Réforme du Système des retraites : Compromis ou compromission ?

"Il n'y a pas de politique sociale sans un mouvement social capable de l'imposer" (Pierre Bourdieu)
On est sorti des marchandages, des tractations, des bras-de-fer, des hypothèses : le projet de réforme du système de retraites est bouclé, présenté au peuple, qui l'acceptera ou le refusera le 24 septembre, qu'un référendum soit lancé ou pas, par la gauche de la gauche, la droite de la droite ou les deux ensemble : l'augmentation de la TVA requise pour financer l'AVS est en effet soumise au référendum obligatoire. Ce qui n'empêche évidemment pas, cerise sur le gâteau, un référendum contre l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes. Si l'augmentation de la TVA est refusée, tout le paquet sombre -c'est moins évident pour un éventuel refus du report de l'âge de la retraite des femmes. En tout cas, ça va être pendant six mois une campagne pas piquée des vers, sans confrontation gauche-droite claire : à gauche, le PS suisse organisera en avril un référendum de tous ses membres pour déterminer la position finale du parti sur un compromis finalement adopté à partir d'une position initiale qui était déjà, un compromis par rapport à son propre programme. Les directions syndicales nationales appelleront à voter "oui", comme viennent de le faire Unia et le SSP, mais des sections et des militantes et militants (et peut-être à Genève la Communauté d'action syndicale) appelleront à voter "non ". La "gauche de la gauche" appellera à voter "non", mais son unique représentant aux Chambres fédérales a voté "oui" avant que de voter "non". A droite, le PDC, les Verts libéraux et le PBD appelleront à voter "oui" alors que l'UDC, PLR appelleront sans doute à voter "non ", la Lega ayant voté "oui" aux Chambres. Des organisations patronales appelleront à voter "oui", d'autres appelleront à voter "non". Bref, quel que soit notre vote, il rejoindra des votes de gauche et des votes de droite, et s'opposera à des votes de droite et des votes de gauche. Et nul ne peut prédire le résultat de cette macédoine : dans un vote référendaire, les "non" partent toujours avec une longueur d'avance, parce qu'ils s'additionnent, indépendamment de leurs motivations -il y aura des "non" de gauche et des "non" de droite, des "non" au report de l'âge de la retraite des femmes et des "non" à l'augmentation des rentes AVS, des "non" à l'augmentation de la TVA et des "non" à la baisse du taux de conversion du capital LPP en rentes...
Compenser la baisse du deuxième pilier par une augmentation du premier, on pourrait se dire que c'est un bon début, une sorte de premier pas vers le basculement pur et simple de la LPP dans l'AVS (même si les rentiers actuels ne bénéficieront pas de cette mesure)... On pourra aussi saluer l'amélioration de la couverture des personnes (très majoritairement des femmes) qui travaillent à temps partiel ou additionnent plusieurs emplois à temps partiel. En revanche, repousser d'un an l'âge de la retraite des femmes n'a aucune légitimité de ce genre ("ce n'est pas un élément positif de la réforme", reconnaît Alain Berset), même si les femmes pourront toujours prendre leur retraite à 64 ans en touchant la même rente qu'actuellement (mais en perdant du coup l'augmentation promise de 70 francs par mois) : les femmes travaillent pour des salaires inférieurs de près de 20 % (en moyenne) à ceux des hommes, et leurs rentes AVS et de 2e Pilier (quand elles en ont un) sont elles aussi inférieures à celles des hommes. Et même pour répondre au déficit de l'AVS, relever à 67 ans l'âge de la retraite des femmes ne se justifie pas, dès lors qu'avec un financement additionnel qui ne coûterait à la plupart des cotisants pas plus que le prix d'une croûte au fromage par mois, on pourrait immédiatement et durablement remettre à flot les finances de l'AVS...
"Il faut stabiliser le financement de l'AVS, car sinon, on reparlera très vite d'une augmentation de l'âge de la retraite pour tous jusqu'à 67 ans", prévient Alain Berset. Certes, la retraite à 67 ans, c'est le projet de la droite. Mais la retraite à 65 ans doit-elle pour autant devenir le nôtre ? A gauche, nous sommes partisans, depuis des lustres, non d'un relèvement mais d'un abaissement de l'âge du droit à la retraite, pour les hommes comme pour les femmes. Et d'un "premier pilier" du système de retraite assurant à lui seul, sans recours à des prestations complémentaires, un revenu suffisant. Du coup, dans nos rangs, le débat sera féroce (d'autant qu'il sera parasité par une partie de la droite, instrumentalisant l'opposition au relèvement de l'âge de la retraite des femmes pour renforcer l'opposition de cette droite aux concessions faites à la gauche (l'augmentation des rentes AVS, surtout, et les mesures spécifiques d'amélioration des rentes des plus bas revenus), et à une réforme qui sera finalement payée par la couche la plus favorisée de la classe d'âge des 35-45 ans.
Lorsqu'il avait présenté son plan, en 2012, aux syndicalistes d'Unia, Alain Berset avait été sifflé. Samedi, Unia a accepté le même plan, un peu amendé. "L'histoire sociale enseigne qu'il n'y a pas de politique sociale sans un mouvement social capable de l'imposer" (Pierre Bourdieu). Il y a sans doute un mouvement social capable de bloquer la dénaturation du système de retraite mais pour aller au-delà ? pour imposer une réforme radicale du système de retraites, faisant basculer d'une manière ou d'une autre le deuxième pilier (dont 500'000 femmes, et les agriculteurs, ne bénéficient pas) dans le premier, l'épargne forcée dans la cotisation sociale, la capitalisation individuelle dans la solidarité, Balzac dans Hugo ? Cela dit, un mouvement social se construit... Il a fallu trente ans pour que, revendiquée par le plus important mouvement social du XXe siècle, la Grève Générale de 1918, l'AVS soit instaurée. Comme disait le camarade Lamartine : "Les utopies ne sont que des vérités prématurées".
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