Deux fois moins de réfugiés en Europe en six mois : A quel prix ?



En 2017, 18 088 nouvelles demandes d’asile ont été déposées en Suisse. C’est un tiers de moins qu’en 2016. Parmi celles-ci, 885 ont été attribuées au canton de Genève. C'est moitié moins qu'en 2016, et c'est le chiffre le plus bas enregistré depuis 2010. A Genève, les personnes ayant déposé une demande d'asile sont principalement originaires d'Erythrée (182), de Syrie (110), d'Irak (54), d'Afghanistan (45), du Nigéria (40), de Guinée (39) et du Sri Lanka (39). Fin 2017, 4 155 personnes étaient à Genève  dans le processus « asile », dont 1 471 ont déposé une demande d'asile(elles disposent d’un permis N). Les 2 684 autres personnes ont vu leur demande d'asile refusée, mais bénéficient d'une admission provisoire (permis F). 2 990 personnes ont été reconnues comme réfugiées et sont sorties du processus d'asile, en ayant obtenu un permis B ou C. Depuis six mois, le nombre de migrants traversant la Méditerranée pour rejoindre l'Europe a diminué de moitié. Parce que les raisons de fuir leurs pays ont elles aussi diminué de moitié ? Non : parce que l'Europe paie ce qui tient lieu d'autorités libyennes pour qu'elles stockent, dans des conditions abominables dont l'Europe se contrefout, les milliers de réfugiés que les Européens ne veulent pas voir arriver chez eux.

"En certaines situations, rien ne subvertit plus le monde tel qu'il est que le recours au monde tel qu'il dit être. Nous y sommes"...


Les gouvernements européens (et quand on parle de politique d'asile, la Suisse est tout ce qu'il y a de plus européenne) ont pactisé avec les factions libyennes en les chargeant d'empêcher les migrants africains de traverser vivants la Méditerranée. Et en effet, ils les en empêchent. Les gouvernements européens forment les garde-côtes libyens et leur fournissent des bateaux pour qu’ils interceptent les migrants en mer et les renvoient en Libye, où ils sont jetés dans des centres de détention où ils et elles sont soumis à l'arbitraire et aux pires violences : plus de 20'000 hommes, femmes et enfants y croupissent, entassés pendant des mois, rackettés, volés, torturés, violés, mis aux travaux forcés, vendus comme esclaves, ou renvoyés dans leurs pays d'origine (c'est cela qu'attend l'Europe). Ou tués, s'ils résistent. Le bilan de cet exercice réjouit les gestionnaires de l'asile : deux fois moins de réfugiés en Europe en six mois, un tiers de moins en Suisse et la moitié moins à Genève en un an. A quel prix ? Celui, apparemment d'une politiquement très soutenable légèreté, du piétinement de toutes les "valeurs" et de tous les grands principes dont les Etats européens, qu'ils soient gouvernés par la gauche ou par la droite, ou par les deux en même temps, se réclament.

Amnesty International exige des gouvernements européens et des pouvoirs libyens que les migrants incarcérés en Libye soient libérés, que la protection des réfugiés, et non plus leur stockage comme du bétail, devienne une priorité dans la collaboration de l'Europe avec la Libye, que les migrants interceptés par les garde-côte libyens ne soient pas arrêtés mais aient accès à une procédure d'asile, et qu'une enquête pénale soit ouverte sur les faits de torture, de mauvais traitements, de violences sexuelles, d'esclavage et de travail forcés constatés en Libye à l'encontre des migrants dont l'Europe a sous-traité la rétention à des pouvoirs qui tiennent plus de la bande armée et du gang mafieux que d'institutions étatiques. Des exigences excessives ? Elles sont toutes contenues dans les textes fondateurs de ce que les Etats européens, Suisse comprise, affirment être leurs principes politiques, et qu'on ne demande donc que le respect : "En certaines situations, rien ne subvertit plus le monde tel qu'il est que le recours au monde tel qu'il dit être. Nous y sommes"...

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