Réforme de l'imposition des entreprises : Bonne rentrée, camarades !

Marcet sine adversario virtus
Dans son projet de convention entre partis gouvernementaux, le Conseil d'Etat assure que la RIE III, "incontestable sur le plan international", permettrait, dans sa version cantonale, de "situer notre canton dans une perspective de développement régional harmonieux". Prétendre que la réforme soit "incontestable sur le plan international" traficote déjà la vérité : ce qui est "incontestable", c'est la nécessité d'appliquer un taux d'imposition unique à toutes les entreprises -pas le taux de cette imposition, et moins encore les petits cadeaux l'agrémentant pour complaire aux plus grosses d'entre elles. Mais assurer que la version cantonale de la réforme concoctée par les majorités gouvernementale et parlementaire de droite va situer le canton dans "une perspective de développement régional harmonieux" tient de l'enfumage pur et simple : la conséquence d'une adoption de cette réforme dans le version où elle sera proposée si son cadre fédéral passe le cap du vote populaire, c'est au contraire le renforcement de l'inégalité et des contradictions de ce développement régional, entre un canton qui concentre les emplois et exporte les logements, entre des multinationales qu'on chouchoute et des PME qu'on laisse à leurs problèmes, entre un centre qui concentre les ressources et une périphérie qui accumule les problèmes.
Quant aux petites et moyennes entreprises, qui constituent ensemble l'essentiel du tissu économique municipal, cantonal et régional, elles ne bénéficieront quasiment pas de la baisse du taux d'imposition de leurs bénéfices : la majorité d'entre elles ne paient pas un sou de cet impôt, et près de la moitié de celles qui le paient n'en paient que moins de 5000 francs par an. En revanche, si les ressources des collectivités publiques diminuent du fait de la RIE III, la capacité de ces collectivités de passer commande de biens ou de services aux PME diminuera aussi. Les plus grosses entreprises du canton (hors multinationales) vont, elles, bénéficier à plein de la baisse du taux d'imposition de leurs bénéfices. Un peu plus de 150 entreprises (sur les 30'000 du canton) assurent les deux tiers des rentrées fiscales au titre de l'imposition des bénéfices : ce sont celles là qu'il faut rassurer, caresser dans le sens du poil, imposer selon un taux le moins renforcé possible, et gratifier de possibles déductions pour alléger leur facture finale -voire réduire, globalement, leur contribution. Et même les multinationales qui sont supposées payer plus finiront par payer encore moins, puisque de nouvelles possibilités de déductions fiscales leur seront offertes (notamment la possibilité de déduire du bénéfice imposable leurs dépenses de recherche et de développement, ou d'en déduire des intérêts théoriques, et même fictifs, les fameux "intérêts notionnels")...
Et puis, et surtout, il y a le trou que la réforme façon Conseil fédéral et Conseil d'Etat, creusera dans les caisses publiques. Fin 2015, les réformes fiscales successives imposées à Genève par la droite sous forme de baisses d'impôts représentaient déjà un manque à gagner annuel de plus d'un milliard par an, soit presque un huitième du budget annuel du canton, ou presque l'équivalent de la totalité du budget annuel (excédentaire) de la Ville. Et la RIE III menace d'y ajouter une perte annuelle de 500 à 600 millions (à 50 millions près, en plus ou en moins), de plus de 60 millions pour la seule Ville de Genève. Après quoi, d'autres cadeaux fiscaux pointent le bout de leur nez, avec à la clef des pertes supplémentaires de ressources de plusieurs centaines de millions pour les caisses publiques. Comment va-t-on compenser ces pertes, et qui va faire les frais de cette compensation, à votre avis ? Et on ne vous parle même pas de l'abolition, certes remises à des temps politiquement meilleurs, mais toujours envisagées de la taxe professionnelle communale et de l'imposition sur le lieu de travail, qui ne seraient, au terme de la fameuse convention entre partis gouvernementaux, que "gelées" (en attendant d'être dégelées) pour ne pas entraver la marche triomphale de la RIE III -là, c'est les poches de la Ville qu'on veut faire : comme disait un député UDC à la télé : le problème budgétaire du canton, c'est qu'il lui manque le budget de la Ville. Ben voyons.
Gageons donc que le vote genevois, s'il a lieu (c'est-à-dire si la réforme fédérale passe le cap du vote fédéral) sur le volet cantonal genevois de la RIE III se présentera sous la forme d'un bon vieux, solide, clivage gauche-droite, chacun à sa place, et nul ne manquant à son rôle.
Sans adversaire, le courage s'étiole.
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