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Accorder l'asile aux objecteurs et aux déserteurs russes,

Selon un sondage Tamedia de fin mars de l'année dernière, 78 % des Suisses et des Suissesses soutenaient l'activation pour les réfugiés et réfugiées ukrainien.nes du "statut de protection S", qui leur permet d'obtenir l'asile sans avoir à subir la procédure ordinaire. Même une majorité des sympathisants UDC (52 %) y souscrivaient. Mais une majorité (66 %) des sondé.e.s refusaient d'étendre cette mesure à d'autres populations en exode, comme les Afghan.e.s ou les Syrien.ne.s, quoique les socialistes et les Vert.e.s l'acceptent, à 59 %. Solidaires on est, en Suisse. Mais avec des gens qui nous ressemblent, faut pas pousser... Une année après le sondage, c'est la question de l'asile à accorder aux déserteurs russes qui se pose, urgemment. Des gens qui nous ressemblent, les déserteurs russes. Le 24 septembre, Poutine a signé un texte prévoyant une peine de prison pouvant aller jusqu'à 10 ans pour les déserteurs et les militaires qui refusent de combattre. Le même jour, au moins 710 personnes ont été interpellées lors de manifestations contre la guerre dans 21 villes. Le jour de la mobilisation de 300'000 réservistes, le 21 septembre, près de 1400 manifestants anti-guerre avaient déjà été arrêtés. Au Conseil national, la gauche a demandé au Conseil fédéral (par un postulat des Verts, une question socialiste, une pétition signée par 7000 personnes) d'ouvrir l'asile aux Russes qui refusent de participer à la guerre de Poutine. Ce serait la moindre des cohérences que le faire -et cela, au moins, ne poserait pas de problème de "neutralité" -si ça ne répondrait pas aux angoisses de l'industrie suisse d'armement en mal d'exportations.

Accorder l'asile à ceux qui désertent la guerre personnelle d'agression de celui qui se prend pour Pierre le Grand mais n'est que Boris Godounov.

Il y a une lettre écrite par Boris Vian, chantée (entre autres) par Mouloudji et Maxime Le Forestier, qui pourrait être aujourd'hui adressée à Poutine, et dont on regrette qu'elle ne puisse plus lui être chantée par Vladimir Vissotsky :

Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C'est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m'en vais déserter

Aujourd'hui, en Suisse, ni l'objection de conscience ni la désertion ne sont reconnues comme motifs d'asile si les objecteurs et les déserteurs ne sont pas aussi persécutés, personnellement, pour d'autres raisons. Qu'évidemment, leurs persécuteurs se garderont bien de donner. Dans les six mois qui ont suivi la guerre, seuls une centaine de ressortissants russes avaient déposé une demande d'asile en Suisse -mais c'était avant la mobilisation décrétée par Poutine, et donc avant que les objections de conscience se fassent massives, y compris par l'exil hors de Russie. Avant que pour les jeunes Russes séjournant en Suisse retourner en Russie soit devenu un risque : celui de se retrouver sur un front ou des dizaines de milliers de compatriotes sont déjà morts, ou en prison. L'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) demandait à l'automne un "accès rapide à la procédure d'asile, aux objecteurs de conscience et déserteurs russes en Suisse"... et le respect par la Suisse de la Convention de... Genève, qui reconnaît aux objecteurs de conscience considérés comme des opposants politiques le droit à une protection.

Il y a une opposition russe à la guerre : surveillée, réprimée, exilée, mais existante. Et c'est parce qu'elle existe, qu'elle est réprimée. Elle n'a pas accès aux media -et les media qui portaient sa voix ont été interdits. Alors, elle s'exprime un peu comme les premiers résistants français s'exprimaient : elle colle de petits autocollants "non à la guerre" sur les portes d'entrée du métro, les lampadaires, les portes des immeubles, elle noue de petits rubans verts, elle dessine de petites gouttes de sang, ou des croix gammées sur le "Z" symbolique de l'"opération spéciale" en Ukraine. Celles et ceux qui se livrent à ces petits gestes risquent gros (la loi désormais punit de prison, jusqu'à 15 ans, qui "discrédite" l'armée. Et ceux qui s'expriment publiquement plus encore, même s'ils sont connus : l'ancien maire d'Ekaterinburg a été arrêté, le rocker Iouri Chevtchouk condamné pour avoir dénoncé les "plans napoléoniens de notre Cesar" à cause de quoi et de qui "des jeunes meurent". Et la "Novaya Gazeta" a été privée en septembre de son indispensable licence pour une édition papier... Et l'écrivain Dmitri Ghloukovski risque jusqu'à dix ans de prison pour avoir "discrédité les forces armées" en condamnant la guerre en Ukraine comme étant une "guerre contre l'ensemble du peuple ukrainien", et appelé à l'arrêter.

A côté de l'opposition russe à la guerre, et plus bruyante qu'elle, et bien moins réprimée,  il y a une opposition russe à la conduite de la guerre. Une opposition maximaliste, nationaliste, qui exige de radicaliser l'engagement contre l'Ukraine et dénonce les faiblesses de l'armée russe. Or en Russie, on a de la mémoire : on sait d'expérience qu'on soutient le Tsar quel qu'il soit, tant qu'il est vainqueur. Et on le lâche quand il est perdant. Et on le liquide, d'une manière ou d'une autre, politiquement ou physiquement, quand il devient un problème.

Pour Dmitri Ghloukovski, la guerre de Poutine "n'est pas seulement dirigée contre l'Ukraine, mais aussi contre la Russie. C'est une guerre contre l'avenir de la Russie, pour maintenir son peuple dans l'esclavage. C'est "la guerre personnelle de Poutine (pour) qu'il puisse s'inscrire comme un grand homme d'Etat dans les livres d'histoire et figurer aux côtés de Pierre le Grand, de la Grande Catherine, de Lénine et de Staline".

Les objecteurs et déserteurs russes qui demanderont l'asile dans notre pays méritent de l'obtenir. Ce n'est pas le sort de la Russie qui est lié au sort des armes en Ukraine, c'est celui de Poutine. Des centaines de milliers de Russes ont fui la Russie parce qu'ils refusent que leur sort à eux soit lié à son sort à lui. Ils sont, ou seront, considérés comme des déserteurs par le régime -mais la seule chose qu'ils désertent, c'est la guerre personnelle d'agression de celui qui se prend pour Pierre le Grand mais n'est que Boris Godounov.


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