Journée internationale DES DROITS des femmes : Une longue, longue marche

Journée internationale DES DROITS des femmes : Une longue, longue marche


Entre la Journée internationale de la radio et de la télévision pour les enfants (avant-hier) et la Journée internationale de l'audition (après-demain), il y a, aujourd'hui la Journée internationale des Femmes, dans le titre que lui donnent les Nations-Unies, la Journée internationale des Droits des Femmes dans celui que lui donnent la gauche et les féministes. Dans le calendrier républicain, c'est le jour du mouron. Et dans le calendrier pataphysique, le jour du Sabbat. Tirez-en les conclusions que vous voudrez : ici, on en tirera celle d'un jour dédié à un combat permanent, à une longue, longue marche, avec des arrêts, des errances, des détours, des retours en arrière, des impasses. En Suisse, les femmes ne votent nationalement que depuis 1971, 53 ans après qu'une Grève Générale ait revendiqué ce droit pour elles aussi (il fallut d'ailleurs une autre grève, celle des femmes en 1991, pour que le prédicat constitutionnel de l'égalité, vieux de dix ans, accouche d'une loi), ne peuvent voter cantonalement et communalement dans toute la Suisse que depuis 1990 (à Genève même, il fallut s'y prendre à cinq fois pour qu'un vote des hommes ouvre le vote aux femmes), et ne peuvent ouvrir un compte en banque sans avoir à demander l'autorisation de leur mari que depuis 35 ans...
voir aussi le numéro du journal socialiste genevois "Causes Communes", consacré au féminisme : http://www.ps-geneve.ch/causes-communes/


"Nous préférons être heureuses plutôt que normales"


Si le succès d’un mouvement social pouvait se mesurer à la banalisation de ses références, la victoire du féminisme n'aurait fait nul doute, du moins à gauche, jusqu'à ce qu'on assiste à leurs remises en causes, souvent à prétexte religieux (mais aussi par pure nostalgie de vieil ordre patriarcal), depuis la droite : remises en cause de la légalisation de l'avortement, négation ou minimisation du harcèlement sexuel, de la violence spécifique contre les femmes, de la discrimination sociale, de l'exploitation du travail domestique, de la sous-représentation politique, excuses au viol (et négation même de sa réalité entre conjoints), et on en passe et des pires. Et si la crise de l'emploi qui frappe une grande partie de l'Europe n'a pas chassé les femmes du "monde du travail" (salarié), elle a durci les conditions dans lesquelles une grande partie d'entre elles travaillent, on continue, implicitement, sourdement, à considérer le chômage des femmes moins grave que celui des hommes, et l'inégalité salariale selon le genre persiste : Les deux tiers des postes à plein temps salariés à moins de 4000 francs brut par mois étaient occupés par des femmes en 2014. Cette année là, selon les statistiques officielles, les inégalités salariales entre femmes et hommes étaient de 19,5% en 2014, dont le 39,1% restait inexpliqué. Autrement dit relève d'une pure discrimination selon le genre. Et selon le Forum Economique Mondial, la parité salariale entre femmes et hommes ne sera atteinte, au rythme actuel, que dans 170 ans.
Il n’est de discours de gauche qui n’intègre à son contenu quelque référence au féminisme, d’autant plus facilement que cette référence exprimera ce que le féminisme aura de moins subversif (les quotas, par exemple), que ces organisations elles-mêmes reproduiront dans leur fonctionnement les bonnes vieilles pratiques patriarcales et que leur soutien aux revendications des femmes campera sur le mode défensif, comme si l'égalité entre femmes et hommes était réalisée et qu'il ne s'agissait que de la défendre comme un acquis, au même titre que le suffrage universel. Ainsi croit-on se tenir quitte de tout effort de changement social en ayant participé d’un rite rhétorique et laissé les femmes (ou des femmes) s’ébrouer dans l’espace social qu’on croit leur avoir concédé : celui de l’ascension sociale et de la chasse aux postes, mais selon les vieilles règles du carriérisme masculin. Rien n’aura été changé des fonctionnements sociaux, aucune institution n’aura été menacée (ni le gouvernement, ni les églises, ni l’armée...), aucune hiérarchie fondamentale remise en cause, mais des femmes y auront été intégrées, et les femmes se retrouveront comme les hommes prises dans leurs rets.
Le mouvement féministe était dangereux socialement et politiquement pour les mouvements « institutionnels », parce qu’il était fondamentalement subversif, qu'il ne séparait pas la libération des femmes de celle des autres composants sociales opprimées (ou à tout le moins dominées) et que ses revendications étaient une remise en cause radicale de quelques unes des règles fondatrices du jeu social : ce même mouvement devient fort intéressant, ne serait-ce qu’électoralement, dès lors qu’il se réduit à ne plus être qu’un lobby. Le féminisme est un projet subversif en ce qu’il conteste radicalement (« à la racine ») quelques unes des institutions fondatrices de nos sociétés, institutions auxquelles le mouvement socialiste s’est intégré ou qu’il a admises : l’Etat et ses appareils répressifs ou idéologiques, l’école, la famille, la propriété privée transmise par héritage, les églises. Ce féminisme là, le "Manifeste des Indociles" le résume en une heureuse formule : "nous préférons être heureuses plutôt que normales". Mais réduit à la revendication de participer à la direction des institutions dont le projet féministe sape la légitimité, même des plus patriarcales et des plus antiféministes (l’église catholique romaine, par exemple), le projet subversif se réduit à un projet de rationalisation ou à une volonté d’élargissement sociologique, renonçant à tout projet de changement radical de la société.
Ainsi renonce-t-on à changer le pouvoir pour y revendiquer des places. Rien ne bouge, tout se parfait : ce que le féminisme contestait est conforté par le lobbysme féminin, comme ce que le socialisme combattait fut conforté par l’intégration de socialistes aux institutions combattues.
Le patriarcat, pourtant, n'est pas qu'un souvenir : il reste un soubassement de l'ordre social, un peu partout, même dans les sociétés qui croient (ou veulent faire croire) l'avoir dépassé. Et il enferme aussi les hommes dans des rôles qui les définissent non par ce qu'ils pourraient être s'ils en étaient libres, non pour leurs talents, leurs compétences, leurs droits, mais par une place qui leur est imposée et des comportements qui leur sont inculqués. L'homme ambitieux est un vrai homme, le femme ambitieuse une femme dénaturée. Une femme qui s'occupe de ses enfants est une vraie femme, un homme qui en fait autant encore une étrangeté, et une femme sans enfant une femme incomplète, un homme qui s'occupe de ses enfants La charge subversive du féminisme porte aussi sur la fin de cette aliénation des individus mâles par le rôle qui leur est assigné, la dépendance à ce rôle, à l'image qu'ils sont tenus de donner d'eux-mêmes. L'ordre patriarcal régit encore le travail, la famille, la politique. Et les hommes qui s'en satisfont ne sont finalement que la personnification, et les victimes consentantes, d'une vieille servitude volontaire : le patriarcat, opium du peuple mâle.

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