Catalogne : La tutelle contre l'indépendance


Bon cop de falç ?

L'adoption par le parlement catalan d'une déclaration d'indépendance ne devrait surprendre personne, surtout pas à Madrid : elle n'est que le terme symbolique d'un processus engagé depuis cinq ans, et une étape dans celui, décidé par le même parlement, d'un "processus constituant" devant déboucher sur un "Etat indépendant et souverain, de droit, démocratique et social" : la République catalane. La réponse du gouvernement espagnol ne surprendra pas plus, tant elle était annoncée, et dans la droite ligne de toutes les réponses données à Madrid aux revendications catalanes depuis dix ans. La crise commence en 2006, lorsqu'un statut d'autonomie négocié entre Barcelone et Madrid, accepté par les parlements catalan et espagnol et ratifié par référendum, est saboté par une cour constitutionnelle instrumentalisée par le parti de droite aujourd'hui au pouvoir, et qui a refusé à la Catalogne ce qui avait été accordé au Pays Basque. La seule réalité qui empêche de comparer les dernières décisions du gouvernement de Rajoy (mise sous tutelle des institutions catalanes, destitution du gouvernement catalan, à commencer par son président, prise de contrôle de la police autonome, des finances, des télécommunications, des media publics, de l'enseignement... ) à celles d'Erdogan en Turquie après le putsch foireux de l'an dernier, c'est l'absence de moyens du premier de les concrétiser si les indépendantistes catalans décidaient d'y opposer une insoumission de masse, si pacifique qu'elle soit. Ce n'est apparemment pas la voie choisie, si on en croit l'intervention du président (destitué par Madrid), Carles Puigdemont, qui appelle à la mobilisation... pour les élections régionales convoquées par Madrid le 21 décembre. Avec cette intéressante question à la clef : que fera le pouvoir central si les indépendantistes les gagnent, ces élections ?


Une nation a-t-elle besoin d'être un Etat pour être indépendante ?

"La Catalogne a gagné le droit d'être un Etat indépendant sous forme de République", avait déjà proclamé son président, Carles Puigdemont, devant le parlement catalan, le 10 octobre. Le droit d'être indépendant, la Catalogne l'avait de toute façon (comme Euzkadi, la Galice ou la Castille...), bien avant que le référendum devant le confirmer ait été organisé (et saboté), puisque ce droit est celui de toute collectivité se définissant elle-même comme une nation. Mais le droit d'être indépendant, sous forme d'un Etat indépendant, ne signifie pas forcément la concrétisation de ce droit. Après tout, Genève aussi a le droit d'être indépendante (elle l'a d'ailleurs été pendant deux siècles et demi), cela n'implique pas qu'elle le devienne. C'est tout le sens du droit à l'autodétermination nationale (un droit général et universel, contrairement à ce que veulent croire ceux qui affirment qu'il ne s'appliquent qu'aux nations soumises à une autorité coloniale) : un droit est une possibilité, pas une obligation, et il en va du droit à l'indépendance comme du droit à la parole, qui contient le droit au silence... Au fond, la proclamation d'une l'indépendance par des indépendantiste (fort multiples par ailleurs dans leurs choix politiques, qui vont du centre-droit de la "Convergence démocratique" de Puigdemont à l'extrême-gauche de la "Candidature d'Unité Populaire", en passant par la gauche modérée (la Gauche républicaine), ne relèverait que de la posture, si elle n'était, avec tous les risques qu'elle comporte, et toutes les mesures de rétorsion qu'elle provoque, constitutive d'un profond changement du rapport des forces politiques. Quelle que soit l'issue du conflit ouvert en Catalogne, il changera l'Espagne -toute l'Espagne, pas seulement la Catalogne. La mise sous tutelle de la Catalogne, de ses institutions politiques, de ses services publics et de sa fonction publique, de sa police et de ses media politique n'est évidemment pas un projet d'avenir...

Quant à la "question nationale", elle est tranchée par la réalité historique : une nation, c'est une volonté politique exprimée à partir d'une communauté de culture fondée sur une communauté de destin.  Or la Catalogne est une nation : elle a une histoire propre, une culture propre et, aujourd'hui, une volonté politique propre (et qu'elle ne soit pas forcément majoritaire n'empêche pas qu'elle soit). Cette volonté politique n'est pas monolithique, ni, sauf à ses marges, extrémiste (un Jordi Savall, humaniste, pacifiste, modéré, mais partisan de l'indépendance, n'a rien d'un boutefeu nationaliste) : elle est celle, pour les uns, d'une autonomie renforcée, pour les autres de l'indépendance et de la formation d'un Etat (d'un Etat-nation, donc), pour d'autres encore elle se limite à la reconnaissance d'une spécificité culturelle, mais ces trois modalités d'une volonté politique catalane se fondent toutes sur le préalable de l'existence nationale de la Catalogne, qu'elle se manifeste ou non sous la forme d'un Etat indépendant. La manière même dont la proclamation de l'indépendance s'est faite, pour être immédiatement suspendue, n'est pas si nouvelle : la méthode suivie à Barcelone cette année est la même que celle suivie à Llubjana il y a 26 ans...

Reste qu'aujourd'hui, les indépendantistes catalans et les unionistes espagnols semblent vivre dans deux mondes politiques parallèles,  : celui d'une légitimité politique ("la souveraineté du peuple catalan") supérieure au droit positif, pour les uns, celui du droit positif primant tout le reste pour les autres ("la loi, toute la loi, rien que la loi"). République en Catalogne, Royaume en Espagne... Or nous ne sommes pas dans la géométrie, où les parallèles ne se peuvent rejoindre, mais dans la politique, où ils le peuvent. Le pourront-ils dans cette crise ?`Cela ne dépend depuis vendredi que du gouvernement central espagnol, poussé au pire par sa propre droite : samedi, c'est à l'appel de l'extrême-droite nostalgique du franquisme qu'on a manifesté à Madrid (à Barcelone, dimanche, ce fut tout autre chose) en exigeant l'interdiction pure et simple des partis indépendantistes de Catalogne (et sans doute aussi d'Euzkadi et de Galice), avant les élections régionales convoquées par Madrid le 21 décembre prochain. Il est vrai que si les indépendantistes les gagnent (à nouveau), on ne voit pas ce que les gouvernement central y aura, lui, gagné...

Quant à l'Europe et à la "communauté internationale", elles finiront forcément par se rendre à l'évidence qui se fera jour, quelle que soit cette évidence : si le processus indépendantiste se poursuit et s'achève, elles reconnaîtront la République de Catalogne comme elles ont reconnu tous les "nouveaux" Etats européens nés (ou renés) depuis trente ans -et comme tous les Etats nés depuis que l'Etat est la forme normative d'existence politique d'une nation, et se reconnaissant les uns les autres... Mais une nation a-t-elle besoin d'être un Etat pour être indépendante ? Il serait grand temps que la question soit sérieusement posée, et qu'il y soit non moins sérieusement répondu par la négative. Il ne manque plus en effet pour semer définitivement le troubles dans les esprits que l'anarchisme et l'indépendantisme se conjuguent... comme ils se conjuguèrent naguère en Catalogue face au fascisme.

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