (l'égalité devant l'impôt, la lutte contre l'évasion fiscale, etc...) étant (provisoirement) remisés dans notre armoire à références politiques,  le vote de ce week-end ne sauve pas l'imposition sur la dépense : les forfaits fiscaux finiront bien par être abolis. Mais sur pression de (horreur !) l'étranger, comme l'est presque déjà le secret bancaire et le seront les avantages fiscaux consentis aux multinationales au prix (mais cela, ce n'est pas « l'étranger » qui l'impose, c'est la majorité politique de ce pays) d'une réforme de l'imposition des entreprises qui fera perdre des centaines de millions aux caisses publiques. C'est tout le paradoxe d'un vote acquis, entre autre, au nom du fédéralisme, pour laisser les cantons décider de leur politique fiscale. Jusqu'au moment où même la Confédération ne pourra plus en décider... A part ça, on salue quand même bien bas les 232 citoyennes et citoyens de Cologny qui ont voté « oui » à l'abolition des forfaits fiscaux au plan fédéral et les 231 qui ont fait la même chose au plan cantonal. Sont fichés, là. Mais peuvent toujours demander l'asile politique à Schaffhouse.

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