1er mai, fête des travailleuses et des travailleurs : de la 13e rente aux 32 heures ?

Le 1er mai, fête des travailleuses et des travailleurs (et non du travail), a été institué en 1889 par la IIe Internationale comme journée internationale de lutte et de grève pour la réduction du temps de travail à une journée de huit heures. Cette journée se célèbre-t-elle toujours pour cette revendication ? A lire le manifeste de l'Union Syndicale Suisse pour aujourd'hui, il ne semble pas : la Fête des travailleuses et des travailleurs 2024 est placée sous le signe du coût de la vie, de la baisse des primes d'assurance-maladie et de l'initiative socialistes pour les plafonner à 10 % du revenu, de l'adaptation des salaires... On célébrera aussi la victoire dans les urnes de l'initiative syndicale pour une 13e rente A VS... n'oublie-t-on pas la poursuite de la lutte pour la réduction du temps de travail ? pour la semaine de 32 heures ? L'engagement militant pour la 13e rente AVS est-il inimaginable pour les 32 heures ? Cette revendication est pourtant, rhétoriquement, présente désormais dans les manifestes, les programmes, les discours syndicaux. Et parfois même (mais plus rarement, et plus prudemment) politiques.

12 Palotin, jour de la Réprobation du Travail

On pourrait  vous faire grâce ici de rappeler la légitimité sociale et historique de la réduction du temps de travail, et de l'adhésion des mouvements d'activisme climatique et des mouvements féministes à cette revendication. On rappellera toutefois qu'elle est désormais portée par l'ensemble des syndicats genevois (la CGAS), et qu'elle était même contenue dans une initiative populaire (dite "1000 emplois), dont le défaut, qui a entraîné son refus, était sans doute qu'elle brassait trop large. L'initiative avait tout de même acceptée dans six arrondissements de la Ville, et par 42 % des votants dans l'ensemble de la commune. Et c'est au Conseil municipal de la Ville que nous avons déposé une motion demandant au Conseil administratif d'entamer des négociations avec les syndicats et le personnel de la fonction publique municipale pour une réduction progressive du temps de travail vers les 32 heures. On attend avec curiosité le sort que réserveront les élue.s de la gauche à cette proposition de gauche. On vous fera grâce, enfin, mais faute de place, de la longue énumération des critiques économiques, sociales, philosophiques du travail. On aura seulement une pensée pour Paul Lafargue et pour son indépassable "Droit à la paresse".

Dans le calendrier pataphysique, le 1er Mai, ou plutôt le 12 Palotin, est le jour de la Réprobation du Travail. Ce qui non seulement ne nous paraît pas être réprobation du travailleur et de la travailleuse, mais bien plutôt appel à leur libération -et même, non du travail lui-même mais du travail contraint, du travail sous chefferie.

Ce par quoi dans le travail, aujourd’hui et dans le capitalisme socialisé, le travailleur est exproprié de lui-même n’est pas la captation du produit du travail, mais la captation du temps passé au travail, c’est-à-dire le salariat. C’est par le salaire que le travailleur est exploité, par le salaire que la force et le temps qu’il vend lui sont achetés, par le salaire que cette vente aboutit à la vente du travailleur lui-même par lui-même, en tant que travailleur. La condition de l’existence est en même temps la cause du vide de l’existence, les raisons de vivre sont ôtées par l’octroi des moyens de vivre. Seul un travail gratuit peut ne plus avoir comme conséquence l’exploitation -encore faut-il qu’il soit réellement gratuit, c’est-à-dire à la fois librement consenti et non échangé, ce que n’est pas, par exemple, le travail « ménager » de la « femme au foyer ».

Que le capitalisme du XXIe siècle ne soit plus celui du XIXe est une évidence, qui ne change rien à cette autre évidence que le travail humain y est toujours, comme dans tout mode de production, la seule source de création de valeur d’échange d'une marchandise, qu'il s'agisse d'un bien ou d'un service, et, par le temps de travail non payé en salaire (ou en rémunération du produit du travail), la seule source de création d'une plus-value permettant la constitution du capital -et permettant, via l'impôt, à l'Etat d'obtenir les moyens de son propre fonctionnement.

Mais pour que le travail, sous le capitalisme, nourrisse d’abord le capitalisme, il faut bien que le travailleur soit dépossédé de la maîtrise de son travail. Le capitalisme est expropriateur : il exproprie les travailleurs de leur savoir-faire, de leurs compétences, de leurs expériences, du temps de leur vie. Il ne peut pas ne pas les en exproprier, parcelliser leurs tâches, fragmenter leurs connaissances. Avant de produire la marchandise, il faut produire l’amnésie du producteur. Pour, finalement, parfaire la déshumanisation du producteur en le remplaçant par un robot ou un logarithme: « Toute main d’œuvre, dès lors qu’elle est mise en concurrence avec un esclave (…) humain ou mécanique, doit accepter les conditions de l’esclave », résume le cybernéticien Norbert Wiener… Nous n’en sommes pas encore là ? Soit. Mais nous y venons.Et nous y venons pour le pire : non pour l'allégement de la charge du travail contraint mais pour la numérisation de celles et ceux sur qui cette charge pèse.

Retrouver le sens de la critique du travail, c’est aller plus loin dans la critique de l’ordre social que là où s’arrêtèrent Fourier, Marx, Proudhon, dénonçant les modalités du travail, les conditions faites au travailleur, mais non le travail lui-même. Si notre critique du travail n’est pas celle, aristocratique, qui prévalait pour ceux qui, dans la cité antique ou l’Europe médiévale forçaient esclaves ou serfs à travailler pour qu’eux-mêmes puissent se consacrer aux affaires publiques, à la guerre, à la prière, à l'orgie ou à la création culturelle, c’est que notre critique est fondée sur la volonté d’accorder à toutes et tous le droit que quelques-uns seulement s’étaient arrogés, sur le dos courbé d’une masse laborieuse les nourrissant. Que le grand nombre travaille pour nourrir le petit nombre est révoltant ; que nul ne travaille plus que pour lui-même, son plaisir et ses convictions, telle devrait être notre exigence. Et cette exigence est d’autant plus légitime que la robotisation réduit la masse de travail humain nécessaire, même à la production de la machinerie productive… Quand des robots fabriquent les robots qui travaillent à la place des travailleurs, le temps vient pour les travailleurs de travailler pour sa propre liberté, et non plus pour leur survie.

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