"Prévoyance vieillesse 2020" : état des fronts


Un référendum pour un débat ?

A Berne, vendredi dernier, un comité référendaire s'est constitué, juste après que l'assemblée des délégués de l'Union Syndicale Suisse ait pris position en faveur de la réforme des retraites, "Prévoyance vieillesse 2020", tel qu'adopté par les Chambres fédérales, et combattu à la fois par la gauche de la gauche syndicale et politique et par la droite (PLR) et la droite de la droite (UDC) politique et patronale. Pour ce comité constitué autour de la gauche syndicale romande, de la communauté genevoise d'action syndicale (CGAS, qui regroupe tous les syndicats du canton) et de l'Union syndicale vaudoise (qui ne regroupe que les syndicats de l'USS), et soutenu par le Parti du Travail, solidaritéS et l'Avivo, il s'agit de lancer et de faire aboutir un référendum facultatif s'ajoutant au référendum obligatoire auquel sera de toute façon soumise la réforme des retraites. But de l'opération : faire entendre une opposition de gauche, en sus de l'opposition de droite. Un référendum additionnel est-il nécessaire pour cela ? Dans les urnes, rien ne va distinguer un "non" de gauche d'un "non" de droite. Mais dans le débat qui va précéder le vote, c'est autre chose : l'opposition de gauche et l'opposition de droite vont tenir deux discours opposés, parce que fondés sur deux oppositions contradictoires : l'une (celle de gauche) au report d'un an de l'âge de la retraite des femmes, l'autre (celle de droite) à l'augmentation des rentes AVS. Dans une semaine,  le PS genevois prendra position sur le projet de réforme. Alors, vous nous connaissez, quand on peut animer, documenter, rationaliser un débat politique, on est là, présents, sinon fidèles, au poste. C'est parti !

Justifier au nom de l'égalité la fixation de l'âge de retraite des femmes au niveau de celui des hommes ? un argument faisandé.

A gauche, le débat sur la réforme des retraites sera tendu, aucune organisation n'étant exempte de contradictions internes, et nulle position n'étant a priori incontestable. Le Parti socialiste suisse, qui prendra position par un référendum interne*, soutiendra certainement la réforme, mais des partis cantonaux ou des sections locales la combattront certainement, et la gauche du parti la combat déjà. Les Femmes socialistes la soutiennent, mais sans aucun enthousiasme, et avec là aussi une opposition interne, alors que des figures tutélaire du féminisme socialiste (Ruth Dreifuss, Christiane Brunner, Maria Roth Bernasconi) appellent à un "oui" de raison tenant compte du rapport des forces politiques. La Jeunesse socialiste s'y oppose, sans le dire clairement et sans pour autant soutenir un référendum qu'on peut considérer comme inutile, puisque vote populaire il y aura de toute façon, mais les JS genevoises, thurgoviennes et zurichoises appellent les autres JS cantonales à soutenir le camp du "non" au sein du PS. Dans les syndicats, les divisions ne sont pas moindres : les centrales nationales, l'Union Syndicale et Travail Suisse, soutiennent la réforme mais les faîtières cantonales genevoises (la CGAS, soit tous les syndicats du canton) et vaudoise (l'USV, soit les syndicats de l'USS) la combattent. Unia et le SSP soutiennent la réforme, mais leurs commissions féminines soutiennent le référendum, comme les sections cantonales genevoise, tessinoise et vaudoise du SSP et la section genevoise de Syndicom soutient également le référendum, contre la position de la centrale suisse. Le tableau de notre beau pluralisme commençant à être ainsi dessiné, décrivons-en l'arrière-plan : c'est celui des inégalités persistantes entre femmes et hommes dans l'emploi, les salaires et les rentes.

L'Office fédéral des statistiques vient tout juste de sortir celles de l'inégalité salariale entre femmes et hommes, et donc de leur inégalité dans le système de retraites. Et elles sont éloquentes, même si on peut en tirer deux conclusions contradictoires : considérer avec Ruth Dreifuss que "ce n'est pas la hausse de l'âge de la retraite des femmes à 65 ans qui est une pilule amère, mais l'inégalité en général", et donc qu'il ne faut pas faire de l'âge de la retraite, mais de la lutte contre toutes les inégalités le thème du combat de la gauche, ou considérer avec Manuela Cattani qu'"une ligne rouge est franchie avec ce projet", et qu'il convient de le rejeter si on ne veut pas risquer d'être ensuite confronté à de nouveaux reculs sur l'âge de la retraite, sans aucune avancée sur l'égalité "en général". Car l'inégalité des situations matérielles précède et explique celle des rentes de retraite : selon les statistiques de l'OFS, les inégalités salariales entre femmes et hommes atteignent 19,5% en 2014. Et cette inégalité ne s’explique qu'en partie par des différences de niveau de formation, d'années de service ou de fonction. En fait l'inégalité salariale entre les sexes relève pour près de 40 % de la pure et simple discrimination de genre. La majorité (64,1 %) des postes du secteur privé pour lesquels le salaire brut à plein temps était inférieur à 4000 francs par mois étaient occupés par des femmes, une majorité encore plus forte (73,3%) des postes rémunérés à plus de 8000 francs brut par mois étaient occupés par des hommes, qui occupaient même 84,8% des postes rémunérés à plus de 16'000 francs brut par mois. A quoi s'ajoute le fait que les femmes assument les deux tiers du travail non rémunéré. Or comme les salaires et les revenus des femmes sont plus bas, leurs rentes et leur capital vieillesse sont plus bas aussi. C'est logique : une inégalité nourrit les autres.
Quant aux rentes du 2e pilier, celles «  touchées par les hommes sont nettement plus élevées que celles perçues par les femmes ». Les rentes de la prévoyance professionnelle versées pour la première fois en 2015 ont atteint 3278 francs par mois en moyenne pour les hommes contre 1839 francs pour les femmes. Les montants moyens des versements en capital ont avoisiné 210'000 francs chez les premiers et 93'000 francs chez les secondes.
Au total, les retraites (1er et 2e Pilier) des femmes sont inférieures de plus d'un tiers à celle des hommes. Alors la prochaine fois qu'on vous justifiera la fixation de l'âge de retraite des femmes au niveau de celui des hommes au nom de l'égalité, vous pourrez exiger un argument plus crédible : celui-là est faisandé.


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